La grève des hôpitaux est le signe d’un malaise dont le manque de moyens n’est pas le seul indicateur. Les métiers de la santé ou de l’éducation souffrent d’une perte de sens en raison du désert spirituel qui constitue désormais leur champ d’action.« On est arrivé à un moment d’épuisement majeur du personnel de santé, ça devient insupportable. » C’est Sophie Crozier, neurologue, membre du collectif Inter-Hôpitaux, qui s’exprime ainsi dans l’émission C Politique, sur France 5. En cause : les économies dans le budget de la santé, la diminution du nombre de personnels, des salaires qui n’augmentent pas, etc. « Les soignants ne peuvent plus exercer leur mission dans des conditions acceptables », insiste-t-elle, avant de lâcher ce cri du cœur : « Les soignants sont dégoûtés alors que ce sont des métiers formidables. »
Ce sont à peu près les mêmes motifs qui font aujourd’hui désespérer les enseignants ; et plus largement nombre de métiers dits « à vocation ». Que se passe-t-il pour arriver à ce niveau de déprime généralisée ? Le manque de moyens est sans cesse avancé ; et il est vrai que les coupes budgétaires jouent un rôle. Cependant, cela ne saurait suffire à expliquer un tel désenchantement de ces métiers qui offrent un service irremplaçable à la société. Il y a probablement autre chose…
Une perte de sens
Un jeune homme faisait remarquer cette semaine sur les réseaux sociaux que ces services étaient jadis du ressort de l’Église, laquelle a été en partie congédiée par l’État de la dimension sociale et éducative de sa mission. Et ce jeune homme d’avancer une « perte progressive de la dimension transcendantale et charitable ».
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Probablement, en effet, nous payons aujourd’hui une perte de sens des métiers à vocation en raison du désert spirituel qui constitue désormais leur champ d’action. Quand Dieu est absent de la vie d’une société, il y a une déshumanisation. Il faudrait donc évoquer aussi les moyens spirituels qui permettraient de donner un supplément d’âme à des métiers qui plongent au cœur de la condition humaine.
Le gigantisme
Un autre aspect vient peut-être accentuer cette déshumanisation : le gigantisme. Qu’il s’agisse de l’éducation nationale ou de l’assistance publique, l’État a créé des « mammouths » technico-administratifs sans âme. Celui qui y travaille est un numéro en quelque sorte noyé dans la masse. Et s’il veut faire valoir quelque doléance, il n’est à sa portée que de réclamer, via ses représentants, davantage de moyens matériels. Mais dans de telles structures gigantesques, un authentique dialogue sur le « bien » est difficile, voire impossible.
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Auteur de l’essai Une question de taille (Stock), le mathématicien et philosophe Olivier Rey exprime ainsi le besoin de retrouver le sens des proportions : « Il se trouve que dans le monde actuel, en proie au gigantisme, aux excroissances monstrueuses […], le sens des proportions doit pousser, à peu près partout, à la réduction d’échelle. » Et il insiste sur le fait qu’il ne s’agit pas de faire « l’apologie du petit en tant que tel, mais la recherche, en toutes choses, de la taille la plus appropriée pour l’épanouissement de la vie humaine. » Voici peut-être une manière de dire que l’âme ne peut s’épanouir que dans un corps proportionné.
Chronique publiée en partenariat avec Radio Espérance, 20 novembre 2019.