Contrairement aux idées avancées par certains, être chrétien ne signifie pas se soumettre à toutes sortes de dogmes mais “faire l’apprentissage de la liberté”, affirme Jean Duchesne, chroniqueur pour Aleteia et auteur du livre “Chrétiens, la grâce d’être libres”.“Nous n’aurons jamais fini de découvrir tout ce que Dieu nous donne”, affirme avec joie Jean Duchesne. Professeur émérite de chaire supérieure, cofondateur de la revue Communio et exécuteur littéraire du cardinal Lustiger, il vient de publier un livre intitulé Chrétiens, la grâce d’être libres, dans lequel il insiste sur l’indépendance d’esprit du chrétien qui n’est pas de l’ordre de la conquête mais d’ “une grâce sans cesse renouvelée de découvertes” à condition de ne pas croire “qu’on ne peut s’emparer que de ce qu’on a compris”. Entretien.
Aleteia : Ceux qui ne croient pas opposent souvent religion et liberté… Que leur répondez-vous ?
Jean Duchesne : La foi permet de prendre ses distances par rapport aux idées reçues et aux conditionnements physiques ou circonstanciels. Si nous découvrons que non seulement tout ce que nous pouvons connaître, mais encore tout ce qui existe est donné gratuitement, c’est-à-dire par grâce et en tant que grâce, et non pas comme un dû ou par accident, alors nous ne sommes plus le produit de mécanismes aveugles, mais les enfants du Créateur, qui est notre Père sans s’imposer à nous comme tel, afin que nous soyons libres comme lui.
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Comment la foi affranchit-elle des idées reçues et des angoisses ?
La plupart des idées reçues et des angoisses portent non pas sur ce que la foi donne à croire, mais sur les institutions religieuses, sur leurs dysfonctionnements, sur l’image de la réalité vitale qui est perçue à l’extérieur. Mais les insuffisances et a fortiori les trahisons des fidèles, clergé en tête, ne sont évidemment pas des fruits portés par la foi ! Croire approfondit le regard et donne de tout resituer bien au-delà de l’immédiat, dans l’histoire de la Création et du Salut, et aussi (dans le détail) sur une durée plus longue que celle de l’actualité. Avoir la foi, c’est croire que tout ce qui se passe dans le monde n’est pas uniquement le produit de forces naturelles : cet élargissement de la vision, cette découverte qu’il existe un amour infini a quelque chose d’éminemment libérateur. Attention, tout ceci n’est pas évident. On ne peut pas le posséder, le maitriser, c’est pour cela qu’il faut sans cesse le redécouvrir. Être chrétien ne signifie pas croire en quelque chose à un moment donné et ne plus y penser après mais pratiquer ce en quoi on croit, d’où l’importance de la prière et des sacrements. Être chrétien consiste à se donner, celui qui reçoit, il reçoit à la mesure qu’il ne garde pas pour lui mais qu’il remet à disposition tout ce qu’il reçoit.
La grâce nous libère à la mesure où nous laissons entraîner dans sa gratuité.
Qu’est-ce que la grâce d’être libre ?
La grâce nous libère à la mesure où nous laissons entraîner dans sa gratuité, qui est totale : don de soi, de ce que l’on est et pas simplement de ce que l’on a. Il y a encore une autre dimension de la grâce, qui est la beauté, l’élégance, la légèreté qui affranchissent des lourdeurs et des rigidités sans dénigrer la chair. La manière d’être de Dieu, sa vie donc consiste à donner de façon désintéressée, sans du tout y être obligé. Si nous lui rendons aussi librement ce que nous recevons de lui, nous pouvons offrir cela autour de nous en nous unissant à son action, sans être en rien diminués quoi qu’il en coûte sur le moment, et au contraire en ayant part à la plénitude de son être.
Vous écrivez dans votre ouvrage : « Ce décalage entre ce que Dieu met à disposition et les capacités humaines d’en tirer profit est l’espace ouvert à des progrès jusqu’à la fin des temps ». Comment comprendre cette phrase ?
Il n’est pas facile ni évident d’entrer dans la dynamique du don de soi (ou, si l’on veut, de l’amour). Le risque est toujours pour nous d’enfermer cette vie dans une rationalité étroitement mécanique, qui fonctionne toute seule d’une façon qui paraît sécurisante et est en fait anesthésiante, alors qu’il faut avant tout rester disponible, espérer être sans cesse surpris et non tout comprendre pour se l’approprier… Pour un chrétien, Dieu n’est pas un acquis. Il y aura toujours, jusqu’à la fin des fins, des grâces inattendues à accueillir, et collectivement autant que personnellement – mais en restant conscient que chaque grâce est, d’une certaine façon, une épreuve : que fais-je de la liberté qu’elle me donne ? Nous n’aurons jamais fini de découvrir tout ce que Dieu nous donne. On ne le découvrira que le jour de l’avènement du Royaume, c’est-à-dire à la fin des temps. En attendant, à nous de découvrir ce que nous ne pouvons que soupçonner. Ce n’est pas un effort de tension, d’application, mais un effort de disponibilité… Le véritable défi pour nous n’est autre que de savoir comment être aussi libre que Dieu. Le risque ici est de croire qu’on ne peut s’emparer que de ce qu’on a compris alors que c’est tout l’inverse : ce que nous recevons nous permet d’entrevoir quelque chose de plus grand encore.
Qu’avez-vous souhaité “provoquer” chez le lecteur en rédigeant ce livre ?
Des sentiments opposés ! D’un côté, la sérénité et la confiance au milieu des tourments médiatisés, et même le renoncement à tout complexe. Combien de mythes ne se sont-ils pas effondrés ces dernières décennies ! Et de l’autre côté, j’ai essayé de pointer certains au moins des défis que la foi donne à relever. Il n’y a pas là de quoi s’effrayer, car il s’agit de se rendre compte que bien plus de grâces nous sont offertes que nous ne pensons pouvoir en assimiler, et que Dieu nous invite à dépasser nos capacités aussi bien spéculatives que concrètes. J’espère encourager chacun à regarder autrement sa propre relation avec Dieu et avec son prochain. Je souhaite leur dire que le problème n’est pas d’arriver mais de rester en chemin, de ne pas s’arrêter.