Il y a héros et héros : ceux qui tombent dans la nuit noire, pour la patrie, et ceux qui font vibrer les stades. Les honorer avec la même médaille n’est pas ajusté.« Héros » est un mot grec qui renvoie aux « temps héroïques » de l’Antiquité. On peut penser par exemple à la guerre de Troie, quand Hector et Achille s’affrontent en un combat homérique. Dans la mythologie grecque, le héros est un demi-dieu. Dans notre histoire, l’histoire courante des nations et des peuples, les héros ne sont pas des demi-dieux mais des personnes extraordinaires qui multiplient les exploits guerriers et entrent dans la légende. Leurs noms passent à la postérité, ils sont inscrits dans l’âme de leur peuple.
Une dimension sacrée
Les treize soldats morts pour la France au Mali ne sont ni des demi-dieux ni des héros appelés à laisser leurs noms sur la grande fresque historique qui chante le cantique de la patrie. Ce sont des héros militaires plus ordinaires, des soldats tombés dans la nuit noire, loin des chez eux, en Afrique. Lundi 2 décembre, lors de l’hommage national, dans la majestueuse cour des Invalides à Paris, le président de la République a prononcé leur éloge funèbre et les a faits chevaliers de la Légion d’honneur à titre posthume, avant que ne résonne la sonnerie aux morts, puis la marche funèbre de Chopin. Ils ne sont ni Achille ni Hector mais ils sont morts en héros. Cette qualité leur est reconnue par toute la nation. Ils ont bien mérité de la patrie, comme on dit. Leurs familles vivent cette expérience à la fois douloureuse et glorieuse de donner un enfant, un mari, un père ou un frère, pour la France.
L’héroïsme présente un lien intime avec la mort et le sacrifice ; le sacrifice de sa vie pour la France. La mort est en quelque sorte la compagne secrète de l’âme du soldat. Le soldat en parle rarement, il y pense souvent. « Le don de soi de ces militaires est l’une des dernières dimensions du sacré dans une société sans transcendance », souligne avec justesse Jérôme Fourquet dans Le Figaro.
Une question de symbole
Au mois de juin dernier, Emmanuel Macron avait remis la Légion d’honneur à d’autres gosses de 20 ans. Ils étaient 22 ; héros de la Coupe du monde de football, gagnée de haute lutte par la France. Bien sûr, c’est un abus de langage de dire que ces garçons sont des héros. Cependant cet abus est permis, tant il est vrai que le football produit de grandes émotions collectives. Alors, nous les appelons « héros » les soirs de finales, mais nous savons bien que ce n’est qu’une manière de parler.
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Nous faisons naturellement la différence entre l’héroïsme des 22 et celui des treize. Pourtant, c’est bien la même médaille qu’ils ont reçue. Et c’est bien dommage. Ce n’est pas ici une question de vocabulaire, mais de symbole. Leur appliquer le même symbole n’est pas ajusté. Cela ne signifie pas que les 22 héros de 2018 n’aient aucun mérite. Mais après tout, il existe également un ordre du… mérite. Et l’on pourrait imaginer un ordre du « mérite sportif », comme il existe un « mérite agricole » ou un ordre des « arts et des lettres » pour ceux qui sauvent le monde par le beau.
Le rouge est la couleur du sang ; la « rouge » (c’est ainsi que l’on appelle la Légion d’honneur) devrait être réservée à ceux qui versent leur sang ou se comportent en héros au risque de le verser, comme nos treize enfants de la patrie morts pour la France au Mali.
Chronique publiée en partenariat avec Radio Espérance, 4 décembre 2019.
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