Les bouleversements prévus par le projet de révision de la loi de bioéthique ouvrent la porte à la double pression du commerce de la reproduction et de l’eugénisme. Contre la logique du primat de la volonté, une société plus écologique reconnaît dans les limites inscrites dans la nature une ouverture à l’amour.Y aura-t-il débat ? Le 24 septembre s’est ouvert la discussion en première lecture du projet de loi relatif à la bioéthique et beaucoup en doutent. Formellement, certes, les députés de diverses tendances prendront la parole et des amendements seront soumis au vote. Mais la majorité parlementaire semble déterminée à soutenir la « révolution dans le droit de la filiation1 » que le gouvernement veut accomplir. Car, sans négliger les autres sujets du projet de loi, comme les greffes d’organes, l’examen des caractéristiques génétiques ou encore le traitement des données médicales par des algorithmes, c’est bien cette « révolution » constituée par la légalisation de la reproduction artificielle d’un enfant au bénéfice d’une femme seule ou encore pour deux femmes qui constitue un véritable bouleversement pour notre société.
Le primat de la volonté
Au-delà du petit nombre de femmes concernées, il s’agit de valider un type de filiation où le lien charnel s’efface devant la seule volonté d’être parent. Ainsi, pour deux femmes engagées conjointement dans un « projet parental », l’une sera déclarée « mère » sans avoir aucun lien génétique avec l’enfant fruit d’une insémination ou d’une fécondation in vitro avec transfert d’embryon. La distanciation du lien charnel est soulignée par le fait que le projet de loi prévoit que les deux femmes reconnaissent de manière anticipée l’enfant devant notaire au moment où elles consentent à l’insémination artificielle ou au transfert d’embryon. Autrement dit, l’enfant est reconnu avant d’avoir été conçu. À partir de cette logique du primat de la volonté, toutes les combinaisons sont possibles de paires d’adultes — ou plus — reconnus un jour parents car désirant l’être et prenant l’engagement — fragile — de prendre en charge l’enfant.
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Malgré les dénégations répétées du gouvernement, c’est d’abord la porte ouverte, au nom de l’égalité, à la possibilité pour deux hommes d’être « parents » par le recours à une femme qui portera l’enfant qu’ils désirent élever. Par ailleurs, pour éviter toute « discrimination », tous les couples seront-ils demain soumis à la reconnaissance anticipée de l’enfant ? Ce serait, argumente le groupe de travail bioéthique de la Conférence des évêques de France « l’effacement total de la primauté du lien charnel, source première de solidarité, et l’instauration d’une possibilité inquiétante de contrôle de la fécondité par les autorités publiques2 ».
Pression commerciale et eugénisme
En réalité nous sommes soumis à une pression internationale qui combine commerce de la reproduction et eugénisme. Aux États-Unis les jeunes femmes sont démarchées sur les campus universitaires pour vendre leurs ovules, au Danemark la compagnie Cryos permet la sélection de donneurs de sperme, en France l’Hôpital américain vend un test prénatal « non invasif » pour détecter 95% des anomalies supposées menacer l’équilibre génétique de l’enfant. Enfin, la réprobation internationale contre la production d’enfants génétiquement modifiés par un chercheur chinois n’empêche pas la France d’envisager des recherches incluant la modification des données génétiques de l’embryon sous réserve qu’il ne soit pas implanté. Comprenons : aujourd’hui nous ne sommes pas assurés que la technique de modification génétique (CrispR-Cas9) soit sans risque, mais nous allons travailler à l’améliorer et demain, peut-être, pourrons-nous faire naître des enfants génétiquement modifiés.
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Le projet de loi fragilise donc plus encore les résistances à cette double pression, sous couvert de concessions à des groupes minoritaires et à la faveur de l’idéologie du genre où, rappelle le philosophe Jean-François Braunstein, l’identité dissociée du corps devient purement « déclarative3 » . Le Conseil d’État exprimait l’an dernier son inquiétude que la suppression du critère d’infertilité comme condition d’accès à l’AMP entraîne la tentation pour des couples d’avoir recours à l’AMP combinée au Diagnostic préimplantatoire plutôt qu’à la conception charnelle, pour éviter les « aléas » de cette dernière4.
Dialoguer en vérité
Face à ce qui semble une fuite en avant du politique, quelle mission pour les chrétiens ? Nos évêques nous invitent au dialogue. Même s’il est très ardu de débattre rationnellement sur des sujets submergés par l’affectif et frustrant voire révoltant de ne pas se voir respecté, le service de la Vérité, autrement dit du Christ qui nous révèle qui est l’homme, nous engage à persévérer encore et toujours dans cette voie. Le mot de « fraternité » est également mis en avant. Il nous rappelle le commandement indissociable de l’amour de Dieu et de l’amour du prochain. La semaine dernière, aux Bernardins, la sociologue Irène Théry, reprenant cet appel à la fraternité, nous reprochait de ne pas l’appliquer en méconnaissant ces femmes seules ou en couples s’engageant dans leur projet parental5. Il s’agit de ne méconnaître personne, et il nous faudra bien demain agir en frères vis-à-vis de toute personne, en se souvenant précisément que la charité fraternelle inclut le service de la vérité. Il convient cependant de rappeler que la fraternité est intergénérationnelle. Elle ne saurait justifier la constitution d’un club d’adultes au détriment des droits élémentaires des enfants.
Écologie intégrale
Enfin, notre pape François nous a lancé dans un projet de société enthousiasmant : celui d’une écologie intégrale qui associe respect de l’environnement et respect de la dignité de la personne humaine dans une organisation sociale juste. À nous de convaincre nos concitoyens, notamment les jeunes, que leur aspiration à une société plus écologique inclut la promotion de relations humaines qui respectent sa nature corporelle et spirituelle. Cela demande un effort renouvelé d’éducation et le témoignage concret d’une vie plus sobre, y compris en ne cédant pas soi-même aux mirages des techniques de reproduction artificielle. Cela demande plus encore d’accueillir notre monde et nous-mêmes, dans nos fragilités, comme autant de dons de notre Créateur. René Frydman vient de déclarer que ce n’était pas à Dieu mais à l’humanité de poser des limites6. Ce promoteur de la PMA en France, qui a appliqué aux femmes sans discernement des techniques issues de la pratique vétérinaire et expérimenté dès le début sur des embryons humains, est un avocat bien peu convaincant de la capacité de l’humanité à s’autolimiter. En revanche, si la loi morale inscrite en notre conscience par Dieu réfrène parfois nos désirs terrestres, n’est-ce pas pour mieux nous ouvrir à l’amour ? À nous d’en être témoins.
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[2] Mgr Pierre d’Ornellas et le groupe bioéthique de la Conférence des évêques de France, Bioéthique, quel monde voulons-nous ? Discerner des enjeux d’humanité, Bayard/Les éditions du Cerf/Mame, 2019, p. 87.
[3] Jean-François Braunstein, La Philosophie devenue folle. Le genre, l’animal, la mort, Grasset 2018, p. 110.
[4] Conseil d’État, Révision de la loi de bioéthique : quelles options pour demain ? 28 juin 2018, p. 67.
[5] Cf. https://www.collegedesbernardins.fr/content/procreation-faut-il-repousser-toutes-les-limites
[6] Journal du Dimanche du 21 septembre 2019.