De plus en plus d’hommes et de femmes se posent la question des bonnes priorités dans leur couple et avec leurs enfants. Est-ce que l’équilibre entre travail, couple et enfants est juste ? Est-il logique qu’un conjoint se consacre avant tout à sa carrière, quand l’objet d’art que Dieu lui a confié n’est encore qu’inachevé ? Tout est question de dosage.
« Non, Obélix, tu n’auras pas de potion magique, tu es tombé dedans quand tu étais petit ». Obélix est fort, très fort. Et c’est normal, car il a reçu une quantité énorme de potion magique dans son enfance. D’une certaine façon je me sens un peu comme Obélix, car moi aussi, je suis tombé enfant dans une “potion magique” : j’ai vu l’amour de mes parents, leur effort de se donner l’un à l’autre… tout un art ! Mais en plus de cela, j’ai aussi reçu beaucoup d’amour et d’attention de leur part. Et cela rend fort, très fort.
Ma mère était présente, simplement présente. J’ai la chance d’avoir eu dans mon enfance une mère présente non seulement physiquement, mais aussi psychologiquement, car elle savait être attentive à chacun de ses enfants. Mon père aussi était présent. Quand j’avais quatorze ans, il a choisi de travailler depuis la maison. Par conséquent, il gagnait moins d’argent, mais il était plus présent pour nous… Aux heures de travail, nous n’avions pas le droit de le déranger, mais nous savions qu’il était là. En rentrant du collège, j’entrouvrais la porte de son bureau et je voyais mon père qui avait choisi d’être présent pour ma mère, pour nous, pour moi. Cela nous a rendu forts, très forts.
“Chaque couple, au début de son chemin à deux, est habité par une vision semblable. Mais celle-ci se limite souvent à idéal bientôt laissé de côté parce qu’on finit par le trouver trop idéaliste.”
Je sais que tous les parents ne peuvent se permettre un tel choix. Cela ne m’empêche pas de pouvoir témoigner du courage des miens, de cette capacité de choisir, de préférer ou de renoncer. Ils avaient cette liberté et, à mon avis, c’était une des clés de leur vie. Ils avaient trouvé cette liberté au début de leur vie de couple, en choisissant de donner la priorité à Dieu (et à ses plans) et à la famille. Ce noble idéal semble plus facile à rêver qu’à pratiquer, le vivre avec cohérence n’est pas toujours facile. C’est dans la ligne de ce que C.S. Lewis disait : « Chacun d’entre nous considère que le pardon est une idée sublime, jusqu’au jour où il a quelque chose à pardonner ».
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Les choix de mes parents les ont vraiment rendu libres. De cette liberté d’être pleinement femme et homme, épouse et époux, mère et père. Ma mère n’est pas une femme d’une nature différente d’une autre femme. Pour mon père, il n’était pas plus facile de réorienter ou de purifier son ambition que pour un autre homme. Trois choses essentielles caractérisait leur couple. La première, c’était leur ambition : nous et leur couple. La seconde, c’était leur projet de vie : nous et leur couple. La troisième, c’était leur succès : nous et leur couple. Je crois que chaque couple, au début de son chemin à deux, est habité par une vision semblable. Mais celle-ci se limite souvent à une seule intuition, un idéal bientôt laissé de côté parce qu’on finit par le trouver trop idéaliste.
“Aujourd’hui, la nécessité que les deux époux travaillent est un fait établi (ou unanimement reconnu). Comme si la carrière professionnelle était devenue le lieu de l’accomplissement et de la satisfaction personnelles.”
À mon avis, avant de se marier, mais aussi après quelques années de vie commune, il est précieux de remettre en question les priorités dans la vie du couple et de la famille… si jamais nous avons établis de telles priorités. Il ne suffit certainement pas d’être d’accord sur le principe qu’il faut donner du temps au couple et aux enfants. Avec gravité, il faut voir si nous sommes en train de vivre l’idéal que nous avons recherché au moment de nous mettre en route pour devenir un couple.
