« Je ressens de l’horreur, évidemment, mais aussi une certaine colère : alors qu’il est question quasiment tous les jours, dans les médias, du nord de la Syrie, de la frontière avec la Turquie, du retour dans leur pays de personnes venues grossir les rangs de l’EI, personne n’évoque la situation dramatique des communautés chrétiennes qui y vivent », s’exclame auprès d’Aleteia Mgr Pascal Gollnisch, directeur général de l’Œuvre d’Orient. Ce lundi 11 novembre le père Joseph Hanna Ibrahim, prêtre de la communauté arménienne catholique de Qamichli, dans le nord-est de la Syrie, a été assassiné avec son père alors qu’ils se trouvaient dans leur véhicule et se rendaient sur un chantier de reconstruction dans la province de Deir Ezzor soutenu par l’Œuvre d’Orient. "Je suis proche de la communauté arménienne-catholique de Qamichli, en Syrie, réunie pour les funérailles de son curé, Joseph Bedoyan", a de son côté assuré le pape François sur Twitter.
Aleteia : Quelles sont les conséquences de cette attaque pour la communauté arménienne catholique de la région ?
Mgr Pascal Gollnisch : Cette minorité vit dans ce qu’on appelle la Mésopotamie syrienne, c’est-à-dire entre le Tigre et l’Euphrate. Nombre de ses membres sont venus s’installer ici en 1915 car ils fuyaient le génocide arménien perpétré par l’Empire ottoman avec le soutien d’une partie de la population kurde. Ils se sont établis ici car ils ont été chassé de leurs terres en Turquie. Je ne sais pas si ce prêtre était spécifiquement visé mais cela me semble évident que les communautés chrétiennes l’étaient. Outre ce double assassinat il y a eu trois explosions visant des lieux chrétiens de Qamichli : une école catholique tenue par des religieuses, une église ainsi qu’un commerce catholique. J’ai dû mal à y voir un simple hasard…
"Il y a péril pour ces communautés chrétiennes totalement abandonnées par la communauté internationale, que ce soit l’Union européenne ou les Nations unies."
Il y a un mois la Turquie lançait une offensive dans la région visant les kurdes… Y a-t-il un lien entre ces deux événements ?
Il y a forcément un lien. Le retrait des troupes américaines et l’offensive turque ont fragilisé la région. Et lorsque les structures institutionnelles sont fragilisées, les minorités se retrouvent beaucoup plus vulnérables. À cela il ne faut pas oublier que la Syrie a traversé neuf années de guerre civile. Concernant les Kurdes, certains ont voulu créer un Kurdistan indépendant en Mésopotamie syrienne mais les Kurdes n’y ont jamais représenté plus de la moitié de la population. C’est un autre facteur de déstabilisation.
Quel regard portez-vous sur l’action de la communauté internationale ?
Je suis effaré de voir l’absence de réaction de la part de la communauté internationale et de l’opinion publique. Il y a péril pour ces communautés chrétiennes totalement abandonnées par la communauté internationale, que ce soit l’Union européenne ou les Nations unies. Tous les matins on parle de gens qui ont rejoint l’EI sur un ton de victimisation… En réalité ils l’ont fait en pleine connaissance de cause, ce ne sont pas des victimes mais des bourreaux ! Je ne comprends pas qu’on ne parle pas davantage de créer une justice pénale internationale comme on l’a fait dans d’autres situations comme les Balkans ou le Cambodge. Les crimes commis en Syrie et en Irak l’ont été pour une partie par des ressortissants occidentaux, pour moi cela relève typiquement d’une cour pénale internationale (CPI). Mais j’ai l’impression que cela n’intéresse pas, cela ne mobilise pas.
L’État islamique est-il toujours une réalité en Syrie ?
L’EI, c’est trois choses. C’est d’abord une idéologie qui, évidemment, demeure. Loin d’être détruite elle pose énormément de questions. Il faudrait que les responsables musulmans puissent exprimer beaucoup plus fortement en quoi ce n’est pas l’islam. Deuxièmement, c’est un territoire, le califat. Le territoire a été détruit. C’est un élément important car il diminue la puissance de l’EI qui n’a plus de terrain d’entrainement, qui ne peut plus imposer un impôt révolutionnaire aux populations. Enfin, c’est un réseau. Et ce réseau va désormais verser dans la clandestinité. L’EI demeure donc, comme en témoigne l’assassinat de ce prêtre et de son père, une réalité.