Comment le maître du mensonge lança, il y a quatre-vingt ans, la plus abominable opération meurtrière de tous les siècles.Il n’était pas cinq heures du matin, ce 1er septembre 1939, lorsque les appareils de la Luftwaffe pénètrent dans l’espace aérien polonais, bombardent les centres névralgiques et clouent au sol les avions de l’adversaire. Une heure plus tard, la Wehrmacht attaque. En quelques jours, l’armée polonaise est foudroyée. En un mois, le pays est anéanti. La Pologne devient province du Reich allemand. Devant l’effondrement, les armées françaises et britanniques, entrées en guerre le 3 septembre, n’ont presque pas réagi. Les Polonais, de leur côté, ont voulu croire à la paix jusqu’au bout et n’ont lancé la mobilisation générale que le 30 août. Comment en étions-nous arrivés là ?
Le contexte de l’ambition hitlérienne
Depuis 1933, Hitler prépare son pays à l’établissement de deux réalités, d’après lui nécessaires à sa survie politique : la création d’un territoire regroupant tous les peuples de langue allemande, et la formation d’un espace vital pour atteindre l’autosuffisance au moins alimentaire et si possible industrielle. La création de cette grande Allemagne passait par la conquête, y compris violente. Cette idée d’Hitler s’appuie sur deux bases dans la société allemande : premièrement le rejet des clauses du traité de paix de 1919, considéré comme un « diktat » du vainqueur, et qui avait retiré à l’Allemagne des territoires contre sa volonté ; deuxièmement l’adhésion, en Allemagne et dans les populations germanophones voisines, aux thèses du pangermanisme, favorables à la réunion de tous les Allemands dans un seul État.
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Cette base fortifiait la politique d’Hitler malgré les craintes de l’élite allemande, fondées sur la certitude, partagée par Hitler, que l’Allemagne n’était pas économiquement en mesure de faire face à un conflit généralisé de longue durée, et qu’il fallait se limiter à des actions partielles. Il y avait aussi la crainte de devoir affronter des adversaires militairement rodés, comme la France et le Royaume-Uni, alors que l’appareil militaire allemand, désorganisé entre 1918 et 1933, n’était pas encore totalement remis sur pied.
Entre les renoncements des uns, l’esprit de parti des autres
Les succès d’Hitler balayèrent ces craintes. Ainsi put-il, dès 1935, rétablir le service militaire et relancer des programmes d’armement, avec l’approbation du Royaume-Uni, qui ne voyait pas d’un mauvais œil ce rééquilibrage des forces au détriment d’une France dont, depuis 1919, il craignait l’hégémonie continentale. En 1936, la Wehrmacht pénétrait en Rhénanie, malgré la démilitarisation, grâce à la volonté d’apaisement britannique, et la certitude erronée de l’état-major français de ne pas être en mesure de pouvoir mener une offensive victorieuse en Allemagne. En 1938, le rattachement de l’Autriche était la conclusion d’un parcours, où Hitler s’appuya sur les renoncements franco-britanniques, les deux puissances étant traumatisées par le prix payé lors du précédent conflit. De son côté, Mussolini, qui s’était opposé dès 1934 à l’Anschluss pour défendre l’équilibre européen et les intérêts de l’Italie, abandonnait, au nom de l’axe Rome-Berlin une Autriche noyautée par le NSDAP, et qui avait émis l’idée du rattachement dès novembre 1918.
Le sort de la Tchécoslovaquie, lui, sonnait comme un avertissement. Ce petit État avait dû, sous la pression des grandes puissances, céder à l’Allemagne la région montagneuse et germanophone des Sudètes, suite à la conférence de Munich de septembre 1938. Au printemps 1939, la pression diplomatique exercée sur le pays avait permis son explosion. La partie tchèque passait sous protectorat allemand, la Slovaquie, sécessionniste, devenait un État fantoche sous influence de Berlin, tandis que la Hongrie et la Pologne se servaient au passage.
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L’attitude polonaise déconcerte. Les relations avec l’Allemagne n’étaient pas alors mauvaises. Un pacte de non-agression avait été signé entre les deux États peu auparavant. Lorsque débutèrent les revendications sur Dantzig au printemps 1939, Hitler, fidèle à sa stratégie de l’audace pas à pas, ne revendiqua que la ville, ses environs et les voies de communication pour y parvenir. À Dantzig même, érigé en ville libre par le traité de Versailles, le sénat local, dominé par les nazis, souhaitait le rattachement.
Le raidissement soudain de la France et du Royaume-Uni, suite au démembrement de la Tchécoslovaquie, après des années de reculade, changea la donne. Le gouvernement polonais, confiant en la parole de Londres et Paris, et sûr de la capacité offensive de son armée, pourtant peu motorisée, mais relativement nombreuse, décida de résister aux exigences d’Hitler. L’état-major allemand se préparait à la guerre, Hitler y était maintenant résolu.
De leur côté, les gouvernements français et britanniques, mettant leurs préventions de côté, et davantage conscients des faiblesses polonaises, négociaient avec l’URSS un rapprochement militaire. Mais Staline, seul chef d’État à avoir tenté de sauver énergiquement l’intégrité tchécoslovaque, ne croyait plus en l’assurance des forces de l’Ouest. Ce fut, fin août 1939, le coup de théâtre du pacte de non-agression germano-russe, dont les clauses secrètes prévoyaient un partage d’influence non pas seulement en Pologne, mais en Europe de l’Est, qui rendait à peu près à l’URSS les frontières de la Russie impériale d’avant 1914.
La victoire par le mensonge et la trahison
Que valait ce pacte ? Pas grand-chose, quand on sait que Hitler avait à chaque étape de son ascension, promis de respecter l’indépendance autrichienne, puis fait état de son amitié pour la Tchécoslovaquie, tout comme il avait protesté de son souci de l’indépendance polonaise. Il mettait maintenant dans sa poche son anticommunisme, tout comme il déclarait à la presse avoir fait son deuil de l’Alsace-Lorraine et ne pas vouloir la guerre avec la France. Les traités et les pactes s’étaient multipliés et avaient tous été trahis. Ce maître du mensonge était poussé plus vite qu’il ne pensait vers la guerre, mais il avait patiemment tissé sa toile, grâce à l’aveuglement de dirigeants européens encore persuadés d’avoir à faire à un dictateur classique, avec lequel il est toujours possible de négocier loyalement. Quant à lui, il espérait que les démocraties se défausseraient une fois encore. Il n’en fut rien. Le 1er septembre 1939, le monde basculait dans une guerre que les esprits clairvoyants, comme Churchill ou Reynaud, avaient vu monter avec inquiétude. Les généraux allemands eux-mêmes craignaient l’aventure dans laquelle le Führer les jetait. Ils ne s’en battirent pas moins comme des lions, devenant les complices héroïques de la plus abominable opération meurtrière du siècle.
Pour aller plus loin :
Jean-Baptiste Duroselle, Histoire diplomatique de 1919 à nos jours, Dalloz, 1985.
Basil Liddel Hart, Histoire de la seconde guerre mondiale, Fayard, 1973.