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Birthe Lejeune, comme une vigne généreuse…

Birthe Lejeune

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Aude Dugast - publié le 09/05/20
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Postulatrice de la cause de canonisation de Jérôme Lejeune, Aude Dugast rend hommage à son épouse, qui vient d’être rappelée à Dieu à l’âge de quatre-vingt-douze ans, et qu’elle a connue de près. « Il suffit d’avoir rencontré une seule fois Birthe Lejeune pour comprendre qu’on avait en face de soi une femme extra-ordinaire. »Madame Jérôme Lejeune, l’épouse de notre cher Professeur Lejeune, s’en est allée ce mercredi 6 mai, comme elle a vécu, simplement. Birthe a rendu son âme à Dieu dans la chambre de sa vieille maison, aux pieds de Notre-Dame de Paris, au milieu de sa nombreuse famille rassemblée pour la soigner et l’aimer jusqu’à son dernier souffle. Tant de choses auraient à nous raconter ces murs qui virent Jérôme et Birthe s’installer aux premiers jours de leur mariage, y élever leurs cinq enfants, y déployer leurs talents au service des petits patients de Jérôme et de la beauté de toute vie humaine.  

Avec Birthe, comme avec Jérôme, tout était simple : impossible de laisser sans soin et sans recherche thérapeutique les patients trisomiques, impossible de ne pas les défendre contre des lois eugénistes, impossible enfin de dire le contraire de ce que l’on pense et de ne pas vivre comme on pense. Donc soignons, cherchons, défendons, et avançons sans peur malgré les oppositions et les vexations. Ce qu’ils firent ensemble depuis le jour de leur mariage, le 1er mai 1952 jusqu’au rappel à Dieu de Jérôme, le 3 avril 1994.



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Seule, aidée de sa famille, Birthe reprit le flambeau et créa la Fondation et l’Institut Jérôme-Lejeune pour poursuive l’œuvre de son mari. Elle en devint l’ambassadrice, la référence respectée, inspirante et aimée. Aujourd’hui, 25 ans plus tard, la consultation médicale spécialisée de l’Institut Jérôme-Lejeune, la plus importante d’Europe, accueille chaque année 10 000 patients. La Fondation est l’un des premiers financeurs de la recherche thérapeutique sur le handicap mental d’origine génétique. Tant de chemin parcouru !

Rien sans elle

Chacun des deux époux avait cette simplicité, cette liberté intérieure, née de leur unité de vie. Si ces qualités du Pr Lejeune ont forcé l’admiration même de ses détracteurs, elles sont aussi présentes chez Birthe, d’une autre façon. Jérôme, aimanté par la vérité, vivait et agissait selon l’inconditionnel amour puisé dans l’Évangile qui gouvernait sa vie : « Ce que vous avez fait au plus petit d’entre les miens, c’est à moi que vous l’avez fait. » Birthe tirait sa force de son admiration immense pour son mari. Il était sa référence, son critère d’action.

Il serait faux de l’imaginer pâle figure, effacée et secondaire. Au contraire, elle fut plus qu’un bras droit, elle fut la moitié de Jérôme.

Mais il serait faux de l’imaginer pâle figure, effacée et secondaire. Au contraire, elle fut plus qu’un bras droit, elle fut la moitié de Jérôme. Il ne décidait rien sans elle, lui confiait tout, lui racontait tout, hors secret médical bien sûr, et ils s’écrivaient chaque jour passés loin l’un de l’autre, en se racontant avec affection les détails du quotidien. Cette correspondance rassemble deux milles lettres, formant un journal à quatre mains 

Un sens politique aigu

En plus de ses qualités d’écoute et de conseil, elle avait une finesse d’analyse et un sens politique si aigu qu’elle pressentait avec une incroyable justesse les développements médiatiques et politiques qui ne manquèrent pas d’envahir le paysage français au moment des lois sur l’avortement dans les années soixante-dix, puis plus récemment sur la fin de vie. Jamais de grandes dissertations, mais en quelques mots, entre deux verres de café noir, elle soulignait les risques à venir, appelait à la vigilance et à l’action. Par son énergie presque épuisante pour ceux qui ne jouissaient pas de la même constitution, Birthe était aussi d’une efficacité redoutable. Aussitôt dit, aussitôt fait. Et quand vous tentiez de résister pour gagner quelques minutes vous compreniez vite, à sa détermination calme mais sans appel, que le plus simple était de céder sur le champ. Jamais un mot plus haut que l’autre, jamais un mauvais mot contre quiconque, pourtant elle avait une mémoire d’éléphant et se souvenait des trahisons et des affronts.



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Par fidélité à son mari qui pardonnait toujours, elle avait appris à passer outre. D’ailleurs, elle était ancrée dans la vie, tournée vers l’avenir ; le passé ne l’intéressait pas, surtout quand il n’était pas joli. Les seuls souvenirs qu’elle racontait volontiers étaient ceux, liés à leur expérience de terrain et de débat d’idées, qui pourraient former notre jugement. Elle ne se souvenait pas par mélancolie, un mot qu’elle ne connaissait pas, mais pour être efficace aujourd’hui.

