Le dernier livre de Julia de Funès arrive comme un pavé dans la mare de la mode du développement personnel. Il n’était pas encore sorti qu’il suscitait déjà de vives réactions de la part de quelques coachs.Développement (im)personnel, l’essai de Julia de Funès, docteur en philosophie, récemment paru aux Éditions de l’Observatoire, se fend d’un sous-titre sans équivoque : “Le succès d’une imposture”. Et pour cause, les rayons des librairies consacrés au développement personnel ne cessent de s’agrandir, selon une étude de 2017, 31% des français lisent chaque année au moins un livre de développement personnel… ils n’étaient que 17% à le faire en 2014.
Julia de Funès propose une attaque en règle de l’idéologie du développement personnel qui, dans le marché du livre, pèse 53 millions d’euros. Dans la première partie du livre, l’auteur relate brièvement les raisons historiques qui ont conduit au narcissisme de l’homme contemporain consommateur de coaching. Coaching de quoi au juste ? De tout ! Parce qu’aujourd’hui, et c’est là un premier constat indéniable, être coach est à la portée de n’importe qui, et on peut se faire coacher pour tout. Peut-être faudrait-il distinguer entre ces types de coaching et admettre que certains sont plus légitimes que d’autres… mais là n’est pas l’enjeu puisqu’il s’agit de cibler l’idéologie de fond qui propose, au moyen de techniques d’une simplicité déconcertante, d’atteindre le bonheur, l’authenticité et réussir sa vie.
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C’est en passant au crible trois best-sellers du genre que l’auteur appuie son réquisitoire : Devenir soi de Jacques Attali, Cessez d’être gentils, soyez vrais de Thomas d’Asembourg et Les cinq blessures qui empêchent d’être soi-même de Lise Bourbeau. Elle met en lumière le style flatteur et séducteur de ces ouvrages et ses apôtres ainsi que les injonctions paradoxales faites de moyens dérisoires par rapport à l’objectif promis avant de conclure que non, le bonheur ne s’obtient pas en cinq étapes normées et définies en amont.
Le réquisitoire ne laisse rien passer : la rationalisation qui explique le fonctionnement de l’homme comme s’il s’agissait d’un processus, le solipsisme affirmant la toute-puissance de l’homme ; et enfin le mysticisme qui, depuis l’origine, place le développement personnel dans la mouvance New Age. Ces idéologies sont analysées et déconstruites une par une dans la dernière partie. La lecture de l’ouvrage permettra de découvrir les tenants et aboutissants de chacune d’entre elles, mais aussi de suivre l’auteur dans l’ouverture philosophique proposée car il s’agit de “déconstruire pour libérer” l’individu des “balises comportementales” dictées par le développement personnel.
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Pour ce faire, Aristote, Kant, Hume, Sartre, Heidegger et quelques autres sont convoqués tour à tour pour penser les limites du développement personnel dans son réductionnisme simplificateur. Un léger regret à ce sujet, les auteurs convoqués le sont de façon trop éclectique.
Certes cela réserve de bonnes surprises pour un lecteur amateur de philosophie, mais lorsqu’on connaît la richesse de l’anthropologie philosophique réaliste, celle-là même sur laquelle s’est fondée l’anthropologie chrétienne, on reste un peu sur sa faim. Car la philosophie est en mesure de proposer non seulement une ouverture intellectuelle mais aussi une vision de l’homme comme un être doué d’intelligence et de volonté, et donc libre et responsable.
Développer son intelligence pour chercher la vérité et former sa volonté pour faire le bien est le programme de toute une vie. Fonder le coaching sur cette vision de l’homme c’est accepter d’entreprendre une route plus longue, mais les conseils du coach auront le mérite d’être vrais et de ne pas créer d’illusions. En somme, il s’agit là de formation humaine. L’engouement pour le développement personnel n’est-il pas un palliatif à ce manque de formation ?
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