La nouvelle exposition des peintures de François-Xavier de Boissoudy devait parler du bonheur. Et l’artiste n’a pas choisi n’importe lequel : celui qui se trouve au bout des Béatitudes, c’est à dire le plus difficile. Une série de tableaux illustre ce parcours ardu sans mentir sur l’école de pardon, d’humilité et de joie qu’est un couple qui veut durer. Plongée dans ces illustrations sur le couple avec le philosophe Martin Steffens.« Les Béatitudes, c’est plutôt inaccessible, c’est pour un temps futur ; et moi je veux faire des images concrètes, quotidiennes du bonheur », explique François-Xavier de Boissoudy. À l’occasion de la publication du livre qui accompagne la nouvelle série de tableaux du peintre, le philosophe Martin Steffens a écrit de magnifiques textes sur la béatitude. Il nous éclaire sur la fidélité du couple et sur ses conditions autour de cette nouvelle série, après “Paternité” (2018) et “Marie la vie d’une femme” (2017). Entretien.
Aleteia : Le discours de Jésus sur la montagne, les Béatitudes, devait être le thème de cette série. Pourquoi le cheminement du couple le traduit-il si bien ?
Martin Steffens : C’est l’histoire de sa vie d’avoir ce besoin de peindre le couple. Et ce qui est étonnant est que ça ne l’a pas gêné de le faire alors que le thème était les Béatitudes. J’ai trouvé cela intéressant par rapport au sermon sur la montagne qui n’évoque jamais un bonheur facile, c’est un bonheur de montagnard. Malgré les chutes, cela signifie « heureux es-tu d’en être là ».
Lire aussi :
Les Béatitudes, un GPS fiable à 100%
On a toujours l’image du mariage heureux et celle d’une solitude qui est si difficile à vivre. Mais si le couple est un véritable projet de bonheur il est aussi la porte la plus étroite pour y arriver. Donc, non seulement il parle aux couples, mais il peint aussi beaucoup de couples dont les regards ne se croisent pas ou dont le tempo est décalé. Puis, il y a le fait de se réjouir du bonheur de l’autre et beaucoup de scènes de pardon qui veulent dire : « Pardonne-moi de n’être que ce que je suis malgré le bonheur qu’on s’est promis ».
La difficulté de la rencontre, au début et dans le quotidien, revient assez souvent dans vos écrits. Vous avez écrit : « L’amour penche toujours d’un côté. Lequel des deux a le plus marché pour rejoindre l’autre ? ». Qu’en est-il de la réciprocité, de l’évidence dont on parle souvent ?
Je crois qu’il y a une réciprocité dans le couple, car si ça ne va que dans un sens ça ne fait même pas un couple. Mais c’est aussi la mise en commun de deux déséquilibres. Si j’attends que l’autre ait donné autant pour moi-même me mettre à donner, cela ne va pas. Il faut entrer dans la danse, en n’ayant pas peur de faire le premier pas, tout en souhaitant que l’autre n’ait pas peur de le faire. La notion de savoir qui a fait le plus de pas peut aussi s’inverser. Si l’autre en a moins fait c’est peut-être qu’il a attendu.
Lire aussi :
Couple : comment accepter les différences de l’autre
J’entends beaucoup de personnes en couple dire fièrement : « Je suis à 100% », mais peut-être que l’autre l’est aussi d’une autre manière. Ce n’est pas parce que l’un est à 90% que l’autre est à 10%. Il y a donc bel et bien réciprocité, contre le mythe de « donner sans rien attendre en retour ». C’est très difficile de demander pardon et à la fois de pardonner, mais c’est difficile à la même mesure, et donc égal pour les deux membres du couple. J’ai donc été touché par le fait que François-Xavier peigne une danse, car on ne danse pas bien avec quelqu’un malgré lui, ça ne peut être qu’avec lui.
François-Xavier de Boissoudy montre d’ailleurs des regards qui ne se croisent pas, dépeint le couple dans son aspérité, sans mentir au spectateur.
Oui, c’est soit l’homme qui ouvre les mains, soit elle. Ce n’est pas en même temps. Je que trouve extraordinaire est que la peinture rend compte de l’espace et là il rend compte de la temporalité. Déjà, un homme et une femme n’ont pas la même, ils n’ont pas le même temps de compréhension même si un couple vit les mêmes choses. Accepter de ne pas avoir accès ou que l’autre n’ait pas encore accès à cette différence est très important. Si ce que je vis dans notre histoire a déjà une quelconque vérité, il ou elle s’en rendra compte à un moment donné.
