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Hommage aux enfants de l’ombre (et à ceux qui s’en occupent)

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Elisabeth Lucas - publié le 31/03/20
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Les enfants de l’ombre, ce sont ces enfants et adolescents placés dans des foyers de la protection de l’enfance. Pour eux, ce confinement est un bouleversement de plus dans leurs vies déjà si accidentées.

Confinés. Comme vous tous, ils le sont depuis quinze jours. Comme vous tous, ils doivent s’habituer à cet état de fait, bon gré mal gré. Mais pour eux, pas de repas en famille. Pas de foot avec Papa dans le jardin, pas de cuisine avec Maman, pas de disputes avec les frères et sœurs pour savoir quel film regarder. Pour eux, ce confinement est un bouleversement de plus dans leurs vies déjà si accidentées.

Eux, ce sont les enfants pris en charge dans les foyers de la protection de l’enfance. Des enfants, des adolescents qui souffrent déjà bien souvent de ne pas voir assez leurs familles, et à qui la situation sanitaire impose une restriction de plus dans les visites de leurs parents. Certes, ils ont été placés pour les protéger d’un cadre familial nocif. Mais il serait simpliste de penser que leurs parents ne leur manquent pas, et inversement. Dans la plupart des cas, la séparation est mal vécue, d’un côté comme de l’autre.

Et la situation actuelle vient renforcer leur sentiment de marginalisation. Une situation qui vient, encore une fois, bouleverser des repères déjà fragiles et changeants.

Aujourd’hui, les foyers de la protection de l’enfance sont en sous-effectifs. De nombreux éducateurs ont été obligés de s’arrêter pour s’occuper de leurs propres enfants, d’autres sont malades. Alors, la planification est devenue évolutive, incertaine, et nombre de ces jeunes doivent s’adapter à des nouveaux éducateurs, des intérimaires, des inconnus, qui viennent s’occuper d’eux pour un jour, une semaine, un mois.

Je ne m’attarderai pas sur mon inquiétude quant à ces familles qui comptent parfois quatre ou cinq enfants, confinées dans des espaces exigus, et chez qui le risque de violences va être décuplé.

Je suis chef de service dans le milieu ouvert de la protection de l’enfance. Cela signifie que mon service apporte une aide éducative aux domicile de certaines familles, pour qui les difficultés sont réelles mais ne nécessitent pas pour autant un placement de l’enfant. Mon service a fermé durant le confinement. Je ne m’attarderai pas sur mon inquiétude quant à ces familles qui comptent parfois quatre ou cinq enfants, confinées dans des espaces exigus, et chez qui le risque de violences va être décuplé. A sept dans un 30 mètres carré, il est compliqué de vivre sereinement l’enfermement.

Mon service et tant d’autres auront bien des défis à relever pour aider les familles à retrouver des relations saines après cette période.


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Mais aujourd’hui, c’est sur les enfants déjà placés que je veux m’attarder.

Je pense à ceux qui ont déjà des troubles du comportement en temps normal.

Je pense à ceux auprès desquels je travaillais l’année dernière. Je pense à leurs angoisses, à leur sentiment d’abandon. Je pense aux éducateurs qui doivent gérer leurs peurs et leurs questions.

– Quand est-ce que je reverrai Maman ?
– Après le confinement.
– C’est quand ?

Personne ne sait vraiment, petit gars. Personne ne sait quand tu reverras ta maman, tes copains, tes frères et sœurs.

Je pense à ceux qui ont déjà des troubles du comportement en temps normal, et que l’enfermement doit mettre à fleur de peau. Je pense à leurs crises, à leurs cris, à leurs pleurs. Je pense aux éducateurs intérimaires qui doivent gérer ces situations sans connaître l’histoire de ces enfants, sans connaître leurs rêves et leurs réconforts. Je pense aux éducateurs qui doivent redoubler d’imagination pour occuper ces enfants par des activités qui les sortent des écrans et de leurs angoisses.

Je pense à ces enfants déjà bien souvent en échec scolaire, qui doivent s’habituer à travailler en autonomie. Comment un ou deux éducateurs peuvent gérer les journées de cours de 10 enfants à la fois ?

Je pense aux adolescents, confinés les uns sur les autres, et dont le seul moyen de défense est parfois la violence. Je pense aux éducateurs sans doute obligés de s’interposer et de calmer, en récoltant au passage quelques insultes, quand ce n’est pas des coups.

Je pense à ces éducateurs qui ont fait le choix de se confiner auprès des adolescents.

Je pense à ces éducateurs qui ont fait le choix de se confiner auprès des adolescents de qui ils s’occupent au quotidien, passant une semaine entière sur deux sur leur lieu de travail. Je pense à l’une d’entre elles me disant : “Maintenant je comprends ce que c’est de me réveiller chaque matin dans un endroit où je ne veux pas être, de devoir dire bonjour à des gens avec qui je n’ai pas choisi de vivre. C’est ce qu’ils vivent tous les jours. Moi j’ai un ailleurs, un chez-moi, pas eux.”

Je pense aux chefs de service et aux directeurs qui doivent jongler comme ils le peuvent avec les plannings, gérer les potentiels cas de coronavirus, les crises des jeunes, les inquiétudes des équipes éducatives et leurs propres familles.

Je pense aux référents ASE (Aide Sociale à l’Enfance) qui doivent gérer les situations d’urgence en télétravail, trouver des lieux de placement en dernière minute alors que le pays est à l’arrêt.

Je pense à tous ces enfants qui seront placés après le confinement, tant la situation à la maison se sera dégradée pour eux en quelques semaines d’enfermement.

Je pense à tous ces enfants de l’ombre, et à ceux qui s’en occupent. A tous ceux, qui, comme souvent, sont oubliés.



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Texte initialement publié le 28 mars 2020 sur la page Facebook d’Elisabeth Lucas et reproduit ici avec son accord.

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