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La magnanimité, grandeur des humbles

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Jean-François Thomas, sj - publié le 15/09/19
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L’être généreux n’est pas d’abord celui qui donne de son argent : chacun est riche d’un trésor intérieur qu’il peut partager. Le magnanime est à la fois généreux, fort et humble. En donnant le meilleur de lui-même, il accomplit grandement tout ce qui est en son pouvoir.La grandeur d’âme, à la fois générosité et magnanimité, n’est plus guère à la mode. Alfred de Musset s’en plaignait déjà. Quel serait son triste constat aujourd’hui ! Les dilettantes du XIXe siècle contribuèrent grandement, en abandonnant toute vie spirituelle et tout esprit de pénitence, à dévaloriser ce qui, depuis la plus haute Antiquité, avait toujours été considéré comme un des ornements essentiels de l’homme d’honneur et de tout prince digne de ce nom. Marcel Proust, dans À l’ombre des jeunes filles en fleur, eut beau jeu de réduire la générosité à un artifice propre à cacher un profond égoïsme intérieur. De toute façon, l’être généreux n’est pas d’abord ou uniquement celui qui donne de son argent. Si tel était le cas, seul le riche pourrait l’être, or, souvent il ne l’est pas, sauf à vouloir afficher son altruisme de façade. Il existe bien sûr de notables exceptions, d’autant plus méritantes que la société actuelle favorise le clinquant et tout ce qui est médiatisé. Les hommes d’Église se laissent aussi prendre au piège parfois en ne réalisant pas que la véritable magnanimité doit inspirer tous les actes et qu’elle ne s’enorgueillit pas d’elle-même. Mère Teresa avait relevé que la générosité diminue lorsque disparaît l’esprit de sacrifice dans les petites choses ordinaires.



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Chacun est riche

À regarder les principes éducatifs contemporains, principes généralement bien écornés, on ne peut être que surpris par la façon dont les enfants ne sont plus habitués, dès le plus jeune âge, à exercer la générosité dans les actes quotidiens. Saint Martin de Tours, qui partagea symboliquement son manteau avec un pauvre, doit froncer les sourcils d’incrédulité lorsqu’il nous voit faire bénéfice de tout bois, avares de notre temps, de nos biens, de nos talents, occupés que nous sommes à tout miser d’abord pour nous-mêmes et à racler le moindre denier. Il faut être noble de cœur et d’esprit pour ne pas faire passer sa personne en premier. Étonnante, par exemple, y compris dans les familles catholiques, cette habitude de plus en plus répandue de faire vendre aux enfants leurs anciens jouets au lieu de les donner afin qu’ils puissent profiter à moins favorisés. Ce manque de générosité originel ne pourra que grandir avec l’âge et toucher des aspects beaucoup plus profonds de l’existence.


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Dans les Actes des Apôtres, il est rapporté comment Pierre et Jean montant au temple de Jérusalem, rencontrèrent à la Belle-Porte un mendiant boiteux qui quémanda quelque piécette : « Et Pierre, qui était accompagné de Jean, arrêtant sa vue sur ce pauvre, lui dit : “Regardez-nous.” Il les regardait donc attentivement, espérant qu’il allait recevoir quelque chose d’eux. Mais Pierre dit : “Je n’ai ni or ni argent ; mais ce que j’ai, je vous le donne. Au nom de Jésus-Christ de Nazareth, levez-vous et marchez.” » (Ac 3, 2-6). Saint Pierre nous montre ici la voie de la générosité, de la libéralité, de la magnanimité chrétiennes. Nul ne peut se réfugier derrière la fallacieuse excuse qu’il ne possède rien, ou pas assez, et donc qu’il ne peut rien donner. Chacun est riche d’un monde qu’il peut et doit partager. L’apôtre des apôtres est pauvre mais il n’hésite pas à faire don de ce qu’il a de plus précieux : sa foi qui peut transporter des montagnes et guérir des malades. Il ne donne pas ce qu’il a en mains propres mais Celui qui a transformé son cœur et sa manière d’être. Il arrive bien souvent que — même si nous sommes trop chancelants et incrédules pour accomplir des miracles — nous puissions donner consolation et force à des êtres démunis, à des mendiants, simplement si nous prenons le temps de leur révéler que le Nom de Jésus-Christ les accompagne.

