Un pays où l’on ne partage plus la même vision du monde ne peut que se déchirer, et l’autorité se condamner aux sermons incantatoires et à la matraque. Pour sortir de l’affrontement des intérêts, la société doit retrouver des causes communes qui reconstruisent l’amitié politique.La violence constitue invariablement l’un des modes d’expression courants du fait politique. Sauf exception, aucune époque ni aucun système politique n’y échappent. En théorie pourtant, la démocratie devait la faire disparaître puisque les choses s’y règlent par la délibération civique et non par la force. Or, ce n’est pas le cas : démocratie ou pas, la violence est là, présente dans l’histoire.
La politique n’est pas réductible au conflit
De nombreux commentateurs et acteurs de la vie politique s’effraient aujourd’hui d’une montée des tensions : manifestations qui dégénèrent, permanences d’élus saccagées, menaces, intimidations, insultes, actions « commando », etc. Dans ce contexte, les incantations qui appellent à des « débats sereins » et à une « société apaisée » sont inopérantes. Et il est à craindre que nos tourments s’accentuent tant les fractures françaises sont vives.
Sous certains aspects, la politique est une affaire de passions humaines, d’oppositions farouches, de positions irréconciliables, d’intérêts inconciliables. L’inimitié y joue un rôle majeur. Carl Schmitt a développé la théorie selon laquelle la « relation ami-ennemi » est constitutive du politique. C’est en partie vrai, mais cela ne dit pas tout de la politique : elle est aussi affaire d’amitié civique, d’aventure et d’aspirations collectives, de grands projets et d’élans historiques partagés. En politique, l’inimitié et l’amitié se côtoient.
La raréfaction des « communs »
Aujourd’hui, l’amitié civique semble inaccessible compte tenu de la raréfaction des « communs » : nous vivons un temps d’atomisation tribale qui conduit en quelque sorte à la guerre de tous contre tous. Nous devons ainsi faire face à la violence politique, faire face à cet état malheureusement assez habituel de l’histoire des peuples et des nations.
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Il existe ce que l’on pourrait appeler la violence ordinaire des rapports de forces politiques ordinaires — nous y sommes — ; et la violence extraordinaire, par exemple l’insurrection armée ou la guerre civile — nous n’y sommes pas. Cependant, la violence ordinaire peut conduire, étape par étape, à la violence extraordinaire, généralement à la faveur d’un événement déclencheur.
Les sermons et la bastonnade
Vivre la violence politique ordinaire est un défi pour la société, qui doit trouver des moyens de la réguler et de la contenir. Pour cela, la condamnation morale et la répression légale ne suffisent pas. Il convient de trouver, d’une part des modes de résolution des conflits ; et d’autre part des causes politiques communes qui puissent promouvoir l’amitié civique plutôt que l’affrontement des intérêts, des classes, des cultures, des géographies et des idéologies.
Notre classe politique semble aujourd’hui incapable de penser la violence politique autrement que par les sermons et la bastonnade. Il faut condamner par le verbe, toujours plus haut, plus solennel et martial ; il faut réprimer toujours plus par le marteau du juge et le bâton du policier. Certes, cela maintient l’ordre, cahin-caha. Nous voyons ainsi comment le pouvoir en place a muté en peu de temps du « parti du mouvement » au « parti de l’ordre ».
S’attaquer aux fractures
Gérer ainsi la violence politique ne dure qu’un temps, car cela accentue les pulsions de violence qui macèrent dans la société. C’est un cercle vicieux tant que l’on ne s’attaque pas aux fractures françaises et que l’on ne propose pas un récit politique populaire à partager et à vivre.
Chronique publiée en partenariat avec Radio Espérance, 26 février 2020.