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Aux Philippines, sœur Sophie de Jésus et son “gang de sisters”

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Domitille Farret d'Astiès - publié le 10/06/19
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Chaque continent est terre de mission. Depuis presque 20 ans, sœur Sophie de Jésus est missionnaire aux Philippines. Avec l’association ACAY, elle s’est mise au service de la jeunesse locale en difficulté et accompagne aussi bien les victimes que les personnes en situation de délinquance et leurs familles. Un tempérament de feu. Sœur Sophie de Jésus, 51 ans, vit au service de la jeunesse des Philippine depuis près de vingt ans. Et sa bonté ne semble avoir d’égal que sa formidable détermination. Son désir le plus cher ? Aider la jeunesse à se relever et à aller de l’avant. En 2000, elle a fondé ACAY (Association Compassion Asian Youth) qui offre une deuxième chance aux jeunes de 15 à 23 ans. L’association s’appuie sur une équipe pluridisciplinaire composée de quatre sœurs consacrées Missionnaires de Marie, d’une quinzaine de salariés (assistantes sociales, psychologue, formateurs…) ainsi que de volontaires et bénévoles. Avec son “gang de sisters” issues de divers pays, comme elle aime à les nommer, la religieuse habite à Manille, dans le quartier de Quezon City. Là-bas, elles s’occupent des jeunes locaux en difficulté à travers différents programmes.

Des stratégies éducatives innovantes

À “l’École de Vie”, qui a accueilli 176 jeunes filles depuis 19 ans, chacune étant restée plusieurs années dans le foyer, cohabitent actuellement une vingtaine de jeunes filles entre 15 et 21 ans, victimes de violences pour la plupart. Certaines sont orphelines, d’autres ont vécu de la prostitution, ont connu la prison ou ont été coupées de leur famille. “Notre objectif, c’est de les préparer à l’autonomie”, s’écrie la religieuse, que l’on pressent manager dans l’âme. « Nous leur proposons un cheminement avec des stratégies éducatives innovantes. Nous ne cherchons pas à faire du nombre. Ces jeunes filles arrivent avec un passé assez traumatique. L’objectif est qu’elles puissent se reconstruire et transformer leur traumatisme en tremplin pour l’avenir”. Le parcours qui leur est proposé s’accomplit en deux étapes. Dans un premier temps, elles font un travail thérapeutique sur elles-mêmes, puis, dans un second temps, elles préparent leur avenir à travers de solides formations sur la connaissance de soi, la gestion des émotions, la négociation, la communication, des simulations d’entretien d’embauche… Pas question pour elles de repartir sans avoir un bagage solide. “Notre domaine d’expertise, c’est le travail de réinsertion. C’est encore assez nouveau dans le contexte philippin”, lance la religieuse. “Dès le démarrage, nous les mettons en position de “c’est vous qui décidez, qui choisissez si vous voulez venir dans l’école de vie, prendre votre vie en main””.

Nous voulons garder dans une même étreinte les jeunes victimes et les jeunes en situation de délinquance pour les aider à se relever.

Un autre programme, intitulé “Seconde Chance”, s’adresse aux jeunes garçons en situation de délinquance. “Ceux qui nous sont confiés ont en général commis des actes très graves. Il s’agit souvent d’affaires de meurtre, de viol ou de drogue”, précise la sœur. Ce programme, construit en lien avec le ministère de la Justice et celui des Affaires sociales, s’adresse aussi bien à des jeunes en détention qu’à d’autres qui sortent de prison, comme l’indique le volet intitulé “After care”. “90% des jeunes que nous avons suivis après leur sortie de prison n’y retournent pas”, s’élance sœur Sophie. “Nous cheminons doucement. Tant que nous ne sommes pas rentrés au fond des choses, le changement n’aura pas lieu”. Son expérience lui a montré que la détention pouvait aider un jeune à “se reconnecter”, s’écouter au fond de lui-même, entrer en relation avec Dieu. “Le jeune est face à lui-même”, explique-t-elle. D’où l’importance pour les équipes d’être présentes au moment où il se pose ces questions fondamentales. Un troisième programme concerne les familles. “Le travail de reconstruction impacte les familles et les parents eux-mêmes entrent dans cette dynamique. Il est important de reconstruire le dialogue dans la famille”, note la missionnaire.

Sœur Sophie de Jésus 2

© ACAY
Sœur Sophie avec des jeunes filles.