La question des bonnes priorités
Aujourd’hui, la nécessité que les deux époux travaillent est un fait établi (ou unanimement reconnu). Comme si la carrière professionnelle était devenue le lieu de l’accomplissement et de la satisfaction personnelles. Je ne nie pas l’importance du travail, loin de là. Mais en même temps, ma propre expérience et l’exemple de mes parents m’interrogent. Ce que mes parents ont pu faire il y a 25 ans, ce qui avait été pratiqué pendant les milliers d’années précédentes, le pourraient-ils encore aujourd’hui ? A-t-on le droit d’être encore différent ?
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Sans verser dans la provocation, j’observe que ce sont souvent ceux qui ont osé penser différemment, qui ont changé la mentalité de toute une société. L’abolition de l’esclavage, par exemple, a été rendue possible grâce a une minorité de personnes qui disaient que quelque chose n’est pas juste dans notre manière de traiter les esclaves. Plus tard, la prise de conscience des enjeux écologiques planétaires est venue d’autres minorités qui disaient que quelque chose n’est pas juste dans notre manière de traiter la nature. Aujourd’hui, je sais qu’il y a de plus en plus d’hommes et de femmes qui se posent la question des bonnes priorités dans leur couple et avec leurs enfants : quelque chose n’est peut-être pas juste dans notre équilibre entre travail, couple et enfants…
“Chaque minute qu’une mère passe avec son enfant le rend plus fort. Chaque regard qu’un père pose sur son enfant le rend plus sûr de lui.”
L’autre jour, une jeune maman me disait qu’elle avait confié ses enfants dès l’âge de 3 mois à une nounou. Les lundis matin, quand elle était au cœur de réunions passionnantes au bureau, elle ne pouvait s’empêcher de se demander en même temps « mais pourquoi ne suis-je pas avec mon enfant ? Pourquoi suis-je en train d’utiliser presque tout mon salaire pour que quelqu’un d’autre surveille mon enfant ? Personne ne pourrait lui donner l’amour que j’ai pour lui ; personne ne pourrait le rendre fort comme moi je le peux… Puis-je déléguer à une autre personne la mission la plus importante dans ma vie, celle d’être mère ? ». Après une très grande prise de recul, cette mère a écouté son cœur et a décidé de quitter le travail – qui pourtant la passionnait – pour pouvoir être libre de consacrer plus de temps à ses enfants. Ça a été la décision la plus vertigineuse de sa vie mais à l’instant où elle l’a prise, elle s’est sentie heureuse et libre. Une autre femme m’a récemment confié qu’elle n’a jamais regretté les sacrifices professionnels qu’elle avait fait pour ses enfants : “Aujourd’hui je me réjouis d’avoir eu le courage de les faire ».
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Ces témoignages et mon expérience personnelle me font penser que les parents ont une force à donner aux enfants, que personne d’autre au monde ne pourra jamais leur donner. Chaque minute qu’une mère passe avec son enfant le rend plus fort. Chaque regard qu’un père pose sur son enfant le rend plus sûr de lui. Et chaque minute qu’un couple passe ensemble et en harmonie le rend plus uni. Je me pose alors cette question : est-il logique qu’un époux ou une épouse se consacre avant tout à sa carrière, quand l’objet d’art que Dieu lui a confié n’est encore qu’inachevé ? Je ne veux blesser personne, car je sais que nombreux sont ceux qui n’ont pas le choix et qui doivent travailler. Mais je crois qu’on peut toujours reconsidérer le bon dosage.
Comment trouver ce bon dosage ? Il y a une scène dans l’Évangile de saint Luc qui m’a toujours bluffé. Jésus passe toute une nuit en prière. Après il descend de la montagne pour choisir ses apôtres (Lc 6, 12-16). Mais pourquoi Jésus a-t-il besoin de prier toute une nuit ? Peut-être avait-il besoin d’être sûr de ne pas choisir ceux qu’il préférait humainement, mais ceux que Dieu le Père voulait lui donner ? Il y a des missions que Dieu nous confie. Il y en a que nous nous confions à nous-mêmes. Mon conjoint et mes enfants, n’entrent-ils pas plutôt dans la première de ces deux missions ? Ne devrais-je pas prier davantage, pour être sûr que je donne la priorité à ceux qui la méritent le plus dans ma vie ? Pour que mon conjoint et mes enfants, eux aussi, deviennent forts, très forts…