Une seule famille

Il suffit d’avoir rencontré une seule fois Birthe Lejeune, pour comprendre que, derrière cette éternelle cigarette aux lèvres, ces cheveux coiffés « en noix de coco » comme elle aimait à se décrire en riant, cet accent danois dont elle ne réussit jamais à se défaire totalement, on avait en face de soi une femme extra-ordinaire, au sens le plus vrai du terme. Le premier abord pouvait déconcerter les visiteurs souhaitant rencontrer l’icône, la femme du grand Professeur Lejeune, dont le procès de canonisation est en cours à Rome. Mais très vite on était séduit par sa simplicité désarmante et sa générosité. 

Sa table, comme son cœur, était toujours ouverte, toujours assez grande pour accueillir.

Ceux qui ont eu la chance de participer aux dix premières années de la Fondation Jérôme-Lejeune, dont les bureaux s’étalaient alors dans la maison de Birthe, se souviennent avec bonheur de ces déjeuners quotidiens qui réunissaient collaborateurs et invités. Dix ou quinze personnes, chaque jour, s’asseyaient à la table de Birthe. Celle-ci faisait les courses et préparaient le repas, simplement, comme si tout cela était absolument naturel du haut de ses soixante-dix puis quatre-vingts ans. Et les invités, variés — nonce apostolique, académicien, famille de patient, ministre, ami ou simple connaissance — tous autour de la table, ne formaient plus qu’une seule famille grâce à la simplicité et la générosité de Birthe. Sa table, comme son cœur, était toujours ouverte, toujours assez grande pour accueillir.

La mémoire du cœur

À quatre-vingts ans, quand la Fondation déménagea à l’autre bout de Paris, Birthe prit sans sourciller le métro chaque jour pour rejoindre son nouveau bureau d’où elle entretenait une correspondance personnelle avec des milliers de donateurs. Sa mémoire du cœur lui permettait de se souvenir de chacun et contribuait à faire de la Fondation Lejeune une grande famille penchée sur les personnes souffrant d’un handicap mental. Très connectée, maniant sa tablette, son téléphone portable et les applications en vogue avec une facilité tout à fait déconcertante, elle avait l’art de rester en relation avec les amis de toujours dans le monde entier. Tout naturellement elle devint l’ambassadrice autour du monde de l’œuvre qu’elle avait contribuée à fonder. Europe, États-Unis, Amérique Latine, rien ne l’arrête. Nommée membre honoraire de l’Académie pontificale pour la Vie et du Conseil pontifical pour la Santé par Jean-Paul II, à la suite de son mari, elle n’aurait raté sous aucun prétexte ces réunions annuelles au Vatican. L’amitié qui unissait Jérôme au Saint Père Jean-Paul II continuait ainsi de vivre à travers elle. 

Disponible, généreuse, efficace et discrète à la fois : Birthe était au service de la cause de la vie.

Infatigable, à 90 ans, elle assura encore aux États-Unis une tournée de conférences en anglais, la conduisant de New-York à Miami. À son retour, à peine atterrie, elle passa rapidement poser sa valise chez elle avant de se rendre à son bureau. En novembre dernier, quelques semaines avant l’apparition de sa maladie, j’eus l’honneur de partir avec elle à Madrid pour une conférence de lancement d’un livre sur son mari, suivi d’un dîner officiel. Un impératif le lendemain nous obligeait à partir pour l’aéroport à 4h30 du matin. Du haut de ses 91 ans, il n’y avait bien sûr aucun problème. Et pas de problème non plus pour participer le soir même à un conseil d’administration… 

« Jérôme est un saint »

Qu’il me soit permis pour finir, de partager deux souvenirs. Quand le procès de canonisation de Jérôme Lejeune débuta à Paris, en 2007, elle m’ouvrit grandes les portes de sa maison et de tous ses placards, me confia leurs deux milles lettres et me donna un trousseau des clefs de sa maison. Elle laissa les historiens libres de chercher partout et de la questionner à volonté. Avec discrétion elle était disponible mais jamais envahissante. Bien sûr elle serait très heureuse que Jérôme soit canonisé, mais quand on l’interrogeait à ce sujet elle disait simplement : « Moi je sais bien que Jérôme est un saint, cela me suffit. Sa canonisation ce n’est pas pour moi, c’est pour l’Église si Elle juge que c’est utile pour le monde. » 

Disponible, généreuse, efficace et discrète à la fois : Birthe était au service de la cause de la vie. En 1999, elle fut nommée chevalier de la Légion d’Honneur par le grand chancelier de l’institution, le général Douin, pour ses mérites et l’œuvre accomplie avec son mari. Au-delà de cette belle reconnaissance, amplement méritée, les mots choisis par le grand chancelier pour célébrer Mme Jérôme Lejeune résonnent encore à mes oreilles : « Ta femme sera dans ta maison comme une vigne généreuse, et tes fils, autour de la table, comme des plants d’olivier. Voilà comment sera béni l’homme qui craint le Seigneur » (Ps 127). 

 

Pour en savoir plus sur la vie de ce couple providentiel :

Jérôme Lejeune : la liberté du savant

© Artège

Jérôme Lejeune, la liberté du savant, Artège, avril 2019, 480 pages, 22 euros

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