Mathilde François a vécu une enfance douloureuse, sous le joug de parents au comportement destructeur. Les violences verbale, physique et psychologique étaient son lot quotidien. Aujourd’hui, elle s’est engagée sur le chemin du pardon. Pour elle, c’est l’unique moyen d’avancer. De sa voix claire et posée, elle raconte son itinéraire. Son histoire, c’est celle d’une enfant qui grandit dans une famille apparemment sans histoire. Mais ce vernis impeccable cache de grandes souffrances, tant physiques que psychologiques. Mathilde François, qui a changé son nom par égard pour ses parents, est thérapeute. Cette quadragénaire livre un témoignage de vie bouleversant dans De la maltraitance à la liberté. Aujourd’hui mariée et mère de famille, ses premières années de vie ont été lestées de grandes souffrances. Pourtant, lance-t-elle d’emblée, son but à présent n’est pas “d’entasser des histoires tristes” mais plutôt de montrer que “du bien en est sorti malgré tout”. Mathilde est une aventurière de l’amour et du pardon. Ses filets, elle les jette en avant.
Une famille soi-disant parfaite
La fillette grandit dans une famille aux apparences parfaites “cochant toutes les cases de la normalité”, selon ses mots : un milieu aisé, des valeurs fortes, une famille unie vue de l’extérieur. Mais à l’intérieur, la souffrance est réelle et indicible. Sa mère est destructrice, son père lâche et silencieux. “Il y avait une discordance entre extérieur et intérieur. Les apparences comptaient plus que tout”. L’enfant reçoit des coups, des humiliations, des insultes et des paroles de malédiction de la part de sa mère, de l’indifférence du côté paternel. Lorsque la famille découvre que ce dernier mène une double vie, sa mère a besoin d’un bouc émissaire et les mauvais traitements redoublent. “J’étais complètement diabolisée. Ma mère me lançait que j’étais mauvaise et que le mal était inscrit au fond de moi. Mais ce n’était pas le visage le plus pénible de la maltraitance. Le pire était la négation de cette maltraitance. En effet, à partir du moment où elle est reconnue, on peut en guérir. Si on le laisse pleurer pour cela, l’enfant peut cicatriser. Mais pour moi, cela a été le déni. Ma mère me disait : “C’est pour ton bien. Il n’y a que moi qui vois qui tu es vraiment”. Elle réécrivait l’histoire. Ce qui était vécu était recouvert de mensonge”.
“Mon désir de Dieu a grandi à mesure que je me sentais non aimée de mes parents. J’ai été chercher en lui ce que je ne recevais pas d’eux.”
Cette maltraitance quotidienne porte des fruits terribles. Dès l’âge de 9 ans, Mathilde est sujette à des troubles obsessionnels compulsifs (TOC). Le soir, elle peut passer jusqu’à quatre heures à arpenter la maison pour vérifier que le gaz est fermé, le fer à repasser débranché, le four éteint, la porte verrouillée… Ces troubles sont la manifestation évidente d’un mal-être profond. Puis, adolescente, elle tombe dans un autre enfer : l’anorexie. Désirant échapper à sa mère, elle développe des idées suicidaires. Tout cela, elle le porte seule. Bien qu’elle ait des amis et des grands-parents aimants, mue par un besoin de loyauté, elle n’en parle à personne. “Pour un enfant, c’est difficile d’aller dénoncer ceux dont il attend tout”, explique-t-elle. “En les dénonçant, il condamne toute chance d’être aimé dans le futur”.
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Ce qui la sauve ? Un grand amour de la vie et une foi profondément ancrée. Car, reconnaît-elle, si ses parents l’ont maltraitée, ils lui ont fait un beau cadeau : la foi. “Ils m’ont faite baptiser et ils m’ont emmenée à la messe tous les dimanches”. Cette foi lui donne une force extraordinaire. “Le Seigneur m’a donné un grand amour de la vie”, lance-t-elle avec enthousiasme. “Sans la foi, je n’aurais pas résisté à cet empoisonnement quotidien. J’aurais été engloutie et j’aurais pu passer à l’acte. Ce qui est beau, dans tout cela, c’est que ces souffrances ont aussi été chemin vers Dieu. Mon désir de Dieu a grandi à mesure que je me sentais non aimée de mes parents. J’ai été chercher en lui ce que je ne recevais pas d’eux”. Elle pratique la messe quotidienne, confiant à Dieu très concrètement ses peines et sa misère, comme une enfant qui s’adresse à un père aimant et consolant. Elle cite ces mots d’un ami : “La maltraitance de tes parents a créé un berceau à Dieu en ton âme”. Et poursuit : “Il y a eu un désert d’amour qui aurait pu me tuer, comme un goutte-à-goutte mortel au quotidien qui peut embarquer un enfant dans la folie ou le suicide. Pour moi, la foi, c’était croire en un amour dont j’avais trop besoin pour pouvoir en douter. C’était une question de vie ou de mort”.
