Se couvrir de ridicule peut-il être une manière d’annoncer le Christ ? Oui, si l’on en croit saint Philippe Néri, qui s’est employé toute sa vie à user de cette vertu pour témoigner de la gloire de Dieu.Le bon Philippe Néri est souvent dépeint comme un original, un étrange, hirsute et riant aux éclats. Ses manières, bien loin de celles des hauts prélats qu’il côtoyait à Rome en pleine Contre-Réforme, prêtent en effet à rire. Et pour cause, il n’était pas rare de le voir “avec la barbe taillée à moitié”, “vêtu avec des vêtements à l’envers ou vieux” ou encore “endosser des chaussures blanches sous la soutane noire”, témoigne ainsi le père Simone Raponi, prêtre de la congrégation de l’Oratoire, dans L’Osservatore Romano. Lors d’occasions formelles, on pouvait encore le surprendre en train de “sautiller devant des cardinaux et prélats”. L’humour se manifestait chez lui “de manière créative et bizarre”, explique le prêtre italien.
Mais pourquoi diable cet homme si lettré, surnommé par certains le “Socrate chrétien”, se plaisait-il donc dans ces bouffonneries ? Faut-il y voir une simple provocation ? Pour le père Raponi, il serait pourtant dommage de réduire le comportement du “saint de la joie” à une “attitude carnavalesque” ou à une sorte “d’exaltation psychologique”, vouées à choquer. Par ces comportements sans doute décalés aux yeux de certains, Philippe voulait en réalité témoigner au monde de “sa liberté spirituelle absolue”. En faisant le pitre, le saint rappelle ainsi que la gloire du monde est vaine et que tous ses codes ne sont rien devant la grandeur de Dieu. Son humour décapant faisait en somme partie de son arsenal missionnaire.
La “mortification ironique”
Le père Simone Raponi, qui connaît la vie du saint sur le bout des doigts, va même plus loin : pour lui, Philippe pratiquait une forme de “mortification ironique”, c’est-à-dire qu’il se ridiculisait de manière à confondre sa réputation de sainteté, qui semblait acquise pour certains. En entendant des louanges sur sa personne, le voilà donc tirant la barbe d’un garde suisse en pleine cérémonie ou imitant un ivrogne. Par ce type de comportement, il lui importait seulement d’accomplir l’impératif d’humilité auquel tout chrétien est appelé, explique l’oratorien.
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Dans le fond, par cette autodérision, le prédicateur cherchait simplement à “demeurer humble et à s’abaisser toujours davantage aux yeux des hommes”, soulignent pour leur part Raphaël Cornu-Thenard et Samuel Pruvot dans leur Manifeste pour la mission. Son immense liberté l’empêchait d’imaginer un seul instant que c’était lui qui convertissait les âmes et les élevait, notent-ils. Laisser Dieu transparaître en nous plutôt que de chercher à convertir par soi-même… N’est-ce pas le sens de la mission ?
Sans se dénigrer, une bonne dose d’humour sur sa personne peut donc révéler l’extraordinaire confiance en Dieu d’un chrétien. Il est une preuve que quelle que soit la situation dans laquelle il réside, Dieu l’aime et le chérit comme son enfant bien-aimé, en costard ou en guenilles. À la suite de cet apôtre du rire, chacun peut donc demander à l’Esprit de le pourvoir d’un tel trait de caractère. Car un visage illuminé par la joie vaut parfois mieux que de longs discours !