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Face à Dieu, n’ayons pas peur d’être nous-mêmes !

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Jean-Michel Castaing - publié le 03/05/20
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L’Esprit du Ressuscité nous pousse à nous tourner vers Dieu avec franchise et une cordiale familiarité. La foi pascale bannit la peur ainsi que le conformisme.En s’incarnant et en devenant homme, le Verbe éternel, image parfaite de Dieu et expression exemplaire de l’attitude à adopter envers Lui, nous a révélé le Père en parlant à la première personne. Il n’avait pas besoin en effet de dire : “Au nom du Seigneur, je te guéris” puisqu’il était Dieu. Il pouvait donc dire en toute vérité : “Je te guéris”, de telle sorte que la personne à laquelle il s’adressait se trouve instantanément rétablie dans son intégrité physique, de la même façon que Dieu avait dit Fiat lux à l’origine pour que la lumière soit ! Or, ce privilège de dire souverainement “je”, c’est-à-dire de marquer sa singularité — sans prétention ni orgueil —, le Christ ne le garde pas jalousement pour lui mais il nous en fait le don. Partageant tout avec nous depuis sa résurrection, notamment sa filiation divine, et ne craignant pas de nous appeler ses frères, il va nous rendre capables d’assumer notre singularité en parlant, à son exemple, à la première personne.

Dieu cherche des adorateurs libres

La première conséquence d’une telle capacité à dire “je” consiste à assumer une liberté dans la vérité devant Dieu. L’Esprit du Ressuscité nous initie au vrai sens de l’authentique liberté de la foi. En effet, pour Jésus, et conséquemment pour nous, Dieu ne représente pas l’Absolu en face auquel rien n’existe. Au contraire, Il est le Père qui donne consistance au Fils, et en lui, aux fils adoptifs que nous sommes devenus à Pâques. C’est ainsi que la foi en la paternité divine représente pour les croyants un apprentissage de leur unicité devant Lui. En tant que fils, nous sommes tous uniques aux yeux de Celui qui est notre Père. Devant un Absolu, l’homme est un relatif, un relatif qui pèse peu et qui n’est guère séparable et distinguable de ses congénères. Devant un Absolu, ce n’est pas une personne qui se tient, c’est un tout-juste-quelque-chose qui se prosterne.

Il n’en va pas ainsi avec la foi chrétienne. Là où l’Absolu demande soumission inconditionnelle, le Dieu de Jésus-Christ ne dissocie jamais service divin et amour. Dieu ne veut à aucun prix d’une obéissance qui s’effectuerait sans amour, c’est-à-dire d’une obéissance où notre liberté et notre singularité n’entreraient pour rien. Prenons l’exemple de l’attitude de Jésus vis-à-vis de la Croix. Celle-ci est vécue par lui comme obéissance à la volonté du Père. Autrement dit, elle n’est pas subie, mais devient un acte découlant de sa liberté. Elle concrétise l’offrande qu’il fait de sa personne au Père et au monde. Et cette liberté souveraine de Jésus ne s’appuie pas sur une orgueilleuse revendication d’autonomie individuelle, mais sur Dieu, sur sa filiation divine, essentielle, consubstantielle à son être, par laquelle il est l’enfant chéri du Père. Ainsi le rapport à Dieu n’est plus vécu selon le schéma dominant-dominé, mais selon celui de l’échange et du dialogue. L’absolu divin est subverti : le Dieu chrétien est un partenaire, non un suzerain patriarcal.

Partenaires d’une Alliance

En régime chrétien, le croyant ne cesse jamais de dire “je” et de proclamer de la sorte l’irréductibilité et l’unicité de son être. Si ce n’était pas le cas, nous retomberions dans le monophysisme, cette hérésie selon laquelle la nature humaine de Jésus était absorbée par sa nature divine qui restait la seule (mono : “seul”; physis : “nature”). Il n’en va pas ainsi entre les deux partenaires de l’Alliance révélée :  Dieu et l’homme agissent en synergie, sans que l’un ne se confonde avec l’autre, ou bien que le premier n’absorbe le second.



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À cet égard il est intéressant de remarquer que ce sont les pays de tradition chrétienne qui valorisent le plus le sujet, la personne, et qui ont été à l’origine des droits de l’homme. L’explication en est simple : de tous les fondateurs de religion, Jésus est celui qui s’exprime le plus à la première personne du singulier. Ce n’est pas signe chez lui de mégalomanie ni d’égocentrisme. Mais “en s’amenant lui-même, il a amené toute nouveauté” (saint Irénée). Pour cette raison le Christ parle à la première personne du singulier. Cette nouveauté n’empêchera pas cependant Jésus de se réclamer d’une histoire et d’une tradition dont il assumera la dynamique.

La naissance historique de la subjectivité

Le Christ apprendra à ses disciples à dire “je”. Les signes avant-coureurs d’un tel “engendrement à la subjectivité” sont trop nombreux dans les évangiles pour être recensés ici dans leur exhaustivité. Prenons le second évangile : à l’occasion des multiples rencontres que fit Jésus au cours de son ministère public, il ne s’identifie jamais lui-même. Son identité est livrée à ceux qu’il fréquente ou qui le côtoient d’une façon ou d’une autre. D’ailleurs cette liberté laissée à ses interlocuteurs ne concerne pas uniquement les personnes historiques, mais aussi les lecteurs de l’évangile. Jésus appelle ses interlocuteurs au dialogue, à se positionner devant lui en toute liberté et à risquer ainsi un “je” personnel et unique. S’il désire ne jamais s’imposer et cacher son identité messianique, c’est à la fois pour éviter les malentendus au sujet du titre de messie, mais aussi afin de stimuler notre recherche personnelle. Le Christ recherche des amis, non des petits soldats ou des suiveurs qui se cachent derrière la masse ou l’opinion commune pour éviter de risquer une parole personnelle.


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