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Federico Lombardi, le prêtre qui a servi trois papes

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Agnès Pinard Legry - publié le 17/02/20
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Ancien directeur du Bureau de presse du Saint-Siège et de Radio Vatican, le père Federico Lombardi a bien connu Jean Paul II, Benoît XVI et François. Trois pontificats certes bien différents, tant par le contexte historique que par la personnalité de chacun des papes, « mais dans lesquels il y a une continuité fondamentale : le service de l’Église », assure le jésuite à Aleteia.

Pendant dix ans, il aura été un homme clef du Vatican. Le père Federico Lombardi a dirigé la salle de presse du Saint-Siège de 2006 à 2016. Surnommé la voix du Pape, ce jésuite a été chargé « d’aider à comprendre les intentions, les motivations plus profondes des actes de l’Église », explique-t-il à Aleteia. Désormais président de la Fondation vaticane Joseph Ratzinger, Aleteia a profité de son passage au Centre Sèvres, à Paris, pour le rencontrer.

Aleteia : Jean Paul II est le premier pape que vous avez connu, en tant que directeur des programmes de Radio Vatican puis, les dernières années, comme directeur du Centre de télévision. Que retenez-vous de lui ?
Père Federico Lombardi : J’ai vécu avec beaucoup de joie le pontificat de Jean Paul II qui a d’ailleurs été l’un des plus longs de l’Église. Je me souviens tout particulièrement de ses voyages en Europe de l’Est et la façon dont il parlait aux différents peuples qui avaient retrouvé la liberté après le communiste m’impressionnait. Jean Paul II avait cette capacité à être le maitre, le maestro, de nations entières. À chacune il lançait un appel afin qu’elle retrouve sa vocation et sa responsabilité vis-à-vis de cette grande famille qu’est l’humanité. Il avait une autorité morale incroyable pour leur lancer cela : c’est la seule personne que j’ai connue qui pouvait parler à des peuples entiers de cette manière. Oui, c’est vraiment l’impression la plus forte que j’ai ressenti dans son pontificat.

Vous avez également accompagné, médiatiquement, la maladie de Jean Paul II…
Son témoignage dans la souffrance et dans la maladie, une maladie dans laquelle il ne se cachait pas mais qu’il voulait vivre sous les yeux du monde comme témoignage de foi pour l’Église, a été un moment extrêmement fort pour moi en tant que directeur du Centre de télévision. Nous étions le médiateur de ce témoignage qu’il voulait donner dans la foi au peuple de Dieu et nous y avons participé avec amour et intensité, avec respect et dignité. Le point culminant a peut-être été son dernier chemin de Croix au Colisée, en 2005, qu’il a suivi dans sa chapelle privée en embrassant sa croix. Le peuple a pu suivre en direct la participation du Pape. C’était peu de jours avant sa mort.

"Benoît XVI avait une capacité de synthèse entre la culture, la foi et la spiritualité assez exceptionnelle."

Un peu plus d’un an après son élection, en juillet 2006, Benoît XVI vous nomme directeur de la salle de presse du Saint-Siège. Après Jean Paul II cela a-t-il été difficile pour vous ?
Quand je pense à Benoît XVI, un épisode me vient à l’esprit qui témoigne de l’exceptionnelle lucidité et clarté de sa communication. C’était lors de l’enregistrement d’un message pour une émission de télévision allemande avant son voyage en Allemagne. Ce message devait durer 3 minutes. Je lui avais dit que nous pouvions couper son texte, faire un montage etc. Il m’a juste demandé de lui dire quand il pouvait commencer, ce que j’ai fait, et il a parlé d’une façon claire, ordonnée et sans hésitation. Une fois qu’il a terminé, j’ai regardé ma montre : 2 minutes et 57 secondes. Nous n’avons eu aucun montage à faire : en trois minutes, le message était prêt. C’est cela, Benoît XVI, une capacité à s’exprimer de manière ordonnée, riche, dense dans les concepts. C’est une façon de communiquer bien différente de Jean Paul II : il n’avait pas le charisme de communication avec les masses comme Jean Paul II. Mais il avait une communication de la pensée intense. Benoît XVI avait une capacité de synthèse entre la culture, la foi et la spiritualité assez exceptionnelle. J’étais fasciné par ses homélies dans lesquelles il avait le contenu théologique mais aussi une participation spirituelle très profonde. Il avait cette capacité à nous introduire dans le mystère, dans sa signification théologique et spirituelle. Je fais souvent la comparaison aussi avec la façon de parler aux jeunes lors des Journées mondiales de la jeunesse (JMJ). Jean Paul II était capable d’avoir un dialogue avec les jeunes, il était capable d’inviter chacun à participer avec des applaudissements, des cris, comme un dialogue. Benoît XVI désirait parler sans être interrompu. Il avait besoin de dire son message, son contenu. Et les jeunes comprenaient et appréciaient cela, ils appréciaient la densité de sa pensée.

Pope Francis with Father Federico Lombardi – en
© FILIPPO MONTEFORTE / AFP
Le pape François et le père Lombardi, lors d'un voyage en Turquie, 28 novembre 2014.

