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Christophe Dickès : “Ce n’est pas la première fois qu’a lieu un débat au sommet de l’Église”

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Agnès Pinard Legry - publié le 14/01/20
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Le pape émérite Benoît XVI et le cardinal Sarah co-signent un livre intitulé « Des profondeurs de notre cœur », à paraître le 15 janvier, dans lequel ils reviennent sur l’importance du célibat sacerdotal. Pour Christophe Dickès, historien et journaliste, “ce n’est pas la première fois qu’a lieu un débat au sommet de l’Église”.Espéré pour certains, redouté pour d’autres mais attendu par tous, le livre intitulé Des profondeurs de nos cœurs à paraître ce mercredi, co-signé par le pape émérite Benoît XVI et le cardinal Robert Sarah, préfet de la Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements, constitue « une surprise », assure à Aleteia Christophe Dickès, historien, journaliste et auteur de plusieurs ouvrages dont Le Vatican, vérités et légendes et L’héritage de Benoît XVI. « Mais ce n’est vraiment pas la première fois dans l’Église qu’a lieu un débat au sommet de l’Église ». Réaffirmant l’importance du célibat sacerdotal, les deux hommes « supplient » le pape François de ne pas s’engager sur la voie de l’ordination presbytérale d’hommes mariés. « L’Église a trop souffert et souffre encore du silence de ses membres sur certaines questions », affirme Christophe Dickès. « Pourquoi n’en serait-il pas aussi question en matière d’ecclésiologie, de théologie et de foi ? ». Entretien.

Aleteia : Un livre co-signé par Benoît XVI et le cardinal Sarah vous surprend-t-il ?
Christophe Dickès : Oui et non. Les deux personnages sont tellement proches l’un et l’autre qu’il n’est pas étonnant qu’ils aient voulu apporter leur contribution à un débat essentiel, posé à l’occasion du synode sur l’Amazonie. Par ailleurs, ils sont tous les deux experts en la matière. Faut-il le rappeler, le cardinal Sarah est à la tête de la Congrégation pour le Culte divin et la discipline des sacrements. Quant au pape émérite, ce serait lui faire injure que de taire son expertise. Tout le monde semble par exemple avoir oublié qu’un synode ordinaire sur l’Eucharistie a eu lieu en 2005 et que l’exhortation apostolique Le Sacrement de l’Amour publiée en 2007 a rappelé le « sens profond du célibat sacerdotal ». Synode auquel a participé un certain cardinal Bergoglio qui a traité de la question de la loi de la foi et de la loi de la prière. Cependant, il est vrai que nous avons tous été surpris par le fait que le pape émérite Benoît XVI prenne une telle position publique. Provoquant la colère de certains, une grande joie chez d’autres.

« La similitude de nos soucis et la convergence de nos conclusions nous ont décidés à mettre le fruit de notre travail et de notre amitié spirituelle à la disposition de tous les fidèles à l’instar de saint Augustin. En effet, comme lui nous pouvons affirmer : “Silere non possum ! Je ne peux pas me taire !” », écrivent les deux hommes. La situation est-elle inédite ?
Oui forcément. Pour la première fois un pape émérite se prononce sur un sujet qui fait débat à la veille de la publication de l’exhortation apostolique qui doit conclure les travaux du Synode. Or le document final du synode sur l’Amazonie, qui s’est tenu en octobre 2019 au Vatican, recommandait, en raison du manque de prêtres dans la région, de permettre à des hommes mariés « idoines et reconnus par la communauté » ayant un « diaconat permanent fécond » d’accéder à l’ordination sacerdotale. L’exhortation peut remettre en cause la discipline du célibat par la création d’une nouvelle charge : les fameux viri probati. Mais ce n’est vraiment pas la première fois qu’a lieu un débat au sommet de l’Église. Faut-il rappeler la querelle de Pierre et de Paul à Antioche ?



