À l’occasion des 100 ans de l’anniversaire de Karol Wojtyła, le cardinal Philippe Barbarin revient pour Aleteia sur la figure de Jean Paul II qui a marqué des générations entières de croyants et de non-croyants. Un décryptage qui permet de suivre le fil rouge d’un pontificat charnière, au tournant du nouveau millénaire. Entretien.
En retraite spirituelle en Terre sainte, le cardinal Philippe Barbarin, ancien primat des Gaules et archevêque de Lyon, publie avec la Fondation Jean Paul II, Cercle de Belgique, Jean Paul II, Pierre au tournant du nouvel millénaire. Un livre-portrait esquissé par celui qui a rencontré Karol Wojtyla au moment où sa vocation sacerdotale se décidait. Quel était le secret de la force de Jean Paul II, de sa parole si claire ? D’où venait sa foi si ancrée dans une relation mystique avec le Christ ? Son pontificat influence-t-il toujours l’Église d’aujourd’hui ? Retour sur la destinée exceptionnelle de celui qui a fait entrer l’Église dans le 3ème millénaire. Entretien.
Aleteia : Dans votre livre, vous dites que Jean Paul II avait le charisme de saint Pierre à 100%. En quoi voyez-vous cette ressemblance ?
Cardinal Philippe Barbarin : Depuis toujours, j’ai été frappé par la proximité entre la figure de saint Pierre, telle que le Nouveau Testament nous la montre, et Karol Wojtyła. Cet homme choisi par Dieu avait le charisme de saint Pierre à 100%. C’est ce qui m’a touché chez lui : la force de la parole, la liberté, la présence, peut-être aussi ses fragilités et ses faiblesses que je ne connais pas. En le voyant, on avait vraiment l’impression d’entendre Jésus lui dire : « tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Église » (Mt 16, 13-19) Et ce que je vais faire avec toi, ça sera du solide… De fait, à l’époque, il y avait la tourmente communiste dans les pays d’Europe de l’Est, et chez nous aussi, la grande tourmente de l’après « mai 68 » qui a bouleversé l’Église occidentale : Dans les années 70-80, des milliers de prêtres ont quitté le sacerdoce en France ! C’était un vrai traumatisme, on se demandait jusqu’où cela irait, si tout allait s’effondrer.
Sa vie, sa personnalité, son action et sa parole étaient transparentes. Tout était clair en lui, et quand ses portes «s’ouvraient», on voyait bien que le Christ avait établi en lui sa demeure.
Pour y faire face, il fallait la force et la clarté. Ce qui nous a frappés dans la personne de Jean Paul II, c’est justement cela : la solidité des fondations, les piliers de la foi et la clarté de toute sa personne. Une parole forte, rassurante, simple qui communiquait sa foi tout au long de son pontificat. Au début, il était un homme fort. Au Parc des Princes (juin 1980, ndlr), le cardinal Marty lui avait dit « Vous êtes le sportif de Dieu » ! J’y étais, cela nous avait marqués. Tous les jeunes venaient vers le Pape, comme attirés, parce qu’ils voulaient « voir ça » ! C’était très joyeux. Mais après quand il s’est affaibli – l’attentat, le cancer, la maladie de Parkinson…, nous avons vu un autre aspect de la force de Dieu à l’œuvre en lui dans sa mission, dans sa parole. L’enseignement était toujours aussi solide et limpide.
C’était Pierre, qui était là, tout simplement, devant une foule de jeunes, celui sur lequel Jésus continue de bâtir son Église. Un charisme pétrinien exceptionnel !
Je me rappelle, par exemple, la forte interpellation aux jeunes, lors des JMJ de 89, à Compostelle : « N’ayez pas peur d’être des saints. » C’était Pierre, qui était là, tout simplement, devant une foule de jeunes, celui sur lequel Jésus continue de bâtir son Église. Un charisme pétrinien exceptionnel ! Sa vie, sa personnalité, son action et sa parole nous paraissaient transparentes. Il y avait certainement, en lui comme pour tout le monde, les dégâts du péché, mais il y avait d’abord son grand cri : « Ouvrez toutes grandes les portes de votre vie au Christ ». Et nous comprenions que c’était vrai, qu’il fallait ouvrir pour que le Christ puisse établir en nous sa demeure. Et l’on sentait qu’en lui, vraiment, tout était ouvert à Jésus !