Et le pape François ?
Avec le pape François nous retrouvons l’interaction, le dialogue direct. Il a un style qui veut montrer la disponibilité au dialogue, avec spontanéité. Mais il faut bien avoir à l’esprit que chacun des pontifes, avec sa personnalité, a servi et sert le même message.

Y a-t-il eu des points de rupture entre chacun de ces trois pontificats ?
Compte tenu de la durée des pontificats il y a eu des moments forts, bien entendu. Mais il y a une continuité fondamentale du service du pape à l’Église qu’il ne faut pas oublier. Les personnalités des papes sont différentes, bien sûr, mais il y a un service de l’Église commun et continu : le service de la paix, de la justice, de l’œcuménisme, du dialogue interreligieux, de l’évangélisation, de l’encouragement spirituel… Sur une quantité immense de questions, tous les papes sont cohérents entre eux, c’est la continuité du service de l’Église. Même s’il y a une spécificité de la façon d’être propre à chacun, la substance est la même sur ces questions.

Le contexte historique n’a-t-il pas constitué, par définition, un changement dans la manière d’être de l’Église ? Je pense notamment à Jean Paul II et à la guerre froide…
Bien sûr, les situations historiques étaient différentes. Du temps de Jean Paul II c’était les blocs, la division de l’Est et de l’Ouest. Il a agi pour abattre ces murs avant d’inviter les peuples à vivre cette expérience de la démocratie avec une grande responsabilité. Benoît XVI et François n’ont pas vécu les mêmes réalités. Il ne faut pas non plus oublier que lorsqu’il a été élu pape, Jean Paul II était jeune, il n’avait pas 60 ans. Il est certain que Jean Paul II, avec plus de cent voyages à l’étranger, a impulsé une manière de gouverner l’Église avec une présence universelle qu’aucun Pape n’a eue avant lui tout simplement parce qu’il n’y avait pas les mêmes possibilités de voyager. De la même manière le nombre de pays qui a ouvert des relations diplomatiques avec le Vatican a explosé sous son pontificat. Avec son énergie et son autorité, il a donné une présence mondiale, globale à l’Église qui n’était pas connue auparavant.

Dans quel contexte historique s’est inscrit le pontificat de Benoît XVI ?
Jean Paul II a été l’un des acteurs de l’écroulement des murs, des changements de relations est-ouest… Benoît XVI a eu une présence internationale moins sensible, moins évidente. Son charisme a été celui de la présentation de la foi chrétienne dans le monde contemporain, en rapport avec la culture contemporaine. Dans le livre Dernières conversations avec Peter Seewald, il avait expliqué que sa force, c’était la capacité d’une présentation de la foi dans le monde contemporain en relation à la culture d’aujourd’hui. Il a insisté sur la foi, la présence de Dieu, à l’horizon de l’humanité, et l’a présenté d’une façon sensible, raisonnable, compréhensible pour la culture d’aujourd’hui. Ça a été le centre de son pontificat qui s’est d’ailleurs terminé par l’année de la foi. La trilogie sur Jésus qu’il a écrit durant son pontificat est un formidable témoignage de sa foi et de son amour pour la personne du Christ. Il a été capable d’écrire un livre de trois volumes, alors qu’il était Pape et devait assumer les responsabilités qui en découlaient. Ceci témoigne de sa formidable capacité de concentration.

Comment définiriez-vous le charisme du pape François ?
Pour François c’est présent, évident. C’est le charisme de vivre et d’annoncer la proximité de Dieu dans notre vie et cela il le fait avec le nom de la Miséricorde. Tous ces gestes, plus ou moins médiatiques, démontrent la même chose : le Pape est au service du peuple de Dieu. En 2015, pour le Jubilé de la Miséricorde, le Pape a lancé un signe extrêmement fort en ouvrant la Porte Sainte de la cathédrale de Bangui (Centrafrique) et non de Rome. C’était fondamental pour incarner l’idée de voir la réalité des périphéries, d’être attentif aux pauvres. Il continue d’ailleurs avec les vendredis de la miséricorde et ses invitations régulières à reprendre dans notre vie des œuvres de miséricorde corporelles et spirituelles… Bien sûr, il n’a pas inventé le message de la Miséricorde qui existe depuis 2000 ans ! Mais François a été capable de le représenter d’une façon très compréhensible et près de la sensibilité des personnes.

Le pape François, comme vous, est un jésuite. Pensez-vous que le souverain pontife a un « style jésuite » ?
Il y a autant de jésuites que de personnalités ! Comme jésuite, je reconnais dans Jorge Bergoglio et la façon dont il est Pape et exerce son service des éléments qui me sont familiers. Son style non triomphaliste et non formel est assez classique pour un jésuite, tout autant que sa manière d’exercer une autorité comme service et non comme pouvoir. L’idée de service est fondamentale dans la Compagnie de Jésus, chez saint Ignace… Mais c’est une idée de Jésus Christ et pas de jésuite !

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