Les victimes quasi exclusives du Covid-19 étant des personnes âgées, certains commentateurs s’interrogent sur l’effet générationnel des conséquences du blocage de l’économie pour les protéger. “Les jeunes, victimes collatérales du coronavirus.” La Une du Figaro du lundi 25 mai 2020 est assez saisissante. Le quotidien détaille les conséquences du confinement : “Concours reportés, stages annulés, contrats envolés… Les moins de 25 ans sont frappés de plein fouet par la crise du Covid et se présentent sur un marché de l’emploi en panne.” Commentaire dans un tweet du chroniqueur de Libération Jean Quatremer : “Une nouvelle fois, les jeunes sacrifiés, comme c’était prévisible.”
Une nouvelle fois, les jeunes sacrifiés. Comme c’était prévisible #coronafolies pic.twitter.com/Jl8O4G8ltR
— Jean Quatremer (@quatremer) May 25, 2020
Cette remarque appuie l’idée minoritaire, mais parfois exprimée, qu’il n’était pas nécessaire de tout bloquer pour sauver la vie de personnes âgées dont la vie était en quelque sorte déjà derrière elles. Comme si les derniers mois ou les dernières années de la vie n’étaient plus vraiment la vie… Si elle s’installait dans notre société, une telle vision serait inquiétante.
Les “anciens” sacrifiés ?
Dans Ouest France du 23 mai 2020, c’est la thèse strictement inverse qui est affirmée : selon Andréa Riccardi, de la Communauté Sant’Egidio, et Irina Bokova, auteurs principaux d’une tribune collective intitulée “Pas d’avenir sans nos aînés” relayée en France par le quotidien régional, ce sont nos anciens qui sont sacrifiés. Se référant à la forte mortalité des personnes âgées touchées par le Covid-19 et aux situations très difficiles vécues dans certains hôpitaux et maisons de retraite, ils écrivent : “L’idée s’installe qu’il est possible de sacrifier leurs vies en faveur d’autres vies.” Les auteurs accusent nos pays de mettre en œuvre “un modèle périlleux qui privilégie une “santé sélective”, tenant pour résiduelle la vie des personnes âgées” et justifiant ainsi “une forme de “sélection” en faveur des sujets plus jeunes et plus sains”.
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La thèse selon laquelle la crise sanitaire a fait émerger l’idée — et même la pratique — de sacrifier la vie des anciens par le moyen d’une santé sélective ne tient pas. Que de mots graves jetés à la figure d’une société qui, au contraire, a tout bloqué pour protéger ses anciens ; que de mots injustes pour les soignants et les personnels de maisons de retraite qui ont dû faire face avec les moyens du bord.
Une thèse injuste
En effet, c’est bien pour protéger d’abord nos anciens que le confinement a été décidé par les autorités, avec le consentement majoritaire de la population. Notre société a assumé le risque d’ajouter la crise économique à la crise sanitaire pour éviter une hécatombe chez les personnes âgées. Il faut tout de même rappeler que pour les plus jeunes générations, le virus présente, lorsqu’il n’y a pas de facteurs de comorbidité, un faible danger. Certes, il y a eu des situations parfois terribles, particulièrement au mois de mars, qui montrent l’inadaptation et l’impréparation de notre système de soins et de nos maisons de retraite. Mais l’intention prêtée de vouloir sacrifier la vie des personnes âgées est injuste. N’oublions pas que les générations plus jeunes portent beaucoup : elles héritent d’une dette abyssale, d’une crise écologique, sociale, familiale et culturelle majeure ; et malgré cela, elles montrent leur attachement envers leurs aînés en acceptant de dures contraintes pour les protéger.
Chronique publiée en partenariat avec Radio Espérance, 27 mai 2020