Jésus est mort. Son corps est mis au tombeau, le tout petit troupeau des amis fidèles roule une pierre contre l’entrée du tombeau et s’en va. Pour les disciples de Jésus, c’est la triste fin d’une histoire qui avait si bien commencé. Et là, après trois années d’amitié, d’aventures ensemble, de miracles et de signes, tout semble disparaître derrière une pierre immense et impénétrable. "Nous, nous espérions que c’était lui qui allait délivrer Israël" (Lc 24, 21) dira plus tard l’un des disciples d’Emmaüs. C’est une réalité qu’on entend malheureusement trop souvent dans les histoires d’amour. Notamment chez les couples mariés, souvent d’ailleurs après trois années de mariage. "Nous, nous espérions que le mariage allait être une joie éternelle à deux… et maintenant je ne ressens rien comme avant. Une grosse pierre semble me séparer de mon idée de l’amour, de ma façon d’avoir imaginé la joie du couple"...
L’amour "sensible", celui lié au sentiments, n’est heureusement pas la forme achevée de l’amour, tout comme la chenille n'est pas la forme parfaite du papillon.
Pourquoi trois ans ? Parce que la psychologie a souvent constaté qu’au-delà des trois premières années, le sentiment ou la fièvre amoureuse ne persistaient pas. Effectivement, la joie se détériore parfois à cause d’une négligence. Souvent, c’est parce qu’on a pris trop peu de temps pour le couple. Mais l’amour sensible n’est heureusement pas la forme achevée de l’amour, tout comme la chenille n'est pas la forme parfaite du papillon. Le vrai bonheur vient de la paix d’avoir choisi définitivement la joie de l’autre… parce que Dieu aime ainsi, et Dieu nous a créé à son image. Si dans la vie de couple existe ce qu’on pourrait appeler la Joie du don de soi du Jeudi Saint, s’il existe la Douleur du don de soi d’un Vendredi Saint, les moments du Silence du don de soi d’un Samedi Saint, ou tout semble perdu - existent aussi. Et je tiens à vous rassurer tout de suite : Dieu merci, il existe la Résurrection du don de soi du Dimanche de Pâques !
Il faut que notre idée de l’amour puisse mourir, pour donner place à la façon d’aimer de Dieu, c’est-à-dire à l’amour "don-de-soi" total. C’est à cette forme d’amour que les couples se sont consacrés le jour de leur noces...
Pour les disciples, en fait, il fallait même que Jésus meure… Il fallait qu’ils puissent se débarrasser de l’idée fausse et étriquée d’un Dieu à leur mesure, d’un Sauveur qui les sauve seulement des Romains et de leurs problèmes humains. Il fallait se libérer d’une idée d’un Dieu qui les aime seulement quand on suit tous les préceptes, un Dieu que l’on peut domestiquer, même tromper. Jésus n’était pas venu pour libérer Israël de son occupation politique. C’est l’humanité qu’Il est venu sauver de la mort éternelle, d’une vie qui termine dans un tombeau. Il est venu nous sauver de cette fausse idée que l’amour ne se donne que lorsqu’il nous semble raisonnable ou convenable. Il est venu changer nos cœurs… Et il savait que la seule force qui était capable de produire ce changement, c’était le don ultime de soi-même, jusqu’au bout. Son amour guérit notre amour. Et si nous vivons près de Lui, notre vie peut changer, même radicalement.
Faire le choix en faveur de l'autre
Il en est de même dans la vie du couple. Il faut arrêter d'imaginer qu'un amour puisse mourir, pour donner place à la façon d’aimer de Dieu, c’est-à-dire à l’amour don-de-soi total. C’est à cette forme d’amour que les couples se sont consacrés le jour de leur mariage : « Je te reçois, et je me donne à toi… pour t’aimer tous les jours de ma vie ». Si un couple se donne ainsi l’un à l’autre, il rend l’amour de Dieu présent sur terre dans l’amour conjugal, cet amour céleste qui renouvelle tout, qui guérit, qui donne paix.
L’amour mûr ne dépend pas des sentiments. C’est un choix en faveur de l’autre. Et ce que caractérise l’homme, ce n’est pas d'abord sa sensibilité, mais sa capacité de choisir, de se donner.
