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“Loin d’enjoindre le gouvernement, le Conseil d’État se borne à un simple rappel à la loi”

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Agnès Pinard Legry - publié le 19/05/20
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Le Conseil d’État a ordonné ce lundi 18 mai la levée de l’interdiction générale et absolue de réunion dans les lieux de culte. Une décision “qui n’était pas prévisible mais qui n’est pas étonnante pour autant”, assure à Aleteia Arthur de Dieuleveult, avocat au barreau de Paris.C’est une décision qui était espérée. Le Conseil d’État a ordonné lundi 18 mai au gouvernement de lever l’interdiction “générale et absolue” de réunion dans les lieux de culte, mis en place dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire. Estimant que cette interdiction porte “une atteinte grave et manifestement illégale” à la liberté de culte, il enjoint le gouvernement de la lever “dans un délai de huit jours”. Si ce dernier est respecté, les chrétiens pourraient finalement aller à la messe pour la Pentecôte, le 31 mai prochain.

“Il est heureux que le Conseil d’État vienne confirmer à nouveau le caractère fondamental de la liberté de culte et en préciser une nouvelle composante essentielle, à savoir « le droit de participer collectivement à des cérémonies en particulier dans les lieux de culte »”, souligne Arthur de Dieuleveult, avocat au barreau de Paris, auprès de Aleteia.

Aleteia : Cette décision du Conseil d’État était-elle prévisible ?
Arthur de Dieuleveult : La décision du Conseil d’État n’était pas prévisible mais elle n’est pas étonnante pour autant. D’une part, on savait depuis 2005 que la liberté du culte reconnue par la déclaration des droits de l’homme et du citoyen et par la convention européenne des droits de l’homme avait un caractère fondamental, que cette liberté ne se limitait pas au droit de tout individu d’exprimer les convictions religieuses de son choix et qu’elle comprenait plusieurs composantes dont la libre disposition des biens nécessaires à l’exercice du culte (Conseil d’État, Commune de Massat, 2005, req. n° 284307). Il est donc heureux que le Conseil d’État vienne confirmer à nouveau son caractère fondamental et en préciser une nouvelle composante essentielle, à savoir “le droit de participer collectivement à des cérémonies en particulier dans les lieux de culte”.

“Le Conseil d’État n’a pas hésité à considérer que l’interdiction générale et absolue défendue par le gouvernement était manifestement illégale et disproportionnée.”

D’autre part, les requérants pouvaient sans rougir faire des demandes qui présentaient un caractère irréversible même si en principe le juge des référés est le juge du provisoire. En matière de liberté de réunion, le Conseil d’État s’était reconnu la possibilité d’ordonner à l’administration de prendre toute disposition de nature à sauvegarder une liberté lorsqu’une mesure provisoire ne serait pas suffisante pour mettre un terme à la violation (Conseil d’État, 30 mars 2007, Association Témoins de Jéhovah, req. n° 304053). Les requérants étaient donc recevables à demander la modification du décret pour que soient prises les mesures proportionnées aux risques sanitaires.

En rendant cette décision, qu’est ce que le Conseil d’État a admis ?
Le Conseil d’État n’a pas hésité à considérer que l’interdiction générale et absolue défendue par le gouvernement était manifestement illégale et disproportionnée par rapport aux circonstances. Il a admis avec les requérants : qu’il n’était pas possible de justifier une telle interdiction sur la base de l’affaire du rassemblement de l’église évangélique, que le décret du 11 mai 2020 prévoyait des règles moins répressives pour d’autres activités (transports, commerces, bibliothèques…), que si la plupart des réunions et rassemblements restent interdits dans les établissements recevant du public, les activités et les libertés en cause ne sont pas comparables, et, enfin, que l’interdiction de principe avait été essentiellement motivée par la volonté de limiter le mieux possible les activités présentant un risque élevé de contamination et non par l’impossibilité de mettre en œuvre des mesures de sécurité au sein des lieux de culte, pour preuve, les nombreuses propositions des représentants des divers cultes à ce sujet.



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Juridiquement parlant, qu’est-ce que permet le référé ?
Le référé liberté offre au juge administratif la possibilité « d’ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale » et ce dans un délai très bref sous réserve que les conditions suivantes soient réunies : l’existence d’une urgence, la mise en cause d’une liberté fondamentale et une atteinte grave et manifestement illégale à cette dernière. Le juge des référés est donc le juge incontournable en période d’état d’urgence où les libertés fondamentales sont mises sous le boisseau. Il était naturel que les défenseurs de la liberté du culte catholique qui présente une spécificité en raison de la vie sacramentelle saisissent le Conseil d’État pour que celui-ci rappelle le gouvernement à la raison : les usagers de la bicyclette l’avait bien fait, les catholiques auraient eu tort de ne pas leur emboiter le pas.

Après avoir admis la violation de la liberté de culte, le Conseil d’État, loin d’enjoindre le gouvernement, semble ici se borner à un simple rappel à la loi.

Quel texte était spécifiquement en cause ?
L’instruction a été chaotique pour les requérants en raison de la modification successive des textes depuis le décret du 23 mars en passant par le décret du 11 mai faisant lui-même place à un nouveau décret du même jour… Le débat s’est finalement concentré sur le décret du 11 mai 2020 en son Article 10 – III qui prévoyait que : « Les établissements de culte, relevant du type V, sont autorisés à rester ouverts. Tout rassemblement ou réunion en leur sein est interdit ».

Quelle suite donner à cette décision ?
Si la décision du Conseil d’État est très satisfaisante dans son principe, elle laisse en revanche un certain nombre de questions en suspens. Le Conseil d’État demande au gouvernement de modifier le décret pour faire cesser l’atteinte portée à la liberté du culte et pour prendre des mesures strictement proportionnées au risque sanitaires. Dont acte. En réalité, il ne fait que reprendre les dispositions de l’article L. 3131-15 du code de la santé publique qui prévoit que “les mesures prescrites en application du présent article sont strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu”. Après avoir admis la violation de la liberté de culte, le Conseil d’État, loin d’enjoindre le gouvernement, semble ici se borner à un simple rappel à la loi.

“Le Conseil d’État donne au gouvernement quelques pistes pour le guider dans l’écriture d’un règlement des cultes.”

Ceci étant dit, le Conseil d’État donne au gouvernement quelques pistes pour le guider dans l’écriture d’un règlement des cultes. Il vise l’avis du Haut Conseil à la santé publique dont les préconisations pourraient être transposables aux cultes. Il évoque les propositions concrètes faites par les représentants des cultes depuis le début du confinement pour rétablir le culte dans les meilleures conditions possibles. En toute hypothèse, le Conseil d’État n’incite pas le gouvernement à rétablir les cultes uniquement dans le cadre de réunions de dix personnes quoique la lecture du considérant 34 pourrait le laisser penser : c’est bien vers un déconfinement similaire à celui des centres commerciaux etc. que les croyants se dirigent.

Certains pouvaient pourraient conclure que cette décision ne sert à rien et ne soit en réalité qu’une traduction judiciaire d’une situation politique : on sait que le gouvernement envisageait déjà la reprise des cultes aux alentours du 28 mai prochain, or, cette date coïncide avec la fin du délai de huit jours donné au gouvernement pour réglementer la reprise du culte. Mais je pense qu’il était essentiel que le Conseil d’État se prononce sur cette question vitale et prenne une telle injonction afin qu’il y ait vraiment un avant et un après 28 mai 2020.

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