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Comment vivre le temps de l’éloignement

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Jean-François Thomas, sj - publié le 01/11/19
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La douleur de l’éloignement est une expérience qui peut faire grandir. Quand Dieu choisit, il sépare. L’épreuve de la séparation est aussi un temps où se fait sentir la présence de Celui qui ne nous laisse jamais seul.Il est dit qu’Ulysse, roi d’Ithaque, se fit tirer l’oreille avant d’accepter, convaincu par ses pairs, de participer à l’expédition punitive contre Troie. Jeune marié, il n’avait nullement l’intention d’abandonner Pénélope. Nous connaissons la fidélité de cette dernière, attendant ensuite, pendant de longues années d’incertitude, celui auquel elle était unie, ceci malgré les pressions et les intimidations, les menaces et les dangers. Toute séparation est douloureuse et cruelle. 

La douleur de la séparation

Joachim Du Bellay l’a chanté admirablement et nous avons tous appris ses vers à l’école : 

« Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage,
Ou comme cestuy-là qui conquit la toison,
Et puis est retourné, plein d’usage et raison,
Vivre entre ses parents le reste de son âge !

Quand reverrai-je, hélas, de mon petit village
Fumer la cheminée, et en quelle saison
Reverrai-je le clos de ma pauvre maison,
Qui m’est une province, et beaucoup davantage ?

Plus me plaît le séjour qu’ont bâti mes aïeux,
Que des palais Romains le front audacieux,
Plus que le marbre dur me plaît l’ardoise fine :

Plus mon Loire gaulois, que le Tibre latin,
Plus mon petit Liré, que le mont Palatin,
Et plus que l’air marin la doulceur angevine. »

La séparation ponctuelle, celle qui sera suivie par des retrouvailles assurées, occasionne elle-même une souffrance, à la mesure de la longueur de cette prise de distance. Tout simplement parce que chaque adieu est une image des adieux définitifs, de la mort. Nous ne sommes d’ailleurs jamais sûrs de nous revoir, y compris lorsque, le matin, nous quittons notre foyer ou notre famille, pour vaquer à nos occupations. Notre vie est aussi légère qu’un fin duvet de canard au sein de la tempête hivernale. Chaque jour est un miracle et revoir ceux qui nous sont chers est un cadeau précieux dont nous devrions être plus souvent reconnaissants et conscients du trésor que nous portons ainsi. La séparation plus longue, celle qui est imposée, permet à chacun de redécouvrir le prix de l’autre, son caractère unique ainsi que la fugacité de l’existence et du bonheur terrestre.

Une expérience de la mort

À notre époque, dans nos pays occidentaux, il est rare, sauf choix personnel, qu’un être soit séparé de ceux qu’il aime sans idée ou possibilité de retour. Jusqu’à une époque relativement récente, tout missionnaire qui quittait le port de Marseille voyait s’effacer à jamais le pays paternel et le visage des êtres aimés demeurés sur le quai. Il en fut de même pour tous les aventuriers de tous poils au cours des siècles, engloutis par les éléments hostiles ou adoptés dans de nouvelles patries. De façon identique, ceux qui partent pour le champ de bataille ne sont jamais certains de revenir. Tous les officiers et soldats français tombés au champ d’honneur ou disparus sous les tortures en Indochine quittèrent un jour leurs femmes, leurs fiancées, leurs parents et leurs enfants sachant que le risque était grand de ne point revenir des terres lointaines qu’ils devaient protéger. Aucune séparation n’est heureuse, sauf celle qui résulte d’une fuite, d’un abandon de poste. 