Un signe de force intérieure

Aristote, dans l’Éthique à Nicomaque (livre IV), décrit ainsi le magnanime : « Le magnanime est nécessairement vertueux et courageux ; il n’est même que médiocrement touché des honneurs ou des dignités, étant accoutumé à n’attacher que peu d’importance à tout ce qui séduit les âmes vulgaires. Il est bienfaisant, ami ou ennemi ouvert, franc et sincère dans son langage ; peu empressé à parler des autres ou de lui-même, ou à se plaindre des torts qu’on a envers lui. » Et il précise que « toujours guidé par la générosité, il ne veut recevoir de bienfait que pour en rendre à son tour de plus grands. Loin de rechercher ce qui rapporte, il préfère le désintéressement à l’utilité. Il ne se permet aucune bassesse, il réprouve l’injustice, ignore le mensonge, évite même toute plainte… Et cela non pas pour une vaine satisfaction d’amour propre, mais par amour du bien et de la vertu. »



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Par cette description, il apparaît bien que la magnanimité est vraiment une vertu essentielle, découlant, comme le montrera saint Thomas d’Aquin, de la force. Le Docteur angélique consacre une longue question à cette vertu dans la Somme théologique (IIa-IIae, qu.129), ceci avant de développer ce qui concerne les vices opposés à la magnanimité, à savoir la présomption, l’ambition, la vaine gloire et la pusillanimité. Au regard de telles néfastes conséquences, il serait bon de cultiver la magnanimité, sans la considérer avec mépris comme une vertu d’un autre âge. Nous sommes rongés par les vices dont parle saint Thomas, et, d’ailleurs, le monde s’en glorifie et les considère comme des vertus, comme des signes de force. À l’opposé, l’homme magnanime est celui dont l’âme n’est préoccupée que de grandeur, à la fois de façon relative dans les petites choses, et de façon absolue dans l’emploi des biens supérieurs. Comme pour toutes les vertus, l’exercice de la magnanimité ne doit rien négliger et ne peut devenir un habitus, une habitude, qu’en se penchant, sans se lasser, sur ce qui est le plus commun pour atteindre peu à peu ce qui est le plus élevé et le plus noble.

Une vertu de roi

Il n’est pas surprenant que notre époque néglige, ignore ou méprise la magnanimité puisque cette dernière s’applique à l’honneur dans ce qu’il possède de plus pur et de plus parfait. Autrefois, il était réclamé de nos rois une telle vertu, et le sacre, véritable huitième sacrement, devait revêtir le monarque de la grâce et de la capacité à mettre en pratique cette vertu. Certains souverains furent célèbres pour avoir atteint un haut niveau de perfection en ce domaine, comme saint Louis bien sûr. Des accents identiques de magnanimité se retrouvent dans l’émouvant testament de Louis XVI. Le guerrier, juste jusque dans la bataille et face à l’ennemi vaincu, n’est donc pas le seul à pouvoir exercer la générosité de cœur et la magnanimité de l’âme. Chaque homme est ici un roi devant maîtriser ses émotions et faire preuve de charité envers ceux qui sont privés de ce que lui possède et qu’il peut partager. Nous ne pouvons pas nous réfugier derrière notre apparente impuissance ou limite de nos moyens. La magnanimité est pour tous, selon les talents et les biens de chacun. Elle plonge ses racines dans ce qui est l’origine de toute charité. Étienne Gilson, le grand philosophe thomiste, souligne dans L’Esprit de la philosophie médiévale que « la charité de Dieu n’est que la générosité de l’être, dont la plénitude surabondante s’aime en soi-même et dans ses participations possibles ». Paul Claudel fera parler de même Pierre de Craon dans Violaine : « Le don, à l’imitation de la générosité de notre Dieu, Aux autres, afin qu’il n’y ait rien de mort en nous, de soi. Celui qui donne, pour qu’il puisse donner, il est juste qu’il reçoive ; Et qui se sacrifie, Violaine, il se consacre. »

Pour le grand honneur

Nous savons donc où se trouve la racine et la sève de cette vertu. Durant les secousses de la Seconde Guerre mondiale, C.S. Lewis, le créateur du Monde de Narnia, écrivit un essai prophétique, L’Abolition de l’homme, où il diagnostique le mal contemporain en train de se répandre, celui qui atrophie l’homme en le privant de son cœur et de l’exercice de la magnanimité : « La tête gouverne les entrailles par l’intermédiaire du cœur — le siège, comme Alain de Lille nous le dit, de la magnanimité, des émotions organisées en sentiments stables par des habitudes bien entraînées. Le cœur, la magnanimité, le sentiment, tels sont les indispensables agents de liaison entre l’homme cérébral et l’homme viscéral. On peut sans doute même dire que c’est cet élément médiateur qui fait de l’homme un homme ; car par son intellect il est simplement esprit et par ses appétits, simplement animal. »

N’oublions pas que nous ne sommes pas faits pour des honneurs quelconques, ceux qui passent et qui finissent en fumée, mais pour réaliser le grand honneur. Notre vol ne doit pas être celui de la poule qui s’enfuit dans la basse-cour à médiocre tire-d’aile, mais celui de l’aigle royal. Celui qui est généreux et magnanime ne se laisse pas impressionner par les petits obstacles et par les récompenses mondaines. Il accomplit grandement tout ce qui est en son pouvoir, pour la gloire de Dieu et pour le bien d’autrui. Remettons à l’honneur cette vertu qui nous comblera d’honneur, non point en ce monde mais pour l’autre. N’apprenons pas des autres ce qui nous rétrécit et nous replie sur nous-mêmes. N’éduquons pas ceux dont nous avons la charge en ne leur indiquant que ce qui est facile et égoïste. Ouvrons nos ailes et élançons-nous.


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