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Comment avez-vous réagi à son élection le 16 octobre 1978 ?
On murmurait sur la place Saint-Pierre : «Ah bon ! Le cardinal de Bologne… – Non ! Un cardinal de Pologne.» Et aussitôt il confirmait cette étonnante nouvelle en disant, dans un italien bien maîtrisé, qu’il arrivait « de Polonia, un paese lontano ». Personne n’avait imaginé pareil événement, une telle élection ! Mais le fait était là, avec sa force incroyable. Je revoyais cette scène chaque fois que, sur les routes du pèlerinage épuisant que nous faisions avec des foules de jeunes, quelques années plus tard, de Varsovie à Częstochowa, nous chantions ces paroles, inspirées de l’épître aux Corinthiens (1Co 3, 16), que les Polonais nous avaient apprises : «Czy Wy wiecie że jesteście…?» «Savez-vous que vous êtes des sanctuaires remplis de l’Esprit Saint, pleins de force, de grâce et de gloire ? » Et au deuxième couplet, ces mêmes paroles évoquaient le pape : «Savez-vous que nous avons un pape en qui demeure l’Esprit Saint ? Un pape rempli de force, de grâce et de gloire. » Trois mots qui lui allaient vraiment très bien !
Ce charisme de Jean Paul II, influence-t-il toujours l’Église d’aujourd’hui ?
Il ne risque pas de faire défaut à l’Église ! Mais il est plus ou moins manifeste selon les personnes qui assument les charges pastorales. Le théologien Hans Urs von Balthasar explique qu’il y a, selon lui, quatre grâces essentielles qui se croisent et se complètent dans la construction de l’Église. Outre la place de Pierre, Balthasar insiste sur le charisme johannique, qui est celui du silence, de la contemplation et de l’union intérieure au Christ. Il montre comment saint Jean est toujours à côté, comme caché… dans le dos de saint Pierre. Et lui, saint Jean n’a jamais trahi Jésus ; il l’a suivi jusqu’à la croix, dans la fidélité de l’amour et déchirement de la souffrance. Ce charisme johannique de l’amour contemplatif – en ce moment, je suis dans un monastère de religieuses contemplatives en Terre Sainte – il ne fera jamais de bruit, mais il est majeur.
Nous avons vu, dans toute sa force et sa beauté, le charisme de saint Pierre, à qui Jésus avait dit juste avant la Passion : « Toi, donc, quand tu seras revenu, affermis tes frères ».
Quand Pierre se trouve devant le Sanhédrin, Jean est juste à côté de lui, présent et silencieux. Il ne dit rien, c’est toujours Pierre qui parle. Mais cette présence de Jean apporte certainement beaucoup à Pierre, intérieurement. Ensuite, il y a le charisme de Paul, celui qui parcourt le monde pour annoncer l’Évangile. Paul, toujours audacieux, prend beaucoup d’initiatives. Parfois même, il s’oppose franchement à Pierre, quand celui-ci a peur de ce qui est un peu nouveau. Balthasar explique enfin le charisme de Jacques, celui qui prend la parole, au nom des racines juives de notre foi. Il n’a pas quitté Jérusalem, n’est allé ni dans l’actuelle Turquie, ni en Grèce. Mais il cherche avec tout le monde comment l’Église doit discerner la volonté de Dieu au point où elle en est de sa mission. Il écoute, réfléchit et prie, puis il donne son avis, librement. Voilà, la belle diversité des charismes dans l’Église. Ma joie, c’est que, dans le pape Jean Paul II, l’Église a reçu un beau cadeau « pétrinien » ! Nous avons vu, dans toute sa force et sa beauté, le charisme de saint Pierre, à qui Jésus avait dit juste avant la Passion : « Toi, donc, quand tu seras revenu, affermis tes frères » (Luc 22, 32).