Vous écrivez encore : « Un couple ce n’est pas d’abord se marier mais c’est déjà se raccommoder, un échec pour échouer dans les bras de l’autre. » C’est assez rare d’en parler ainsi, pourquoi est-ce si juste ?
S’aimer est le visage de la miséricorde de Dieu — qui nous connaît et nous aime quand même —, et notre travail en plus est de nous laisser aimer, malgré la conscience de notre péché. Un couple est, à mon sens, un sacrement quotidien de la réconciliation, car je sais le péché de l’autre, il sait mon péché, et il y a alors deux choix. Ce sont les mêmes que dans la vie spirituelle. Ou bien je laisse l’autre dans son péché à condition qu’il me laisse dans le mien, et c’est une possibilité mais le couple est mort. Ou bien, dans une épreuve de vérité, je sais que l’autre accepte mon péché et me reste fidèle malgré tout, et je sais le sien mais n’accepte pas mollement qu’il y reste. C’est vrai que se dire qu’on se marie pour se pardonner le mal qu’on se fera, ça inverse tout. Mais cet amour créé au lieu de nos faiblesses sera encore plus fort.
Une certaine paix se dégage de cette série de tableaux. Les regarder peut-il aider pour notre vie spirituelle ou pour notre vocation ?
Oui, cela m’a vraiment fait réfléchir. Il peint à la fois des moments suspendus, comme pouvait le faire Caravage, et des moments très posés. L’homme regarde la femme regarder le paysage, par exemple, ou bien on la voit poser sa tête contre son épaule. C’est peut-être cela la force du couple : vivre des choses fortes que l’on peut poser ensemble. Et ils ont en plus le temps de le faire. Regarder un tableau suppose de s’arrêter et cela ressemble un peu à ce qui sauve les couples. Je pense au tableau du Petit-déjeuner II, qui est un moment donné où le couple est seul, sans les enfants, pour pouvoir donner du temps à l’autre.
Lire aussi :
Les sept clés des couples qui durent
Il y a donc une grande paix qui ressort des tableaux, notamment parce qu’une large place est donnée à la lumière. Cela dénote une manière de ne pas enfermer l’autre ou le couple dans une mésentente ou une incompréhension. La présence de la nature montre aussi que la vie est plus grande que « nos points d’honneurs », dont parlait sainte Thérèse d’Avila. Car nos points d’honneurs sont aussi nos points de crispation. Un arbre ou un bouquet de fleurs n’en a pas, il est là et permet de déplacer la scène, avec un changement de perspective.
Faire commencer le couple par le bonheur et le faire terminer par les Béatitudes, pour lui permettre de grandir de manière mature, c’est donc cela le sens du mariage ?
La fidélité n’est pas une manière d’authentifier si le couple a réussi ou pas. La fidélité est la condition pour le couple d’aller jusqu’au bout. Je l’assimile à la reliure d’un livre. Tout ce qui s’écrit, même de pénible, s’écrit dans un même livre. Même dans le corps vieillissant de l’autre on lit toute cette histoire, et si quelqu’un ne comprend pas que l’on soit avec une telle personne vue de l’extérieur, c’est qu’en réalité il y a toute cette histoire. L’autre sait qu’on sait et inversement. La fidélité n’est pas fonction de ce qui a pu marcher, ni une question de chance ou de malchance. C’est le fait de décider que tout ce qui ne marche pas appartienne à la même histoire, et avec ce qui fonctionne.
Lire aussi :
Couple : les trois « P » pour faire durer le bonheur conjugal
C’est curieux car actuellement on parle beaucoup de bien-être et de la mort de l’ego. Alors que le couple est justement une école pour cela. On interrogeait un ami sur la durée de son couple après vingt-cinq ans de mariage. Et ce qui lui a permis de tenir dans les moments difficiles a été l’application des conseils d’un prêtre. Quand il était sûr d’avoir raison, il demandait pardon à ce moment-là. Cela permet de poser le point de vue de l’autre, et de rester dans la relation plutôt qu’avoir raison tout seul. C’est du concret pour mettre son ego de côté, pas dans la méditation, mais dans la relation en blessant son ego au contact de celui d’un autre.
Béatitude, de François-Xavier de Boissoudy et Martin Steffens, éditions de Corlevour, 2019, 15 euros.
Infos pratiques : conférence de Martin Steffens sur le thème « Qui nous fera voir le bonheur? », le 7 janvier à 19h45 à la Galerie Guillaume : 32, rue de Penthièvre, 75008 Paris.
Exposition de « Béatitude » à la Galerie Guillaume, jusqu’au 25 janvier 2020.