Un vrai désir de pardonner
À la fin de l’adolescence, elle entend au fond de son cœur cette parole du Deutéronome : “Choisis la vie” (Dt 30, 19). Elle la comprend comme une invitation à aller de l’avant et à laisser derrière elle ses troubles alimentaires. Le premier jour du reste de sa vie. “J’ai donné ma liberté à Dieu et cela a été une décision de vie. Le Seigneur ne m’a pas ôté mes combats, mais au bout de quelques mois, j’ai été délivrée et j’ai un peu récupéré mon droit à vivre. Cela m’a remis en selle pour la vie”. À 21 ans, elle rencontre son futur mari qui l’aide à aller de l’avant, et quitte la maison familiale. “Aujourd’hui, malgré ces failles, j’ai une vraie force, notamment dans mon couple. J’ai appris à dire non à mes peurs”.
“Est-ce que j’ai pardonné aujourd’hui ? Je ne sais pas. Mais plus je les vois au-delà du mal qu’ils m’ont fait, plus je me libère et je favorise la circulation d’amour entre nous.”
“Pardonner à mes parents a toujours été mon désir. C’est vraiment un chemin et l’on n’a jamais fini de pardonner. J’essaie de faire ma part chaque jour en ce sens. Est-ce que j’ai pardonné aujourd’hui ? Je ne sais pas. Mais plus je les vois au-delà du mal qu’ils m’ont fait, plus je me libère et je favorise la circulation d’amour entre nous”. Cette démarche passe par de petits choix très concrets comme ne pas dire du mal d’eux à ses enfants. “J’essaie de ne pas les réduire au mal qu’ils m’ont fait. Entre eux et moi, il y a Jésus vivant qui les aime comme il m’aime. Si je ne leur pardonne pas, c’est là que je serai pénalisée. Si je garde volontairement un désir de vengeance, tous les malheurs du passé se trouveront prolongés. Le désir de pardon est toujours là. Je pense que c’est la seule solution”, note-t-elle. “Ce n’est pas pour autant que j’y arrive tout le temps ! J’ai encore des progrès à faire”, juge-t-elle bon de préciser. “Si je n’avais pas vécu tout cela, je ne serais pas celle que je suis aujourd’hui. Ce n’est pas lisse mais nous avons tous des résidus plus ou moins gros. Les failles, c’est aussi ce qui permet à la lumière d’entrer, donc ce n’est pas une catastrophe. Elles sont aussi un chemin de vie. Aujourd’hui, je suis très heureuse et j’ai beaucoup de gratitude !”, lance-t-elle avec force.
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Que dirait-elle à des enfants qui subissent les mêmes affronts qu’elle ? “Je les encouragerais à confier leur fardeau à une personne pouvant les aider, de trouver quelqu’un avec qui partager cela. Dans ce genre d’épreuve, on a besoin de compassion et de consolation. Il faut envelopper cela de mots”. Elle cite en appui ces mots de Boris Cyrulnik : “Tous les chagrins sont supportables si on en fait un récit”. “Le malheur porté seul finit cloué au fond de la personne”, renchérit Mathilde François. La rédaction de son livre, qui a duré cinq ans, l’a énormément aidée. “Cela a été libérateur. Le problème n’était pas tant dans les faits vécus que dans le mensonge et la confusion. Le travail d’écriture m’a permis de sortir de la confusion et d’amener la vérité à la lumière. Cela a continué le chemin de guérison qui était déjà bien amorcé. C’est un peu comme un oignon : on guérit les couches les unes après les autres. Je crois que la vie est faite pour cela : pour guérir de plus en plus, pour pardonner de plus en plus, pour aimer de plus en plus”.
De la maltraitance à la liberté, Mathilde François, EdB, avril 2019, 13 euros.