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Redécouvrir le sens de l’Universel

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Laurent Fourquet - publié le 26/06/20
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Entre l’enfermement communautaire et la mondialisation sans frontières, le christianisme porte le sens de l’Universel, faisant dialoguer la diversité des langues et des cultures avec l’existence d’une vérité.Il y a quelques semaines, nous avons entendu, à la Pentecôte, le récit bien connu des Actes des Apôtres sur ces Juifs pieux venus à Jérusalem de toutes les nations qui sont sous le ciel et entendant, chacun d’eux, les apôtres s’exprimer dans leur langue. On pourrait classer cette histoire dans la catégorie des miracles qui n’arrivent qu’une fois, tellement exceptionnels qu’ils sont pour ainsi dire confinés dans leur exceptionnalité. On peut aussi penser que ce récit est d’une actualité brûlante, et peut-être davantage brûlante à notre époque qu’à toute autre période de l’histoire. Dans un monde de plus en plus obsédé et déchiré, au fur et à mesure qu’il s’uniformise en apparence, par les questions d’identité et de communauté, le récit de la Pentecôte nous montre en effet que l’enfermement n’est pas une fatalité. 

Tout commence à Jérusalem

Reprenons les faits. Tout commence avec un rassemblement, à Jérusalem, de juifs et de païens convertis, venus de toutes les contrées du monde alors connues. C’est la première leçon à retirer du texte : il n’y a pas d’hétérogénéité radicale des cultures humaines qui coexisteraient vaille que vaille lorsqu’elles ne se font pas la guerre. Et l’organisation d’une coexistence pacifique entre ces cultures ne constitue pas le nec plus ultra de la sagesse humaniste et de l’intérêt économique bien compris. Il existe entre les cultures humaines un principe d’union, un lien spirituel que constitue la foi en un Dieu unique et pas en n’importe quel Dieu : pas la foi dans le Dieu des philosophes et des savants mais la foi dans le Dieu qui s’est d’abord adressé à Abraham puis à Moïse. C’est à Jérusalem que se fait la rencontre, c’est là qu’elle est spirituellement possible.     

“Il existe entre les cultures humaines un principe d’union, un lien spirituel que constitue la foi en un Dieu unique et pas en n’importe quel Dieu (…)”

Seconde leçon : l’évènement qui advient passe par la langue, par les langues. “Tous ces gens qui parlent ne sont-ils pas des Galiléens ? Comment donc les entendons-nous chacun dans notre langue maternelle ?” L’Ancien comme le Nouveau Testament sont traversés par une confiance jamais altérée dans la vérité de la langue, c’est-à-dire dans la capacité du langage des hommes à exprimer le Logos, à dire l’être. Dans un monde où, en Occident en tout cas, nous ne nous soucions plus de nos langues, au point de participer à leur vulgarisation, à leur appauvrissement continu, au point de les délaisser au profit d’un globish, lui-même issu d’un anglo-américain concassé, le récit des Actes des Apôtre rappelle l’éminente dignité de la langue, de chaque langue qui, suivant son génie propre, porte en elle, à condition que l’on ait soin d’elle, la faculté de recevoir l’Absolu et de le nommer.


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Pas de langue unique ni supérieure

Car il n’est pas de langue privilégiée, pas de langage sacré par principe, pas de langue métaphysique. On aurait pu s’attendre à ce que les apôtres s’expriment dans l’hébreu des Écritures. Il n’en est rien. C’est chacun de ceux présents à Jérusalem ce jour-là, figurant toutes les cultures du monde, qui reçoit la révélation du Christ ressuscité dans sa langue. Cette révélation n’écrase pas, en effet, les langues et les cultures au nom d’une langue et d’une culture supérieures. Elle se fait tout à tous. Non pas, bien sûr, au nom de l’éloge moderne de la diversité mais parce qu’aucun impérialisme linguistique ou culturel ne l’anime, qu’elle sait pouvoir trouver dans chaque langue, dans chaque culture, les possibilités de son énonciation. 

