Témoignage à la fois plein de réalisme et de poésie, provenant de l’épouse d’un patient atteint de la maladie d’Alzheimer et rapporté par le Dr Véronique Lefebvre des Noëttes. Cependant, même si les mots ne veulent plus rien dire, il existe d’autres formes de communication, à condition d’accepter de réinventer sa relation avec un proche malade. C’est en tout cas le constat établi par le Dr Lefebvre des Noëttes, psychiatre spécialiste du sujet âgé, praticienne depuis 32 ans dans le grand hôpital gériatrique Émile Roux (Val-de-Marne), accueillant près de 1.000 patients très âgés.
Aleteia : Quels sont les principaux symptômes de la maladie ?
Dr Véronique Lefebvre des Noëttes : Le symptôme le plus connu est le trouble de la mémoire, la mémoire immédiate d’abord, puis la mémoire rétrograde et, enfin, celle des souvenirs les plus anciens. Les premiers signes de la maladie sont le plus souvent des difficultés à se souvenir d’événements récents, qui viennent perturber de manière importante la vie quotidienne : endroit où la voiture a été garée, liste de course, rendez-vous importants… Mais des troubles de la mémoire ne signifient pas nécessairement un début de maladie d’Alzheimer. Ils peuvent être un trouble de l’attention dû à un stress, une anxiété ou une dépression.
C’est pourquoi nous avons créé, avec une collègue psychologue, il y a une trentaine d’années les consultations « mémoire » afin de poser un diagnostic sur les pertes de mémoire. Les autres symptômes de la maladie d’Alzheimer sont des troubles du langage, des praxies (utilisation des mains), des gnosies (trouble de la reconnaissance), des troubles du calcul, du raisonnement, puis du comportement.
Existe-t-il des solutions pour retarder l’évolution de la maladie ?
Il y a certains facteurs de risque qu’on ne peut pas changer, comme le sexe (les femmes sont plus touchées que les hommes), l’âge (la majorité des malades ont plus de 65 ans) et les antécédents familiaux. En revanche, certains traitements spécifiques peuvent ralentir la progression de la maladie, et cela consiste d’abord en une bonne hygiène de vie : pratiquer la marche rapide au moins une demi-heure par jour, avoir une alimentation saine et équilibrée selon le régime méditerranéen qui est très riche en oméga 3, et entretenir une vie sociale active afin de stimuler les neurones. Cela passe aussi en repérant et traitant des facteurs de risques et des maladies cardiovasculaires type diabète, hypertension artérielle, cholestérol. Plus la maladie est diagnostiquée tôt, plus cela permet de retarder ses effets négatifs et repousse l’entrée en institution de près de trois ans.
Vous invitez les aidants à « réveiller l’esprit qui sommeille » en chaque malade. Comment s’y prendre concrètement ?
Les malades ne sont jamais « de-mens », au sens littéral de « privés d’esprit ». Ils sont parfois absents certes, mais pas privés d’esprit. Pour qu’une relation se tisse à nouveau avec une personne malade, il faut aller à sa rencontre autrement. Si on ne peut pas s’appuyer sur ses capacités intellectuelles, appuyons-nous sur d’autres registres : ceux des mémoires anciennes, de l’intelligence affective et émotionnelle. À travers le regard : accrochez son regard, en la regardant dans les yeux. À travers le toucher : approchez-vous d’elle, prenez-lui la main. Toucher permet le contact, l’être avec. Le regard et l’écoute effleurent en surface, le toucher va rejoindre l’autre.
Il faut toujours partir d’une « présomption de compétence » : le malade est en capacité de réagir, de faire de l’humour, de produire du sens. En l’interrogeant sur son passé, sur ses émotions, l’aidant recommence à tisser une relation. C’est dans cet « être avec » que va pouvoir éclore et se déployer la parole du patient et que l’aidant va pouvoir saisir quelques bribes qui feront sens. On réveille aussi un esprit qui sommeille en stimulant ses cinq sens. La stimulation peut réveiller des souvenirs affectifs parfois très anciens : regardez des photos, un film « culte », faites reconnaître au toucher des tissus différents, évoquez des odeurs, écoutez de la musique… Ces ateliers de réminiscence donnent accès aux souvenirs anciens et contribuent à maintenir la plasticité cérébrale.
« Pourquoi venir le voir puisqu’il ne me reconnaît plus ? », pourrait se dire un proche d’un malade. Qu’en pensez-vous ?
Si un malade reste seul, sans stimulation, il va se recroqueviller. La non-reconnaissances des visages familiers est un des éléments qui fait le plus souffrir les proches et contribue rapidement au découragement. Mais si les personnes malades n’identifient plus visuellement les visages familiers, elles peuvent cependant les reconnaître par d’autres canaux sensoriels : leur voix, leur odeur, leur toucher ou le bruit de leurs pas. Un malade n’est pas un être inconscient : si la conscience de soi est altérée, elle ne l’est pas de manière massive. Je dis souvent de ne jamais se décourager. Même à des stades sévères, la stimulation des cinq sens est efficace pour réveiller l’esprit, et cette possibilité constitue un immense espoir. C'est vrai, cela demande de faire preuve d’une réelle bienveillance : se montrer indulgent, gentil, attentionné, d’une manière désintéressée et compréhensive. C’est trouver le bon geste, le regard qui rend digne, le mot juste. C’est passer de la sidération à la considération. Et cela exige de quitter la position surplombante de celui qui sait.