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Dans les autres cas, il faut savoir contrôler ses émotions, maîtriser ses passions. L’être intérieur ne peut que grandir dans l’expérience de la séparation car il sort de son égoïsme naturel, des habitudes qui risquent d’émousser les sentiments et d’étouffer la flamme. La tristesse due au départ semble être le propre de l’homme. L’animal de compagnie le plus fidèle est capable d’exprimer sa joie lors du retour du maître, comme Argos, le chien d’Ulysse, qui le reconnut immédiatement après vingt ans d’absence, mais il demeure indifférent à la séparation, n’en souffrant qu’une fois le maître parti. Ceci s’explique sans doute par le fait que l’homme se sait mortel et qu’il découvre dans chaque séparation une pointe du déchirement ultime. Les larmes versées dans les ports et les aéroports sont aussi des pleurs sur notre propre condition mortelle, sur le caractère éphémère des amours humaines les plus profondes.

Jamais seul, en divine compagnie

Notre Seigneur a connu l’épreuve des séparations humaines, mais la volonté du Père possédait la primauté. Lorsque nous quittons les êtres aimés, pour un temps plus ou moins longs, nous ne sombrons pas dans une solitude glacée puisque nous demeurons en compagnie de Celui qui est à l’origine de tous nos précieux attachements humains légitimes. Nous pourrions être séparés de tout et de tous, nous serions encore en divine compagnie. Ceux qui connaissent des déchirements absolus et qui tiennent bon, y compris en croupissant dans des cachots, sont ceux qui ne quittent jamais la main de Dieu, alors même que les mains humaines ont disparu. Lorsque Dieu choisit, Il sépare. Il a procédé ainsi pour les patriarches et pour les prophètes, et pour le peuple élu. Pour appartenir totalement à Dieu, il est nécessaire que des liens sont rompus, irrémédiablement ou momentanément. Sans ce sacrifice, la communion avec Lui n’est que théorique.



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Alors nous pouvons accueillir l’épreuve de chaque séparation qui coûte comme un moyen de progresser dans l’amour de Dieu et, par ricochet, dans l’amour humain qui nous lie à ceux que nous sommes obligés de quitter. Cela ne signifie pas que le mouvement est aisé. Il faut forcer un peu sa nature, peu habituée à ce genre de traitement, mais le résultat final n’est jamais nul. Nous parlons bien sûr des séparations qui ne sont pas l’œuvre de notre indifférence ou de notre infidélité. S’il suffisait de partir pour grandir, l’homme contemporain serait un géant puisqu’il est plus instable que jamais et qu’il abandonne même ceux auxquels il devrait être uni à jamais. Selon le commandement de Dieu, il est nécessaire, un jour ou l’autre, de quitter le foyer paternel pour fonder sa propre famille ou pour se consacrer à Dieu, mais il est contraire à sa volonté d’abandonner ensuite ceux envers lesquels on s’était engagé, ce pour quoi on avait tout donné.

La joie des retrouvailles

La séparation prend tout son sens lors du temps des retrouvailles. Entre les deux, se situe l’attente fidèle, douloureuse certes mais habitée par l’espérance de la réunification. Cette promesse permet aux prisonniers des pires camps de concentration de tenir au maximum de leurs forces. Lorsque tout manque, se voir sur le seuil du foyer aimé, prêt à serrer dans ses bras ceux qui sont la prunelle de nos yeux, permet d’accomplir un pas supplémentaire, et le cœur continue de battre, souffle après souffle, jusqu’à l’épuisement ou bien jusqu’à la joie enfin donnée. Mourir en vivant de cette espérance des retrouvailles est aussi un couronnement. L’attente n’a pas été vaine. Ulysse rentre seul à Ithaque, ayant perdu ses hommes les uns après les autres, mais tous ses compagnons n’ont survécu, jusqu’au bout, que grâce à cette espérance des retrouvailles plantée dans leur cœur.



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Tant de femmes bretonnes ont guetté en vain le retour des marins, tant d’épouses et de mères de soldats ont attendu sans se lasser contre toute espérance. Les retrouvailles ont eu lieu, d’une autre façon, surnaturelle, intérieure, intime, sans la présence de l’être aimé, en attendant la réunion dans l’éternité qui, elle, comblera toute tristesse. Que l’expérience de nos petites séparations nous aide à nous préparer à ces retrouvailles éternelles. « Heureux qui, comme Ulysse… »

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