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De nombreux observateurs y voient ou vont voir à travers cet ouvrage une opposition entre les deux papes, chacun incarnant un courant d’Église. Mais n’est-ce pas au contraire la preuve d’une Église qui s’interroge, qui débat, qui accepte la contradiction ?
Très certainement. L’Église a été et doit rester un espace d’échanges où la parole est essentielle. Il y a d’ailleurs beaucoup d’idées reçues sur cette question : on voit l’Église comme inchangée de l’époque de Constantin jusqu’à Vatican II. Mais il suffit de regarder une chronologie des conciles pour se rendre compte que l’histoire de l’Église n’est en rien linéaire. À commencer par le concile de Jérusalem qui traite de la question de la place du judaïsme dans le christianisme naissant ! Et que dire de la complémentarité du Concile de Constantinople après celui de Nicée ? Même le concile de Trente au XVIᵉ siècle, que les progressistes voient d’un mauvais œil à cause d’une vision historiographique largement empruntée au protestantisme, fut moins un concile dogmatique qu’empirique. Bref, toute l’histoire de l’Église montre une richesse intellectuelle que le protestantisme puis l’anticléricalisme des XIXᵉ et XXᵉ siècles ont souhaité lui nier.

“Une telle initiative est, dans les faits, la respiration de l’église.”

Faut-il rappeler que les fidèles ont aussi leur part, là aussi, selon leur compétence ? Le droit canon (C. 212 §3) nous dit : « Selon le savoir, a compétence et le prestige dont [les fidèles] jouissent, ils ont le droit et même parfois le devoir de donner aux pasteurs sacrés leur opinion sur ce qui touche le bien de l’Église et de la faire connaître aux autres fidèles, restant sauves l’intégrité de la foi et des mœurs et la révérence due aux pasteurs, et en tenant compte de l’utilité commune et de la dignité des personnes. » On peut être assez surpris de voir que certains commentateurs qui n’avaient que les mots de liberté théologique, de processus synodal ou de collégialité, se mettent à fustiger une telle initiative qui est, dans les faits, la respiration de l’Église.

Cela n’est-il pas néanmoins un coup porté par les deux hommes à l’autorité pontificale ?
On peut le prendre ainsi. Mais qu’en savent ceux qui l’avancent ? Peut-on obliger une personne – a fortiori l’ancien évêque de Rome – à se taire si cette même personne estime qu’il est de son devoir moral d’intervenir sur une question ? Peut-on aussi sérieusement imaginer qu’un simple fidèle compétent, selon les termes du droit canon, possède un droit de faire connaître son opinion et qu’un ancien pape, lui, ne le posséderait pas ? L’Église a trop souffert et souffre encore du silence de ses membres sur les questions de pédocriminalité. Pourquoi n’en serait-il pas aussi question en matière d’ecclésiologie, de théologie et de foi ? Soyons sérieux et faisons un peu appel à la raison dans le sens grec du terme. Mieux, rappelons la troisième lettre de saint Jean : « Nous devons donc apporter notre soutien à de tels hommes pour être des collaborateurs de la vérité. » C’est ce que font selon moi le pape émérite et le cardinal Sarah par leur intervention.

Quel est le rôle d’un pape émérite ?
Il faudrait que vous demandiez au pape émérite lui-même ou plutôt aux juristes du Vatican ! Cependant, depuis sa renonciation, il est resté en lien avec le monde et s’est intéressé à lui. En effet, Benoît XVI n’est pas un mystique, même s’il a souhaité se retirer dans un monastère dont la vocation est de soutenir par sa prière le Pape. Pour cette raison, le pape François a dit de lui : « Le premier et le plus important service n’est pas la gestion des “affaires courantes”, mais de prier pour les autres, sans cesse, corps et âme, tout comme le fait le pape émérite aujourd’hui » (28 juin 2016). Au-delà de la prière, Benoît XVI a aussi cultivé un lien avec l’extérieur notamment en recevant des invités, en continuant quelques travaux théologiques, en apportant une contribution à des colloques ou des événements, en répondant – parfois publiquement – à des sollicitations de journalistes ou d’intellectuels. Le pape François lui a aussi demandé un avis détaillé et écrit sur son premier entretien fleuve donné à la Civiltà Cattolica, en 2013. On sait aussi que le pape émérite a publié Ses dernières conversations (Fayard, 2016) avec Peter Seewald et un texte sur la cause de la pédocriminalité qui a été très débattu. Bref, Benoît XVI n’est pas resté inactif. À cet égard, et à quelques rares exceptions, la très grande majorité de ses contributions étaient quasi exclusivement théologiques.



