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Pourquoi le baptême de désir ne peut se passer de la célébration du sacrement

BAPTISM WOMAN

Un baptême d'adulte, lors de la Vigile pascale, le 4 avril 2015, à Saint-Ambroise, à Paris.

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Thomas Michelet, op - publié le 10/04/20
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Les catéchumènes qui ne recevront pas le sacrement du baptême à Pâques pourraient recevoir la grâce sans le rite. Mais le sacrement de désir n’efface pas le désir de la célébration du sacrement, et sa nécessité.

Nous ne l’oublierons sans doute pas de sitôt, cette année de pandémie où les chrétiens privés des sacrements doivent rester chez eux comme dans un long Samedi saint — lorsque ce n’est pas comme les apôtres après la Passion, qui demeuraient toutes portes closes dans la peur… (Jn 20, 19). La frustration sera d’autant plus grande pour Pâques, sommet de notre vie liturgique. Cette grande nuit où nous attendons vigilants la résurrection du Christ au matin de Pâques, jour nouveau de la Création nouvelle. Lieu par excellence du baptême, où les catéchumènes sont plongés dans les eaux du salut, ensevelis avec le Christ pour renaître avec lui à une vie nouvelle.

Les vertus du jeûne sacramentel

Or cette année, pas moins de 4.468 adultes devaient être baptisés à Pâques en France et ne le seront pas. Gageons que ce ne sera que partie remise, en espérant qu’ils pourront l’être au moins à la Pentecôte, autre jour traditionnel du baptême (Ac 2,41 : « Eux donc, accueillant sa parole, se firent baptiser. Il s'adjoignit ce jour-là environ trois mille âmes »). Le temps donc pour les catéchumènes de creuser davantage leur désir du baptême, et pour nous déjà baptisés de les porter plus spécialement dans la prière que les autres années, tout en nous interrogeant sur ce que nous avons reçu et ce que nous en faisons : « France, qu’as-tu fait des promesses de ton baptême ? »

Plus largement, ce temps de jeûne sacramentel prolongé nous aide à (re)découvrir l’importance des sacrements mais aussi leur régime de suppléance, en évitant là deux abîmes contraires : d’un côté, celui du catastrophisme (les sacrements ne sont pas le tout de la vie chrétienne, nous pouvons exercer en bonne partie notre sacerdoce baptismal) ; de l’autre, celui du minimalisme ou du relativisme (si l’on peut se passer des sacrements en régime d’exception, alors pourquoi ne pas en faire la règle ? Ce qui reviendrait à faire disparaître l’Église).

L’exemple des martyrs

D’où vient un tel régime de suppléance ? Est-ce une nouveauté ? Un lot de consolation facile pour s’accommoder de la pénurie ? Pas le moins du monde. Déjà dans l’Antiquité, de simples catéchumènes ont été canonisés alors qu’ils n’étaient pas baptisés, soit qu’ils sont morts martyrs — baptême du sang —, soit qu’ils ont été frustrés par une mort inopinée du baptême auquel ils se préparaient avec ardeur — baptême de désir, parfois appelé baptême de flamme ou de feu. Leur mort dans le Christ aura été leur baptême. Ils en ont reçu les fruits de grâce sans le rite, et sont ainsi membres de l’Église à part entière.

Peu à peu, cette doctrine a été généralisée à tous les sacrements, même en dehors du cas de la mort. C’est ainsi que l’on parle de « communion spirituelle », mais cela vaut aussi pour la confession. Le désir du sacrement (votum sacramenti) peut nous en donner le fruit si l’on est privé de sa célébration sans faute de notre part, pourvu qu’on en ait les mêmes dispositions spirituelles requises (la foi ; l’intention et le désir ; la charité pour les sacrements des vivants, ou la contrition pour les sacrements des morts).

La nécessité du rite

Une question se pose alors : à quoi bon être baptisé (ou se confesser) si l’on peut ainsi recevoir la grâce sans le rite ? Et si l’on a reçu la grâce comme par anticipation du sacrement, est-il bien nécessaire de le célébrer ensuite ? En voici quelques raisons.

Le sacrement de désir peut donner la grâce mais pas le caractère, cette marque invisible imprimée sur l’âme qui surélève l’agir pour pouvoir participer au sacerdoce du Christ dans les exercices du culte chrétien. Sans le caractère baptismal, nous n’avons pas accès aux autres sacrements, nous restons en dehors du régime chrétien de la visibilité de la grâce, nous ne pouvons pas accomplir notre sacerdoce baptismal.