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Comment avez-vous rencontré Karol Wojtyla ?
Nous sommes en mars-avril 1976. Avec un groupe de jeunes de la basilique de Montmartre conduit par le père Michel Gitton, nous parcourons la Pologne en y vivant une semaine de pèlerinage : Varsovie, Częstochowa, Cracovie… Il fait encore froid ; nous effectuons de belles rencontres avec des étudiants et des groupes de jeunes dans les aumôneries et les paroisses ; beaucoup de chants, car l’obstacle de la langue rend difficiles les échanges. On voit des files d’attente devant les magasins à cause de l’approvisionnement qui pose des problèmes et devant les confessionnaux – une ferveur de carême que nous aimerions connaître en France et en d’autres pays ! Parmi les jeunes qui nous accompagnent, il y a une jeune fille qui s’appelle Agnès Kalinowska, la filleule du cardinal Wojtyla.
Voilà la forte impression de ma première rencontre avec le futur pape. Un homme plein de force, de grâce, de présence et d’attention.
Elle nous propose de lui rendre visite. Mais quand nous arrivons sur place, le Cardinal n’est pas là. Dans la cour de l’archevêché, je fais la rencontre de son grand ami de toujours, le père Marian Jaworski, forte personnalité, très proche de Wojtyla, depuis l’époque où ils travaillaient tous deux à leur thèse en théologie. On l’appelle « le chef ». Il nous propose d’attendre le Cardinal, qui vient de terminer la retraite prêchée au pape Paul VI et à la Curie romaine. En rentrant de Rome, il s’est posé à Varsovie et il est allé saluer le Primat, le cardinal Wyszynski. Il ne devrait pas tarder. Dès son arrivée, il salue longuement Agnès qu’il n’avait pas vue depuis longtemps, et il lui demande en me montrant du doigt : « Et lui, qui est-ce ? – Philippe, un séminariste qui va bientôt être ordonné diacre. – Venez, suivez-moi», dit-il. Nous montons l’escalier qui conduit à sa chapelle et à son bureau. Dans l’escalier, il s’arrête près d’une fenêtre, prend Agnès par les épaules et lui dit : « Viens ici, approche-toi de la lumière… que je voie qui tu es devenue, maintenant. » Voilà la forte impression de ma première rencontre. Un homme plein de force, de grâce, de présence et d’attention.
J’en ai reçu une preuve surprenante l’année suivante. Quand arriva la date de mon ordination sacerdotale, j’ai envoyé un faire-part à l’archevêque de Cracovie. Il m’a répondu en me confiant à l’intercession de Notre-Dame de Częstochowa. Cela m’a réjoui, bien sûr, mais ne m’a pas trop surpris. En revanche, deux personnes furent autrement étonnées… ce sont mes parents, qui ont reçu en même temps une lettre dans laquelle le cardinal Wojtyła les félicitait et les remerciait : «Votre fils va être ordonné prêtre. Au moment où tout l’amour que vous lui avez donné va être offert à ceux qu’il servira tout au long de sa vie, en leur nom et au nom de l’Église, je tiens à vous en remercier.» C’était aussi simple que magnifique.
Lorsqu’on on entrait dans sa chapelle, on ne voyait que son dos, comme un rocher, un bloc de prière. Quand on disait la Messe à côté de lui, on était avec un prêtre entièrement plongé dans le Mystère qu’il célébrait.
Quel homme était-il ?
Une belle figure d’humanité ! Bien sûr, le Christ était la lumière de sa vie, et sa passion était de servir l’homme, toute la société. Cela se voit dès le titre de sa première encyclique, Le Rédempteur de l’homme. Un exemple de prêtre, un exemple de pasteur. Un combattant aussi : il a été prêtre et évêque dans des conditions difficiles. Vraiment un homme de prière. Lorsqu’on on entrait dans sa chapelle, on ne voyait que son dos, comme un rocher, un bloc de prière. Quand on disait la Messe à côté de lui, on était avec un prêtre entièrement plongé dans le Mystère qu’il célébrait. Je me souviens d’un jeune de 19 ans (aujourd’hui prêtre en Bretagne) qui, à la sortie de la Messe à laquelle nous avions été invités un matin, à Castel Gandolfo, s’est approché pour me partager ses impressions. Et il m’a dit tout simplement : « Le pape, c’est un prêtre qui dit la Messe ! » Un prêtre comme les autres… avant tout, un prêtre… C’était bien vu !