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Depuis son renoncement, Benoît XVI s’était engagé à « ne pas interférer dans les affaires de l’Église ». En co-signant ce livre, ne risque-t-il pas d’aggraver la crise que traverse l’Église ?
Non, je ne le crois pas. Voyez-vous, il n’y a pas eu assez de commentaires sur l’idée que Benoît XVI a souhaité vivre à l’ombre de la basilique Saint-Pierre. Quand Célestin V a renoncé au pontificat au XIIIᵉ siècle, il a été en résidence surveillée pour éviter d’être kidnappé par le roi de France, opposant du nouveau pape Boniface VIII. Benoît XVI a souhaité se mettre lui-même dans une résidence dans l’enceinte du Vatican. Non seulement pour prier pour le Pape, comme je l’ai déjà dit, mais aussi, je pense, pour exprimer quotidiennement sa fidélité au nouveau pape. Que n’aurait-on dit si le pape émérite avait été en Allemagne ou ailleurs : on aurait opposé le pape de Rome et celui d’Allemagne ou « d’ailleurs ». Je suis persuadé que cette fidélité au Pape s’incarne aussi dans ce choix de cette résidence qui est plus qu’un symbole. Il le dit d’ailleurs très clairement avant la fin du pontificat : « Je ne porte plus le pouvoir de la charge pour le gouvernement de l’Église, mais dans le service de la prière, je reste, pour ainsi dire, dans l’enceinte de Saint-Pierre. »

Sur la question de l’ordination sacerdotale de diacres permanents dans des régions en manque de prêtre, là où Benoît XVI et le cardinal Sarah parlent théologie, le pape François répond pragmatisme. Chacun est-il dans son rôle ?
Je ne suis pas d’accord avec vous. Le pragmatisme, c’est aussi de dire que l’expérience des protestants sur l’ordination d’hommes mariés a été un échec. Le pragmatisme, c’est de voir que dans l’Histoire, les renaissances de l’Église se sont faites dans le silence des monastères et par le travail des saints (pas vraiment des structures…). Le pragmatisme, c’est aussi voir les conséquences théologiques, ecclésiologiques, juridiques et même sociales d’une telle décision tant pour les prêtres que pour les laïcs. Or, aujourd’hui, je ne crois pas que ce travail a été mené.



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Face à cette absence de réflexion de fond, le pape émérite et le cardinal Sarah offrent un argumentaire magistral. Il sera intéressant de voir les tenants des viri probati répondre à un tel argumentaire. Car il s’agit de cela : il est nécessaire de débattre alors qu’un synode local donne l’occasion à une minorité d’imposer une nouvelle discipline à l’église universelle. Permettez-moi une anecdote : en 2011, juste avant les JMJ de Madrid, les médias ont parlé des 329 prêtres autrichiens (10% du clergé national) qui ont pétitionné pour le mariage des prêtres. Peu après, deux millions de jeunes assistaient à l’adoration à genou devant le Saint-Sacrement sur l’aéroport de Quatro-ventos, derrière Benoît XVI. Devinez quelle information a fait le plus de bruit ?

Cette prise de position peut-elle réellement changer le cours des choses ?
Vous posez la question comme si la création des viri probati et la fin du célibat des prêtres étaient inéluctables. Nous n’en savons rien. Seule l’avenir le dira… il n’y a pas de déterminisme dans l’Église. Mais qu’un synode local défasse ce qu’un synode ordinaire a rappelé il y a moins de quinze ans alimenterait sans conteste l’idée d’une rupture entre François et les pontificats précédents. Avec tous les risques que cela comporte.

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