Par le baptême, nous faisons alliance avec le Seigneur, et nous la renouvelons sous différentes modalités par les autres sacrements. Or l’alliance avec Dieu, comme toute alliance, ne se fait pas seulement en secret dans le cœur, mais elle doit être établie de manière visible, scellée par un acte public irrévocable. Ainsi, le sacrement de désir ne peut se satisfaire des mouvements du cœur, mais il doit encore s’inscrire dans la chair par la célébration effective du sacrement. Autrement, il sera incomplet.

La prière de l’Église

Les sacrements touchent l’âme à travers le corps. Le plus important est le culte spirituel puisque Dieu est esprit. Mais nous ne sommes pas des anges et nous avons aussi besoin d’un culte corporel qui à la fois manifeste extérieurement le culte intérieur et le favorise en allant du corporel au spirituel. Chemin d’incarnation par lequel Dieu veut passer de manière ordinaire, dont il peut se passer au besoin, mais qui convient davantage à notre humanité.

"Les sacrements ne sont pas la simple expression d’une prière individuelle, mais ils font entrer dans la prière de toute l’Église."

Le but des sacrements n’est pas seulement de nous communiquer visiblement la grâce. Mais ils sont aussi une expression publique de la foi (protestatio fidei). Or la foi ne consiste pas seulement en un acte intérieur, mais elle demande aussi à être professée des lèvres, et manifestée par des gestes qui nous mettent en communication sociale les uns avec les autres. Ainsi, les sacrements ne sont pas la simple expression d’une prière individuelle, mais ils font entrer dans la prière de toute l’Église. Quand bien même nous aurions déjà reçu la grâce du sacrement sans le rite, nous devons encore en rendre grâces par sa célébration dans la grande assemblée.

Le désir du sacrement

Négliger de recevoir les sacrements, alors que l’on sait que le Seigneur nous y appelle, c’est mépriser le sacrement, mépriser les moyens de salut que Dieu nous offre, et ainsi mépriser Dieu lui-même. « Ceux à qui le baptême fait défaut de cette façon ne peuvent parvenir au salut, puisque ni sacramentellement, ni spirituellement, ils ne sont incorporés au Christ qui seul peut nous sauver » (Saint Thomas d’Aquin, Somme de théologie, IIIa, Q. 68, art. 2).

Le sacrement de désir suppose le désir du sacrement. Par conséquent, celui qui ne va pas le recevoir effectivement dès lors qu’il le peut, montre par là qu’il n’en avait pas vraiment le désir, et donc qu’il n’en a pas non plus reçu le fruit de grâce.

Le sacrement de désir suppose le désir du sacrement. Par conséquent, celui qui ne va pas le recevoir effectivement dès lors qu’il le peut, montre par là qu’il n’en avait pas vraiment le désir, et donc qu’il n’en a pas non plus reçu le fruit de grâce. Cela reste bien une grâce sacramentelle depuis son principe jusqu’à son terme : elle vise le sacrement comme son référent même absent, en requiert les mêmes dispositions, avec le ferme propos de le célébrer dès que possible.

À travers les sens

Qui aime Dieu aspire à le voir face à face. De même que le cœur amoureux ne se contente pas d’une présence affective, virtuelle, de l’être aimé, mais désire avec ardeur sa présence physique, réelle. Il souffre donc de son absence, et cependant se réjouit de la moindre relique qu’il en possède : lettres, portraits, objets, souvenirs… De même, l’âme cherche Dieu et le trouve autant qu’elle le peut, partout où elle le peut. Dans la foi et la méditation de sa Parole, ses saintes lettres d’amour. Dans l’espérance et la prière, l’expression fervente du désir. Dans la charité en acte, l’amour divin est reçu et partagé (Ubi caritas et amor, Deus ibi est). Mais elle aime à le recevoir tout particulièrement dans ses sacrements, où Dieu agit en touchant l’âme à travers les sens, et par-dessus tout dans son Eucharistie, où il se rend réellement présent et s’offre en nourriture céleste. On ne saurait en être privé qu’en le ressentant avec douleur comme un vrai manque. Pour autant, on saura goûter et apprécier dans leurs limites les moindres lieux de grâce, les autres modes de présence.

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