Le silence du Samedi Saint dans le couple est très important, il ne faut pas le contourner. Il est un peu comparable à la « nuit de l’âme » que vivent certains saints religieux. Par exemple, la petite Thérèse de Lisieux a vécu les dernières années de sa vie dans une vraie nuit de l’âme. Il en a été de même pour Mère Teresa de Calcutta. Toutes les deux avaient perdu le goût de Dieu. Sans aucun espoir sensible, elles ne voyaient plus le sens de croire. Et malgré cela, elles n’ont pas cessé d’aimer. Tout au contraire : leur amour a mûri, cette nuit a purifié et même élargi leur capacité d’aimer. Parce que l’amour mûr ne dépend pas des sentiments. C’est un choix en faveur de l’autre. Et ce que caractérise l’homme, ce n’est pas d'abord sa sensibilité, mais sa capacité de choisir, de se donner. Pour ces deux grandes petites saintes, la nuit de l’âme n’a certainement pas été agréable, mais elle a contribué à la plénitude de leur don-de-soi.
Si, chez les saints religieux, la nuit de l’âme existe, pourquoi une forme de nuit des sens chez les couples chrétiens ne devrait pas exister ? Ne contribuerait-elle pas à purifier et à faire mûrir leur amour de couple, en élargissant leur capacité d’aimer ? Jean-Paul II disait que la vie consacrée et la vie conjugale sont les deux formes de vivre une même vocation à être don-de-soi. Qui se marie à l’église, s’engage à aimer saintement. Ce serait une véritable contradiction de se marier à l’église et de ne pas chercher la plénitude de l’amour, c'est-à-dire la sainteté du couple.
Si vous visez Jésus, il vous fera passer de l’amour des sentiments à l’amour plus profond, celui du don-de-soi. De là, grâce aux purifications et aux "petites nuits", vous pourrez avancer vers un amour fidèle et inconditionnel de l’autre, quoiqu'il arrive.
Et sur la route vers la plénitude de l’amour, n’ayons pas peur que le Seigneur puisse profiter des circonstances de la vie pour purifier, pour faire mûrir votre amour, et pour le rendre ainsi plus fécond. Si vous visez Jésus, il vous fera passer de l’amour des sentiments à l’amour plus profond, celui du don-de-soi, de bienveillance. De là, grâce aux purifications et aux petites nuits, vous pourrez avancer vers un amour fidèle et inconditionnel de l’autre, quoiqu'il arrive. Ainsi, votre amour deviendra de plus en plus un vrai don-de-vous, à la mesure du plan de Dieu, et comme Jésus nous aime en ces jours, sur la terre comme au ciel.
Contempler la vie de Jésus
Mais pour arriver à cette plénitude de l’amour don-de-soi, il ne suffit pas de le vouloir tout simplement. Il faut avoir contemplé la vie de Jésus, l’amour humble et total du Seigneur, et tout particulièrement pendant ces Jours saints. N’ayons donc pas peur de passer dans le couple par le silence d’un Samedi saint grand ou petit, où tout semble disparaître derrière une grosse pierre. Pour de tels moments, le Fils de Dieu, nous a donné le meilleur soutien imaginable : sa propre mère, la Vierge Marie, mère de l’espérance ! Elle tiendra vos mains et elle vous accompagnera de la peur à l’espérance, de la mort a travers le silence du tombeau jusqu’à la joie de la Résurrection. Les apôtres en sont témoins.
Dans ce sens, je vous invite à vous glisser dans le Cœur Immaculé de Marie, et de ressentir avec Elle son espérance lumineuse et inébranlable, sa certitude que notre Dieu est encore le Dieu d’Abraham et de Moïse, et que ce Dieu est et sera toujours plus fort que la mort " Si je traverse les ravins de la mort, je ne crains aucun mal, car tu es avec moi" (Psaume 22,4). Reposons-nous sur le « oui » inconditionnel de son cœur que sait que Dieu agira. Peut-être pas toujours comme nous le voudrions dans nos rêves parfois trop humains et étroits, mais toujours beaucoup mieux que ce que nous pourrons imaginer. Mieux pour nous, mieux pour l’histoire du salut. Avec Dieu, il y a toujours un futur meilleur. Qui contemple le cœur de Marie, qui médite le silence du Samedi saint depuis l’intérieur de son cœur immaculé, fera l’expérience que sa propre espérance va grandir. Même les pierres les plus impénétrables laisseront pénétrer la lumière d’un Dieu toujours présent, toujours proche de nous, toujours Seigneur de l’histoire. Bonne contemplation !