L’ouverture des archives du pontificat de Pie XII, 81 ans après son élection, réveille les accusations habituelles contre le “silence” du pape pendant la guerre. Les historiens ont pourtant montré que Pie XII a toujours préféré les actes aux paroles.
On reparle déjà de l’attitude du pape Pie XII face au nazisme, à l’heure où de nouvelles archives du Vatican viennent d’être ouvertes. Avant même les premières découvertes, certains médias sont tentés d’instruire à nouveau son procès en omission. “Il n’y avait qu’à… Il fallait qu’on…” : le phénomène du “courage” à retardement joue encore à merveille. Dans ce grand hebdomadaire national, on diagnostique ainsi chez Pie XII “une peur paralysante du bolchevisme qui l’aveugle sur la monstruosité du régime nazi”. On oublie de signaler son action souterraine pour dénoncer les projets d’Hitler et soutenir ses adversaires jusqu’au sein de l’Allemagne…
Il agissait dans l’ombre
Pie XII, dit-on, “aura toujours pour premier réflexe de privilégier la réputation du Saint-Siège” : étrange jugement, à propos d’un Pape qui a préféré mesurer ses paroles avec une nécessaire prudence, au risque de sembler passif, alors qu’il agissait dans l’ombre. Le même article évoque pourtant sa “diplomatie secrète”… À Noël 1940, Pie XII souligne l’aide apportée par Rome à “un nombre immense de réfugiés, d’expatriés, d’émigrants, spécialement parmi les Non-Aryens”. À Noël 1942, le pape évoque “les centaines de milliers de personnes qui, sans aucune faute de leur part, pour le seul fait de leur nationalité ou de leur origine ethnique, sont voués à la mort ou à une progressive extinction” : mais ici, on s’offusque de ce que le pape Pacelli l’ait fait “sans prononcer une seule fois le mot “juif”“.
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Protéger toutes les victimes
On semble ainsi ignorer que le régime nazi s’était employé à persécuter et à détruire, non seulement le peuple juif, mais aussi d’autres populations comme les Tziganes et les Slaves, notamment polonais et russes, qu’il voulait réduire en esclavage après avoir exterminé leurs élites, comme il l’a fait en Pologne. Pour preuve, le sort des professeurs de l’Université Jagellon de Cracovie, liquidés au camp de Sachsenhausen. A-t-on oublié aussi que les nazis ont tué un quart de la population en Biélorussie ? Certes, dans ses messages, Pie XII défendait les juifs, mais il évoquait également d’autres victimes de ce nazisme dont il ne sous-estimait pas la capacité de nuisance diabolique.
Éviter les représailles
Un article qui annonce une “heure de vérité” sur l’attitude de Pie XII en 1939 et 1945 considère que, dans ses discours d’alors, “le Pape s’en tient à des formulations générales”. Cependant, il reconnaît le “cas de conscience tragique” du Pape : “Devenue publique, sa protestation contre l’Allemagne nazie risquerait d’entraîner des représailles.” Et il cite le précédent des rafles effectuées contre les juifs aux Pays-Bas en juillet 1942, après une protestation des évêques de ce pays… Édith Stein en fut victime. Toutefois, on cible “la méthode Pacelli” en deux phrases : “Ses interventions ne manquent pas, mais elles passent toutes par le canal des chancelleries et des Églises locales. Le monde avait besoin d’un prophète, mais c’est un diplomate qui a été élu à la tête de l’Église.” Ici, on semble oublier ou minimiser le contenu de l’encyclique de 1937 “Mit brennender Sorge”, ce manifeste antinazi dont le susnommé Eugenio Pacelli, devenu depuis lors le pape Pie XII, fut le principal auteur, à la demande de Pie XI… Peut-être Pie XII fut-il successivement prophète et diplomate… La logique des Béatitudes.
Cependant, en octobre 1943, devant la menace de la rafle des Juifs de Rome par les nazis, Pie XII a préféré les actes aux paroles : il a ordonné et organisé l’hébergement d’un maximum de ces hommes et de ces femmes dans les couvents romains. Une action parfois ressentie comme prophétique. La communauté juive l’en a publiquement remercié, jusqu’après sa mort en 1958. Le reste n’est que champ d’investigation pour historiens : ils feront peut-être la part des calomnies répétées et de la réalité d’une époque difficile. “Heureux serez-vous lorsqu’on vous insultera, qu’on vous persécutera et qu’on dira faussement de vous toute sorte de mal à cause de moi” (Mt 5, 11) : jusqu’à aujourd’hui, la destinée de Pie XII s’inscrit dans cette logique des Béatitudes de l’Évangile.
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