Si le Parlement a définitivement adopté mardi 2 juillet la loi interdisant toutes les « violences éducatives ordinaires », dont la fessée, le débat n’est pas clos pour autant. Et il ne se limite pas au grand public. Les spécialistes eux-mêmes sont très largement divisés au sujet de cette question d’éducation.Tous œuvrent en faveur du bien de l’enfant. Mais pour certains, interdire les fessées, c’est faire advenir une société d’enfants-rois, futurs adultes-tyrans. Pour d’autres, c’est au contraire contribuer à faire émerger une société pacifique et sans violence. On peut également se demander s’il s’agit simplement, pour la France qui faisait figure de mauvaise élève, d’un alignement sur les normes européennes ou bien d’une volonté de l’État de s’immiscer dans la sphère domestique. Le Code civil dispose désormais que « l’autorité parentale s’exerce sans violences physiques ou psychologiques ». Une loi qui concerne largement les parents puisque selon la Fondation pour l’enfance, 85% des parents français ont déjà eu recours à des violences éducatives.
Ingérence de l’État ou protection de l’enfance ?
À l’origine de la proposition de loi : le constat d’une limite parfois trop floue entre maltraitance et punition dite « éducative ». Les sordides faits divers nous le rappellent régulièrement : 75% des maltraitances infantiles sont le fait de « punitions éducatives ». Selon l’ONPE (Observatoire National de la Protection de l’Enfance), sur les 100 enfants décédés en 2017 suite aux violences d’autrui, 67 avaient pour agresseur un membre de leur famille. Une triste réalité contre laquelle cette nouvelle loi cherche à lutter. Pourtant, une fessée n’a jamais tué personne, estiment ses détracteurs. Et selon Anne-Sophie Chazaud, philosophe et haut fonctionnaire, « il existe déjà tous les dispositifs juridiques nécessaires » pour faire face à la maltraitance. Selon elle, cette loi démontre plutôt une intrusion contestable « du législateur dans l’intimité des rapports familiaux et des méthodes éducatives ». « Priver les parents du droit de sanctionner, y compris par le biais d’une petite correction manuelle, est une manière de priver ceux-ci d’un levier puissant dans l’instauration d’une autorité que la société leur demande paradoxalement de restaurer. »
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« Moi j’en ai reçues, des fessées, et je vais très bien ! », lit-on parmi les nombreuses réactions qu’a suscité le texte. D’un côté, la fessée serait nécessaire afin d’asseoir son autorité et imposer des limites claires à son enfant, et de l’autre, elle abîmerait la confiance en soi et augmenterait les risques de comportements agressifs. Pauvres parents ! Difficile de savoir sur quel pied danser. Les deux écoles visent pourtant le même objectif : faire de ses enfants des êtres heureux, responsables, autonomes et épanouis. Cependant, les défenseurs de la fessée soulignent la nécessité, pour un enfant, de savoir respecter des règles, nécessaires à la vie en société, de savoir gérer ses frustrations. « Le désir de satisfaction, le refus d’accepter les règles, le refus d’obéissance (car l’éducation familiale est aussi le lieu où s’apprend l’obéissance, laquelle prépare à l’acceptation — éclairée — des limitations et lois propres à la vie en société), sont des réactions parfois incoercibles de l’enfant et face auxquelles une petite fessée ou une petite claque permettent le plus communément de mettre un terme », pointe Anne-Sophie Chazaud.
A contrario, deux chercheurs américains, Elizabeth T. Gershoff et Andrew Grogan-Kaylor ont publié un article en avril 2016 résultant de plusieurs enquêtes auprès de plus de 160.000 enfants. « Les méta-analyses présentées dans cet article ne montrent aucune preuve que la fessée était associée à une amélioration du comportement des enfants et montrent plutôt que la fessée est associée à des risques de conséquences préjudiciables », comme la perte de confiance en soi, l’augmentation des risques de comportements agressifs, de défiance envers les parents. « Il est d’ailleurs contradictoire de penser que l’on peut frapper un enfant, et lui enseigner qu’il ne faut pas frapper. Lui expliquer que c’est « pour son bien » entraîne une confusion des règles éthiques », commente le rapport du think tank Vers le haut dédié à l’éducation, paru ce 3 juillet.
L’expérience de la Suède ne fait pas l’unanimité
La Suède a été le premier pays, en 1979, à instaurer une loi contre les châtiments corporels et psychologiques. On pourrait penser que les quarante années-test sur des millions de petits suédois seraient concluantes. Et pourtant, là encore, les avis divergent. Certains déplorent une société d’enfants devenus fragiles et incapables de faire face aux frustrations, quand d’autres vantent la diminution de la violence et de la criminalité. David Eberhard, psychiatre et auteur de Les enfants suédois ont pris le pouvoir, souligne avec force que les enfants choyés de Suède sont devenus des enfants-rois, capricieux, égoïstes et, une fois adultes, moins résilients face aux aléas de la vie. Il soulève également les dérives intrafamiliales de ce dispositif, telles les nombreuses plaintes déposées par les enfants contre leurs parents, ainsi que le retrait de la garde des enfants pour des motifs parfois contestables.
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À l’opposé, le rapport du think tank Vers le haut met en avant des chiffres qui veulent prouver l’efficacité d’une telle loi : « Dans les années 1960, neuf enfants sur dix étaient frappés dans un but éducatif. Actuellement c’est moins d’un sur dix. Plusieurs recherches internationales avancent que l’interdiction des châtiments corporels en Suède a favorisé le processus de réduction de la violence éducative », et par voie de conséquence de la violence tout court. Le taux d’homicide volontaire est plus faible en Suède qu’en France : 1,35 pour 100.000 habitants en France contre 1,08 en Suède en 2016. Le taux de personnes ayant eu affaire à la police pour 100.000 habitants est plus faible en Suède: 1.198 contre 1.322 en France. Le taux de personnes poursuivies — tous crimes et délits confondus — est de 803 pour 100.000 habitants en Suède et de 1.024 en France en 2016. Respecter l’intégrité physique et psychique de l’enfant, lui assurer un cadre sécurisant, éduquer avec bienveillance, pratiquer la communication non violente, seraient alors autant de pistes pour aller vers une autre forme d’autorité.