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Ensuite, à côté de sa dimension spirituelle, il y avait le travail intellectuel. C’est un homme qui a toujours beaucoup travaillé, lu les philosophes, les mystiques, la littérature. Il rencontrait beaucoup de monde, les scientifiques ou les artistes… ses frères prêtres et évêques. Il avait soif d’écouter, de poser des questions… Pour moi, jeune prêtre, il m’a donné cette conviction que l’on ne doit pas se laisser accaparer par les activités de la paroisse, même si c’est très important… Un prêtre, c’est d’abord quelqu’un qui prie, qui revient constamment à la recherche de Dieu, à la lecture de la parole de Dieu, à l’approfondissement de la doctrine chrétienne, pour rester fort, désireux et capable de transmettre le message du salut dans le langage contemporain.
Avec ses amis, les Poltawski, j’ai visité les forêts où ils passaient quelques semaines de vacances chaque été. C’est là d’ailleurs, que Wanda Poltawska s’est précipitée pour lui annoncer, en août 1978, la mort de Jean Paul Ier, qu’elle venait d’apprendre à la radio. Aussitôt, il est parti seul dans la montagne, m’a-t-elle dit.
Enfin, je voudrais dire qu’il était vraiment un homme. Un homme comme tout le monde qui aime chanter avec un groupe ou une famille. Un amoureux du sport, du théâtre, des promenades en forêt, en canoë-kayak dans la rivière Dunajec, des marches dans la montagne, avec une belle passion pour le ski… Avec ses amis, les Poltawski, j’ai visité les forêts où ils passaient quelques semaines de vacances chaque été. C’était très simple. Il y avait la prière, le repas, la famille, les baignades et les randonnées… C’est là d’ailleurs, que Wanda Poltawska s’est précipitée pour lui annoncer, en août 1978, la mort de Jean Paul Ier, qu’elle venait d’apprendre à la radio. Aussitôt, il est parti seul dans la montagne, m’a-t-elle dit. Il est revenu quelques heures plus tard, a ramassé ses affaires et repris le chemin de Cracovie, pour se préparer à partir à Rome.
De tout l’enseignement de Jean Paul II, quel est le plus important pour vous ?
En réalité, dans son enseignement, le plus admirable n’est pas tellement la nouveauté de ce qu’il dit. Certes, il y a des choses qu’on n’avait jamais encore entendues, notamment sur la vie conjugale, l’anthropologie et la théologie du corps, la lumière venue de l’au-delà sur le présent de notre condition humaine… Mais ce que j’aime surtout chez lui, ce ne sont pas tant les idées nouvelles que la clarté de l’ensemble. Je prends un exemple. Une des lectures de ces derniers jours, c’est Jean au chapitre 14 : « Moi je suis le Chemin, la Vérité et la Vie », dit Jésus à Thomas. Ensuite, il y a la question de Philippe « Montre-nous le Père », à laquelle Jésus répond : « Qui m’a vu a vu le Père ». Elle est suivie par la question de Jude, souvent oubliée ou négligée : « Seigneur, comment se fait-il que tu doives te manifester à nous et non pas au monde ?» (v. 22). Jésus explique alors à Jude que tout ce qui est donné aux Apôtres doit, évidemment, être partagé, annoncé dans le monde. Et l’Esprit Saint nous enseignera tout, il nous montrera comment faire (v. 26). La tâche est immense. Tout le monde connaît la phrase du Seigneur, dite par le célébrant à chaque messe, juste avant la communion : «Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix » (v. 27). Mais je crois que bien peu ont remarqué qu’elle fait partie de la réponse à la question de Jude. Certains, probablement, l’entendent comme douce et redondante : la paix, ma paix… oui, c’est un beau cadeau que je vous fais ! Mais, à mon avis, elle ne l’est pas : « Je vous laisse la paix », c’est une mission que le Seigneur nous confie. Et, comme il sait que c’est une mission impossible (qui ne nous laissera jamais en paix !), pour nous réconforter, il ajoute : « Je vous donne ma paix ». A la messe, c’est comme une invitation : « Venez communier ! Ce pain vivant vous gardera en paix, dans tous les combats que vous allez devoir mener !
