Le journaliste et historien Jean Sévillia vient de diriger un ouvrage collectif “L’Église en procès”. La réponse des historiens aux éditions Tallandier. Il répond aux questions d’Aleteia à propos de cet ouvrage qui déconstruit de nombreuses idées fausses.
Vous avez généralement travaillé seul dans vos livres qui traitent de désinformation historique, comme Historiquement correct ou Historiquement incorrect. Pourquoi, cette fois, le choix d’un ouvrage collectif ?
Jean Sévillia : Ce sont les éditions Tallandier qui avaient le projet de publier un livre collectif sur tous les grands chapitres controversés de l’histoire de L’Église. On m’a demandé d’en prendre la direction, au double titre de ma fonction de chroniqueur d’histoire et de la notoriété des livres où je dénonce la manipulation politique et idéologique de l’histoire en m’appuyant sur les travaux des spécialistes, puisque je cite toujours mes sources. Mon travail de directeur de L’Église en procès a consisté à dresser la liste des sujets à traiter, puis à demander la contribution d’historiens et de chercheurs ayant acquis, par leurs publications, une légitimité pour traiter ces sujets. L’objectif était de démonter la légende noire de L’Église, sans pour autant opposer à celle-ci une légende dorée tout aussi fausse. Les quinze historiens — dont moi-même — qui ont participé à l’ouvrage étaient guidés par le principe de refuser le procès à charge systématique contre l’Église comme la défense aveugle de celle-ci, en vue de dégager la vérité.
Nombre des mythes autour de l’Église catholique ne trouvent-ils pas leur origine au XIXe siècle, lors du grand combat entre la République et l’Église quand le nouveau régime se voyait défenseur de la raison contre ce qu’il considérait alors comme un obscurantisme ?
La grande séquence anticléricale de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle, époque de rationalisme et de scientisme militant, a beaucoup fait, évidemment, pour nourrir un certain nombre de mensonges concernant l’histoire de l’Église, présentée comme une puissance intolérante, rétrograde et obscurantiste. Mais la polémique anti catholique est plus ancienne. On pourrait citer les attaques contre les chrétiens du philosophe romain Celse au IIe siècle, ou les critiques contre Rome émanant des théologiens byzantins à partir du XIe siècle, puis des polémistes protestants au XVIe siècle, puis des Encyclopédistes au XVIIIe siècle. Une large partie de leur argumentaire sera reprise au XIXe siècle, puis au XXe siècle où il existe toute une littérature anti catholique d’inspiration soit républicaine-anticléricale, soit matérialiste-marxiste… C’est l’accumulation de toutes ces déformations de l’histoire, qui ne sont pas de même origine et ne se situent pas toutes sur le même plan, qui forme la légende noire de l’Église, légende noire qu’il faut décortiquer froidement, scientifiquement, pour démêler le vrai du faux.
L’inculture religieuse toujours plus grande n’est-elle pas aussi aujourd’hui responsable des nouveaux mauvais procès faits à l’Église ?
Oui, bien sûr. Nous avons assisté, au cours des années 1960-1970, à une profonde rupture de transmission de la culture dans tous les domaines, y compris dans le domaine religieux. Au début du XXe siècle, les plus acharnés des anticléricaux avaient reçu une éducation religieuse dans leur jeunesse. Émile Combes, chef du gouvernement le plus anticlérical que nous ayons jamais eu, était un ancien séminariste. Jusqu’aux années 1960, 90% de la population française était baptisée catholique, et une majeure partie catéchisée. Si bien que même dans les familles qui se tenaient éloignées de l’Église, ou qui rompaient complètement avec celle-ci, il y avait un minimum de connaissance du christianisme. Aujourd’hui, l’inculture religieuse est écrasante, ce qui favorise la propagation des idées fausses sur le passé de l’Église. Ajoutons, pour être franc, que les catholiques eux-mêmes ne sont guère armés sur ce plan, car où et quand ont-ils l’occasion d’apprendre sérieusement l’histoire de leur religion ?
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N’est-ce d’ailleurs pas tout simplement le fait religieux qui est en procès aujourd’hui ?
Oui, bien sûr. Un nouvel hyper laïcisme s’est développé depuis une trentaine d’années, qui combat toute forme d’expression religieuse dans l’espace public au nom de la laïcité, ce qui procède d’une confusion des esprits : si depuis 1905 l’État est laïque et séparé de l’Église — plus exactement séparé des Églises, puisque toutes les confessions sont concernées —, la société n’est pas laïque et les religions ont le droit de se manifester publiquement, dans le cadre législatif en vigueur. Cet intégrisme laïque a deux sources. Il vise d’une part à préserver le dogme de la liberté individuelle sur tous les plans (« aucune religion n’est en droit de me dicter ma conduite », se dit le citoyen d’aujourd’hui), et d’autre part prétend résoudre en les mettant de côté les problèmes inédits posés par la présence croissante de l’islam en France. Parce que pour ce qui concerne l’influence supposée de l’Église catholique dans la société de nos jours, en France en tout cas, mais c’est vrai pour pratiquement tous les pays de l’Europe occidentale, il s’agit d’un pur fantasme. On le constate avec la révolution anthropologique que nous traversons : l’Église n’est pas en mesure de s’y opposer sur le plan politique et législatif.
À la lecture de votre livre, on pense parfois au livre de William Cavanaugh, Le mythe de la violence religieuse. Est-ce un ouvrage nécessaire selon vous pour combattre certaines idées reçues sur les rapports entre violence et religion ?
Sur le plan philosophique, assurément, même si Cavanaugh appuie son raisonnement sur des exemples tout à fait concrets. Ce théologien américain ne nie pas qu’on a pu tuer, dans l’histoire, au nom du christianisme, de l’islam ou d’autres religions. Mais il rappelle qu’on tue aussi au nom de la révolution marxiste ou d’impératifs capitalistes. Dans notre livre, les chapitres consacrés aux croisades, à l’Inquisition ou aux guerres de Religion montrent que ces épisodes mettaient en œuvre, à partir d’un prétexte de nature religieuse, des intérêts humains, politiques, financiers ou autres dont la dimension était purement terrestre. Ce n’est donc pas la religion qui tue, ce sont les hommes.
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La question de la pédophilie dans l’Église, malheureusement toujours d’actualité, fait aussi le sujet d’un chapitre. Peut-on dire que l’Église est sur la bonne voie pour combattre ce mal ?
Oui, nous avons consacré à ce sujet d’actualité un chapitre dans un livre d’histoire, parce que je suis persuadé que, plus tard, avec le recul du temps, cette dramatique question sera considérée comme une crise majeure de l’Église contemporaine. Il y a encore du chemin à faire, mais en Europe et en Amérique, l’Église est plutôt en bonne voie sur ce plan, ce qui n’est pas toujours le cas, pour ce que j’en sais, en Afrique et en Asie. En tout cas, nous rappelons que le cardinal Ratzinger, à la fin des années 1980, a été un des premiers, au sommet de l’Église, à avoir compris la gravité du problème et à vouloir y apporter des réponses : le futur Benoît XVI était lucide.
L’Église en procès. La réponse des historiens, sous la direction de Jean Sévillia, Tallandier / Le Figaro, 366 p., 21,50 euros.