“Aussi faut-il, pour celui qui se veut le disciple du Christ aller sans peur ni arrière-pensée vers toutes les cultures, même, et peut-être surtout, les plus éloignées pour porter la vérité qui est en lui et l’offrir (…)”

Il n’y a pas de langue qui ait le monopole de l’expression de la vérité. Il n’y a pas de langue qui soit exclue de cette expression. Aussi faut-il, pour celui qui se veut le disciple du Christ aller sans peur ni arrière-pensée vers toutes les cultures, même, et peut-être surtout, les plus éloignées pour porter la vérité qui est en lui et l’offrir, afin qu’elle puisse se dire dans une langue nouvelle. Chaque fois que le christianisme se réduit à ne plus être qu’un “marqueur identitaire”, comme l’on dit, chaque fois que l’on en fait la propriété d’une langue, d’une culture, d’un peuple, on trahit l’esprit de la Pentecôte et l’on revient en ce lieu fermé, clos, stérile d’où l’Esprit est venu extraire les Apôtres pour les projeter violemment sur les routes du monde.


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Chaque culture est porteuse de vérité

Mais s’il n’y a pas de langue élue, s’il n’y a pas de langue rétive, cela signifie aussi que la révélation doit être portée à tous. Il faut exclure toute sacralisation des cultures qui ne devraient pas être “dérangées” par l’irruption d’une parole extérieure. Cette pseudo sacralisation n’est en réalité qu’une idolâtrie de la culture et donc, comme toute idolâtrie, la projection sur le créé d’un absolu qui est réservé au Créateur. Il n’y a peut-être rien de plus pernicieux, dans notre monde, que cette absolutisation des cultures, malheureusement intégrée par trop de chrétiens, qui ferait obstacle à la révélation et que l’on maquille souvent sous le terme galvaudé de “respect”. On échapperait sans doute à cette tentation si l’on réalisait que, comme le montre le récit de la Pentecôte, chaque langue, chaque culture portent déjà en elles la vérité et que la tâche du véritable apôtre n’est pas d’imposer mais d’éveiller cette vérité chez les Parthes et Mèdes, Élamites, habitants de Mésopotamie, de Judée et de Cappadoce, du Pont et de l’Asie, de Phrygie et de Pamphylie, d’Égypte et de la région de Lybie voisine de Cyrène, Romains, Juifs de naissance et convertis, Crétois et Arabes (Ac 2, 9).…

“Le récit des Actes invente une figure avec laquelle, depuis lors, le monde ne cesse de se confronter. Cette figure est celle de l’Universel.”

Le récit des Actes des Apôtres institue ainsi un paysage spirituel radicalement nouveau. Ce paysage n’est plus celui de l’Ancien Testament, centré sur l’histoire d’Israël dans sa relation avec Dieu. Il n’est pas non plus celui des philosophes grecs qui parlaient exclusivement pour les hommes libres parlant le Grec, langue par excellence des hommes libres. Il n’est pas davantage celui des empereurs romains soumettant l’ensemble des hommes du monde connu à l’autorité d’un maître. En combinant la diversité des langues et cultures avec l’existence d’une vérité : “Christ est ressuscité”, énonçable dans toutes les langues mais qui doit être éveillée dans chacune de ces langues, le récit des Actes invente une figure avec laquelle, depuis lors, le monde ne cesse de se confronter. Cette figure est celle de l’Universel.    

La figure de l’Universel

L’Universel n’est pas l’uniformité, la mondialisation, le parler commun dérisoire. Il n’est pas davantage “l’identité”, la “communauté”, l’enfermement douillet mais stérile dans une culture. Il est ce dialogue, qui se poursuit, entre la révélation qui vaut pour tous et l’énonciation de cette révélation, pour laquelle chaque langue possède son génie propre qui doit être préservé. Or notre monde est précisément, et de plus en plus, à l’opposé de l’universel, mêlant l’uniformisation à la radicalisation identitaire en vertu, sans doute, d’un processus dialectique, de sorte que plus l’on se ressemble, plus l’on se sépare et se divise, Blancs contre Noirs, hommes contre femmes, urbains contre ruraux, etc. Il appartient dès lors à notre Église, plus que jamais, de porter haut ce drapeau de l’Universel, qui la fonde, et que, en dehors d’elle, plus personne ou presque ne revendique. 


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