Jean Paul II a dit des choses très simples, mais dans l’ordre et avec une grande force.
Les trois premières encycliques de Jean Paul II suivent la logique de cette catéchèse de Jésus. D’abord Redemptor Hominis en 1979 : celle qui nous révèle que le Christ est le Rédempteur de l’homme : « Il est le Chemin, la Vérité et la Vie ». Ensuite, deuxième encyclique en 1980 : Dives in Misericordia : le Christ nous conduit vers le Père, et le Père est un trésor de miséricorde. Troisièmement – et on retrouve la question de Jude qui interroge Jésus pour savoir s’il va se manifester au monde, c’est l’encyclique Laborem Exercens (1981) sur le travail. Car la tâche est immense : il faut aller dans le monde, construire et poursuivre l’œuvre de Dieu créateur. En réalité, Jean Paul II a dit des choses très simples, mais dans l’ordre et avec une grande force.
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Vous dites que ses trois premières encycliques et ses quatre premiers voyages disent tout de Jean Paul II…
Pour moi, c’est frappant. Son premier voyage c’est à Puebla de Los Angeles au Mexique, en janvier 1979. Il va dans le Nouveau monde, celui des pays nouvellement évangélisés. Il vient pour l’assemblée du CELAM, la réunion de tous les évêques d’Amérique latine. Il incarne alors le charisme de saint Paul : il faut évangéliser jusqu’au bout du monde. Son second voyage sera en Irlande et aux États-Unis, où on lui reproche son soi-disant manque de modernité. Là, il arrive avec l’autorité de Pierre : « Je suis le successeur de Pierre, c’est la grâce et la mission d’écouter, puis de décider ! » Autant dans le premier voyage, on voyait tout le dynamisme révolutionnaire de l’Église, autant on comprend, dans le deuxième, que Pierre sera le rocher de l’unité. « Tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Église. »
Le troisième voyage, c’est la Pologne. Nous le suivons avec une certaine stupéfaction. C’est un peu comme si le Pape disait à toute l’Église dont il était devenu depuis quelque mois le pasteur universel : « Moi aussi, j’ai mes racines, je ne peux pas et ne veux pas les oublier, les laisser de côté ».
Le troisième voyage, c’est la Pologne. On est en juin 1979. Un moment extraordinaire, pour tout le peuple polonais et pour lui ! Nous le suivons avec une certaine stupéfaction. C’est un peu comme si le Pape disait à toute l’Église dont il était devenu depuis quelque mois le pasteur universel : « Moi aussi, j’ai mes racines, je ne peux pas et ne veux pas les oublier, les laisser de côté ». Un peu comme si Jésus nous disait : « Moi, j’ai mes racines, c’est le judaïsme. Et vous tous, mes disciples, vous qui êtes les membres de mon corps, vous êtes aussi enracinés dans le judaïsme » ! Le christianisme va partir au bout du monde, à l’imitation de saint Paul. Il trouve son unité autour de la figure de Pierre, qui fortifie ses frères dans la foi. Le christianisme est hérité de la terre de nos pères, de nos ancêtres, depuis des siècles. Jean Paul II évoque la figure de saint Stanislas. Et quand il parle de la culture polonaise, de ses propres racines, il nous rappelle que nous tous, chrétiens, avons nos racines dans le judaïsme.
