La souffrance, qui n’est pas voulue par Dieu, ne s’explique pas à l’aune de nos raisonnements. Elle est différente pour chacun. Jésus ne l’explique pas non plus ni ne la supprime, mais il la désarme en la remplissant de sa présence. Quand des catastrophes arrivent, comme la pandémie du Covid-19, j’entends parfois des gens qui se demandent pourquoi Dieu peut-il permettre cela. La question est peut-être mal posée, car que savons-nous de Dieu, sinon qu’il est amour et qu’il veut notre bonheur, notre salut, nous dit la Bible. Nous pouvons nous en remettre avec confiance à sa sagesse infinie, comme l’a fait Job dans son silence, puisque aucune explication ne peut nous satisfaire pleinement. Lors d’une retraite sur l’oraison intérieure, quelqu’un m’avouait sa crainte de souffrir s’il s’abandonnait chaque jour à Dieu dans la prière silencieuse. Comme si le Seigneur était un bourreau qui se complaisait à nous envoyer des épreuves. Cette image d’un Dieu assoiffé de souffrance n’est pas celle que reflètent les Évangiles.
Pourquoi la souffrance ?
“Chacun réagit comme il peut face à la souffrance”, note Jacques Lison dans Faut-il vraiment souffrir ? (Novalis, 2019). Alors, on interroge Dieu avec nos pauvres mots, car on ne comprend pas le mal qui nous arrive, ce mal que Thomas d’Aquin définissait comme “l’absence de bien”. La souffrance, beaucoup plus large que la notion de douleur, est différente pour chaque personne. Elle ne s’explique pas vraiment à l’aune de nos raisonnements. Il faut toujours en parler avec doigté, humilité et respect. La souffrance fait partie de notre existence, nous n’avons pas à la chercher ou à l’esquiver, mais à en faire un chemin de compassion, d’offrande, de vie. J’aime mieux offrir à Dieu ce que je deviens par la souffrance que d’offrir la souffrance elle-même. Le Christ en croix ne dit pas : “Père, je remets ma souffrance… “, mais plutôt… “entre tes mains je remets mon esprit” (Lc 23, 46).
Jésus n’est pas insensible quand nous souffrons, d’où ses nombreux miracles et guérisons. Même dans la souffrance, la vie vaut la peine d’être vécue, un jour à la fois”.
La souffrance n’est pas une punition de Dieu ; elle n’est pas voulue par lui. Elle est une conséquence de la liberté humaine mal utilisée, d’une force non maîtrisée, d’une avidité au gain qui détruit la maison commune. Car tout est lié. Jésus est venu libérer notre liberté et l’orienter vers le pardon et la solidarité. Il n’est pas insensible quand nous souffrons, d’où ses nombreux miracles et guérisons. Même dans la souffrance, la vie vaut la peine d’être vécue, un jour à la fois. Thérèse de Lisieux, alors atteinte de tuberculose, disait qu’elle pouvait tout supporter en vivant le moment présent. C’est lorsqu’on regarde hier ou demain que l’on se décourage. La bienheureuse Dina Bélanger exprime un peu la même chose dans son autobiographie, en associant amour, souffrance et joie : “L’amour m’apparaissait comme unissant la souffrance et la joie ; je les voyais naître toutes deux dans le Cœur de Jésus”.
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Comment souffrir ?
En Jésus, Dieu devient fragile, nu, vulnérable, pour nous donner sa vie en abondance. Il se dépouille de tout pour montrer jusqu’où son Père nous aime. Jésus a faim en l’affamé et soif en l’assoiffé, il se fait étranger et nu pour qu’on accueille et habille l’autre devenu proche, il s’identifie au malade et au prisonnier pour qu’on le visite en ceux qui souffrent. “Chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait” (Mt 25, 40). Les saints et saintes, ces fous admirables, apportent une réponse à la souffrance qui est inhérente à leur expérience spirituelle. Saint Paul insiste sur la communion aux souffrances du Christ pour vivre de sa résurrection. Il souligne le caractère rédempteur de la Passion du Christ que nous méditons avec plus d’intensité le Vendredi saint. La croix glorieuse transforme la souffrance en salut et la mort en vie. Folie pour les uns, scandale pour les autres, le Messie crucifié “est puissance de Dieu et sagesse de Dieu.” (1 Co 1, 24).
Les mystiques chrétiens sont tellement remplis d’amour de Dieu qu’ils ne perdent pas leur joie de vivre, même dans la souffrance.
Jésus annonce plusieurs fois à ses Apôtres qu’il lui faudra souffrir avant de ressusciter d’entre les morts. Il n’explique pas la souffrance ni ne la supprime, il la désarme en la remplissant de sa présence salvifique. Sa victoire se répand dès le matin de Pâques. Il dit aux disciples d’Emmaüs, après sa résurrection : “Ne fallait-il pas que le Messie souffrît tout cela pour entrer dans sa gloire ?” (Lc 24, 26.) Les mystiques chrétiens sont tellement remplis d’amour de Dieu qu’ils ne perdent pas leur joie de vivre, même dans la souffrance. Paradoxe du christianisme qui consiste à unir joie et souffrance, puisque l’amour absorbe tout, comme nous le voyons durant la Semaine sainte. Ce n’est pas du dolorisme, qui est l’amour de la souffrance pour elle-même, mais un profond attachement au Christ, mort et ressuscité.
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Élan de vie
Pour les chrétiens, la discrétion de Dieu devant la souffrance est le signe qu’il nous veut autonomes, responsables, qu’il désire que nous réagissions avec encore plus de compassion et de justice. Il ne peut pas enlever notre liberté, car il nous aime. L’abbé Pierre disait que lorsqu’on a mis sa main dans la main des pauvres, on trouve la main de Dieu dans son autre main.
S’il faut parler de Dieu dans la pandémie du coronavirus, comme dans d’autres fléaux, c’est dans la générosité, la prière et la solidarité des gens qu’il faut le voir. Le Dieu que Jésus est venu nous révéler est élan de vie et d’amour qui nous aide à nous tenir debout dans la vie. Ne l’éteignons pas dans les cœurs, disait Etty Hillesum, juive d’Amsterdam morte en novembre 1943 à Auschwitz à l’âge de vingt-neuf ans. Un dimanche, elle écrit cette prière dans son journal, Une vie bouleversée :
“Ce sont des temps d’effroi, mon Dieu. Cette nuit pour la première fois, je suis restée éveillée dans le noir, les yeux brûlants, des images de souffrance humaine défilant sans arrêt devant moi. Je vais te promettre une chose, mon Dieu, oh, une broutille : je me garderai de suspendre au jour présent, comme autant de poids, les angoisses que m’inspire l’avenir ; mais cela demande un certain entraînement. Pour l’instant, à chaque jour suffit sa peine. Je vais t’aider, mon Dieu, à ne pas t’éteindre en moi, mais je ne puis garantir d’avance. Une chose cependant m’apparaît de plus en plus claire : ce n’est pas toi qui peux nous aider, mais nous qui pouvons t’aider — et ce faisant nous nous aidons nous-mêmes. C’est tout ce qu’il nous est possible de sauver en cette époque et c’est aussi la seule chose qui compte : un peu de toi en nous, mon Dieu”.
Pour aller plus loin, blog de l’auteur ici
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