En désencombrant notre esprit des préoccupations professionnelles, en rompant le fil à la patte de l'actualité qui nous poursuit de ses assiduités durant le reste de l'année, et en nous rendant plus présents à nos proches, les vacances sont l'occasion de remiser dans les tiroirs les hochets numériques qui accaparent notre attention en temps ordinaire. Les congés estivaux réalisent ainsi le miracle de nous sevrer sans effort d'une addiction sur laquelle le Carême s'était cassé les dents !
Vous n'avez pas réussi à tenir vos promesses de Carême ? Vous avez craqué en cours de route ? Et si les vacances vous offraient une session de rattrapage ? Et si les congés estivaux parvenaient à éloigner de vous certaines glus de l'existence que vous vous étiez promis de laisser tomber durant les quarante jours qui précèdent Pâques, avant de renoncer devant la difficulté de l'entreprise ?
Certes, il peut sembler surprenant que nous profitions des vacances pour nous déprendre de certaines addictions que le Carême a été impuissant à éloigner de nous. Ces deux périodes de l'année devraient en effet susciter en nous des effets contradictoires. Le Carême paraît synonyme d'effort, d'ascèse, de privation ; les vacances, de leur côté, représentent au contraire le temps du « lâcher prise », des loisirs continus, de la relaxation, de la détente. Dans ces conditions, comment les vacances estivales réussiraient-elles là où l'entraînement du Carême a échoué à déraciner provisoirement en nous ces penchants que nous voulions sinon éradiquer, du moins modérer ?
Les vacances sont une longue coupure dans la durée ordinaire des jours. À ce titre, elles constituent le moment favorable pour changer d'habitudes sans requérir trop d'efforts sur soi. Durant les congés d'été, nous faisons plus que nous abstenir d'aller pointer au bureau ou à l'usine. Il peut nous arriver de changer de lieu de vie, de découvrir des régions ou des pays que nous ne connaissions pas.
Dès lors, notre esprit devient plus détendu. Sereins et apaisés, nous ouvrons les yeux et nous nous émerveillons des dons de Dieu à côté desquels nous passons le reste de l'année sans leur prêter l'attention qu'ils méritent. Nous pouvons également accorder à nos proches les égards qu'ils sont en droit d'attendre de nous, et auxquels nous manquons le reste de l'année à cause de notre emploi du temps surchargé (du moins est-ce l'excuse que nous invoquons). L'été représente de la sorte le temps des ressourcements et du retour à l'essentiel.
Les vacances deviennent ainsi la période durant laquelle nous parvenons enfin à décrocher d'Internet et des réseaux sociaux, dont la sollicitation permanente le reste de l'année nous faisait croire qu'ils nous étaient indispensables. Durant le Carême, nous n'avions tenu que deux semaines sans Facebook et YouTube – et encore en transpirant. Et soudain, miracle ! les congés nous en délivrent sans effort.
L'esprit décontracté, sans stress, dénués de la sensation de devoir courir après le temps ou consulter la dernière notification arrivée inopinément sur notre petit écran qui nous suit partout comme une seconde peau, nous découvrons combien il est doux de vivre sans les servitudes que nous nous infligeons à nous-mêmes pour cultiver l'impression d'être "dans le coup". Soudain, consulter notre smartphone nous paraît un réflexe aussi futile que déplacé. À la place, nous contemplons nos belles églises romanes, nous retrouvons nos cousins et cousines dont les impératifs professionnels nous tenaient éloignés, nous goûtons les sonorités des instruments de musique du concert baroque donné dans la charmante chapelle de notre lieu de séjour estival.
À côté de cette béatitude, comme la frénésie numérique à laquelle nous succombions encore la semaine dernière, nous paraît contraignante et aliénante. Délaissant la virtualité des écrans, nous goûtons enfin la réalité et le mystère des êtres, des lieux et des choses. Nous nous sommes débarrassés sans coup férir des chaînes et des sortilèges « connectés » que l'ascèse du Carême n'avait pas réussi à rompre.