Le quatrième voyage est complètement différent ; il veut rendre visite à son frère, le Patriarche Bartholomeos de Constantinople, le 30 novembre 1979. Pour cela, il doit atterrir à Ankara : pas de foule en liesse. Il est accueilli par le Président de la République, il passe en revue l’armée, ce qui n’est pas tellement dans sa mission ni dans son style. Mais c’est ainsi, il vient voir son frère, il vient visiter et embrasser chez lui le successeur de saint André, son frère ! C’est un voyage étonnant. Il n’y a pas ni grandes messes ni grands discours, c’est une visite, une rencontre, une discussion fraternelle. Celui qui a un contact exceptionnel avec les foules sait aussi faire des voyages simples, juste par affection fraternelle. Oui, pour moi, les trois premières encycliques et les quatre premiers voyages disent tout de Jean Paul II.
Si vous deviez choisir une seule image de son pontificat… ?
Il y en a trois images essentielles qui me restent de son pontificat. La première, c’est celle de son apparition à la fenêtre, le jour de son élection. La seconde, c’est celle de l’attentat : le rocher s’effondre, il se trouve au bord de la mort. Le monde entier attend, hésite ; nous prions intensément, en toute confiance : Que la volonté de Dieu soit faite !
Dès le moment de son élection, le cardinal Wyszynski lui avait dit : « c’est toi qui feras entrer l’Église dans le 3ème millénaire. Tout de suite, il a compris que ce Jubilé serait le sommet de son pontificat.
La troisième, c’est sa fascination pour le jubilé de l’an 2000. Dès le début de son pontificat, il est préoccupé par l’entrée de l’Église dans le troisième millénaire. Pour lui, l’Église n’était pas prête. Le Jubilé de l’an 2000 a été formidablement organisé par lui à Rome ! On avait l’impression qu’il avait vécu les vingt premières années de son pontificat pour préparer ce Jubilé ! Dès le moment de son élection, le cardinal Wyszynski lui avait dit : « c’est toi qui feras entrer l’Église dans le 3ème millénaire. Tout de suite, il a compris que ce Jubilé serait le sommet de son pontificat.
Et vous me permettrez d’en ajouter une quatrième. Après la chute du mur de Berlin, en novembre 89, son premier voyage, en janvier-février 1990, a été pour l’Afrique. Et au Burkina Faso, il a poussé un grand cri contre la misère. Certes, il était heureux que le premier et le deuxième monde se retrouvent, que son pays et les satellites de Moscou puissent rejoindre l’Europe, mais, avec une force exceptionnelle, il a demandé au monde que cette joie ne fasse oublier le Tiers-Monde.
Voyez-vous en lui la sainteté ?
La sainteté, c’est le mystère de Dieu dans une personne. J’ai en tête une scène saisissante. Nous rentrons dans sa chapelle, un matin d’août 1983, à Castel Gandolfo, et je le vois du dos. Il est comme un « bloc de prière ». Je ne sais pas ce qui se passe. Est-il dans la contemplation, la méditation de la Parole de Dieu ? On a l’impression que la force de sa sainteté, c’est ce contact personnel, secret, profond avec Jésus et avec l’Eucharistie. Il y a aussi son attachement étonnant au Chemin de la Croix ! Moi, je fais le chemin de la croix les vendredis du Carême. Lui, le faisait tous les vendredis. La sainteté, c’est comment toi, lui ou moi, nous sommes attachés à Jésus. « Toi seul es saint, Toi seul es Seigneur, Toi seul es le Très Haut, Jésus-Christ… » disons-nous dans le Gloria. Chacun d’entre nous, nous avons une manière particulière, personnelle, d’être attaché à Jésus : par l’adoration eucharistique, par l’amour de sa mère la Vierge Marie, par l’amour de la Parole de Dieu. Je crois que le secret de Jean Paul II, c’est son attachement à la Vierge Marie et son attachement à la Passion de Jésus. Je le vois encore en prière devant le Saint Sacrement, quand nous sommes entrés dans sa chapelle, un matin d’août 83, à Castel Gandolfo. Le plus important, le secret de sa prière, je ne le sais pas… C’est Dieu qui voit la sainteté de chacun de ses enfants, comment ça se passe à l’intérieur des cœurs, quels sont nos combats. Jean-Paul II a eu les siens… et tout cela, je ne le sais pas !