Alors que les Français aspirent à plus de sérénité et d’approfondissement dans l’analyse de l’actualité, les écrans les bombardent d’informations superficielles… ou fausses. Au-delà des travers de la profession journalistique, ce qui est en cause est aussi notre rapport à la technique.Vendredi 11 octobre dernier, la vraie-fausse arrestation de Xavier Dupont de Ligonnès a fait entrer les médias dans un état de frénésie ahurissant, qui a duré 24 heures. Le lendemain, samedi 12 octobre, l’ADN avait parlé, le suspect interpellé à l’aéroport de Glasgow n’était pas Dupont de Ligonnès. Une voix tenta bien de crier dans le désert, celle du journaliste Christophe Hondelatte : « Ayons la patience d’attendre quelques heures que l’ADN vienne nous confirmer qu’il s’agit bien de Xavier Dupont de Ligonnès », dit-il sur Europe 1. Peine perdue, la machine infernale était en marche.
« Selon nos informations »
Songez que des journalistes d’un grand quotidien national s’y sont mis à cinq — pas moins ! — pour raconter n’importe quoi dans un article qui prétendait nous expliquer « comment les policiers ont retrouvé sa trace ». Leur article, un modèle du genre, contenait 95 % de remplissage recyclant la genèse de l’affaire et 5 % d’informations nouvelles qui n’en sont pas, dont cette perle : « Selon nos informations, Xavier Dupont de Ligonnès aurait, pendant plusieurs années, vécu à Glasgow sous une fausse identité, en ayant quelque peu changé d’apparence. Toujours selon nos informations, il parvenait à voyager grâce à un passeport volé en 2014. » « Selon nos informations… », voici la formule magique qui permet si souvent aux médias, avec l’usage d’un conditionnel-alibi, de raconter des carabistouilles pour assurer ce qu’il faut bien appeler un spectacle.
Indice de confiance
Cette affaire va accentuer encore, s’il en était besoin, la défiance envers les médias. Selon l’étude annuelle du Cevipof, leur indice de confiance se situe aujourd’hui à 23 %. Cette défiance est justifiée. Chacun de nous est fondé à considérer qu’il ne faut jamais prendre pour argent comptant un article de presse et qu’il est toujours prudent d’accueillir les informations avec une distance critique.
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Sur son blog, Bernard Lecomte a cité une consultation lancée sur l’Internet pour connaître les attentes vis-à-vis des médias. 104.000 personnes ont répondu. Les gens attendent principalement trois choses : « Moins de rapidité ; plus d’approfondissement ; plus d’expertise et de pédagogie ». Et Bernard Lecomte de commenter : « C’est très exactement le chemin inverse que prennent aujourd’hui, en rangs serrés, la plupart des grands médias ! »
La frénésie de la technique
Ces résultats présentent un paradoxe. Nous voudrions de la lenteur et de l’analyse ; et pourtant le spectacle, la polémique et l’immédiateté sont incontestablement générateurs d’audience. Cela signifie que nous-mêmes sommes collectivement pris dans l’engrenage frénétique. Pierre Rabhi écrivait : « Nous avons choisi la frénésie comme mode d’existence et nous inventons des machines pour nous la rendre supportable. »
Nous vivons à l’ère de la civilisation technique. La technique n’est pas neutre : elle produit en grande partie nos comportements, nos modes de vie… et alimente nos névroses collectives. Surinformés, hyperconnectés, souvent dépendants des réseaux sociaux, nous perdons pied. Et plus nous croyons savoir de choses, moins nous en savons sur les choses. Alors, nous aspirons à autre chose que cette frénésie et rêvons de lenteur, d’approfondissement et d’analyses, mais les écrans que nous utilisons à l’excès provoquent nécessairement l’inverse. Au-delà des travers de la profession journalistique, ce qui est en cause est aussi notre rapport à la technique.
Chronique publiée en partenariat avec Radio Espérance.
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