Détail et non des moindres, la petite communauté prie la Vierge aux trois croix. Car le Vendredi saint, Marie était au pied de trois croix : celle de son fils mais aussi celles des deux brigands, l’un endurci et l’autre repenti. “Marie reçoit l’amour du Père pour ces trois-là”, explique la sœur. “Elle porte l’humanité toute entière et lui apporte la compassion du Père. Et nous, à notre tour, nous voulons garder dans une même étreinte les jeunes victimes et les jeunes en situation de délinquance pour les aider à se relever”.



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Elle avait pressenti depuis longtemps cet appel à la vie de service, elle qui souhaitait devenir médecin missionnaire. À l’âge de 11 ans, alors qu’elle en parle à son grand-père, il lui rétorque gentiment : « Surtout ne sois pas religieuse !”. Manifestement, là-haut, On n’était pas d’accord… La jeune fille reçoit l’appel à la vie consacrée une nuit de septembre 1987, entre 3h et 4h du matin. Une vocation qui se découvre en toute discrétion. “Je me découvrais extrêmement bruyante au fond de moi-même. Un silence s’est installé et là je me suis dit : “C’est Dieu”. Et c’est dans ce silence que Dieu a fait résonner l’appel à la vie consacrée”, raconte-t-elle. Elle entre alors dans la communauté des Béatitudes. En 1995, le pape Jean Paul II donne rendez-vous à la jeunesse du monde entier aux JMJ de Manille. Sœur Sophie a alors 27 ans et six années de vie religieuse derrière elle. L’appel est limpide. “Je ne suis pas partie afin de servir les pauvres : je suis partie car j’ai reçu un appel pour m’occuper de la jeunesse là-bas”, explique-t-elle, décrivant un véritable “appel au cœur”.

Nous serons peut-être comme des étoiles filantes. Notre petitesse nous permet d’être extrêmement flexibles et créatives.

Après avoir passé dix ans au sein de cette communauté, elle quitte les Béatitudes pour fonder les Missionnaires de Marie, une petite communauté rattachée à l’église locale au service des jeunes en difficulté, qui compte aujourd’hui quatre sœurs et plus de 35 laïcs qui vivent dans la société civile aux Philippines ou en France. “Pour moi, cette mission était de l’ordre de l’obéissance à Dieu. C’était un appel clair que je ne pouvais pas sacrifier et c’est ce qui m’a toujours gardée en paix. Nous sommes passé par des moments durs mais nous avons été au bout pour vivre le type de vie missionnaire qu’il nous semblait juste d’adopter. Nous sommes ce que le pape Benoît XVI appelle “les minorités créatives”. Peut-être que nous ne durerons pas, mais peu importe. Le Seigneur nous donne ce charisme d’innover. Nous serons peut-être comme des étoiles filantes. Notre petitesse nous permet d’être extrêmement flexibles et créatives”. Elle cite le pape François qui lançait à des consacrés le 31 mars 2019 : “Le problème n’est […] pas d’être peu nombreux mais d’être insignifiants, de devenir un sel qui n’a plus la saveur de l’Évangile”.

Être religieuse, c’est d’abord être une femme, et sœur Sophie l’incarne bien, elle qui ne renâcle jamais devant une sortie shopping avec “ses” filles. Très créative, elle tient à rester “en phase avec le monde” et assume son goût pour la chorégraphie, le design, la déco d’intérieur… “On est moins dans le côté couvent. J’aime bien créer des brèches, casser des codes, des images figées sur la vie consacrée”, lance-t-elle. Et d’ajouter avec un éclat de rire : “Si je n’étais pas bonne sœur, j’aurais dû épouser un homme riche !”.

“Nos cultures se complètent très bien”

Française dans l’âme, cela ne l’a pas empêchée de tomber amoureuse du peuple philippin. “Je trouve que nos cultures se complètent très bien. Les Français ont certes un côté râleur et critique, mais également un côté analytique créatif et innovant qui leur permet d’aller plus loin. La France a produit de nombreux missionnaires et l’esprit missionnaire fait partie de mes racines. De leur côté, les Philippins sont un peuple très cordial, très joyeux. Chez eux, c’est l’émotion du cœur. Leur force, c’est leur joie. C’est un peuple courageux, capable de se relever et d’aller en avant, comme il l’a montré avec le typhon Tacloban en 2013. Mais là où l’émotion est une force, elle peut aussi être une sacrée faiblesse quand elle conduit à un manque de structure intérieure. Aux Philippines, on peut passer d’un avis à l’autre très facilement et changer de religion en cinq minutes. C’est là que la pensée analytique française peut aider à se structurer. Nos pays cheminent ensemble et s’inspirent mutuellement”, constate-t-elle.

Sœur Sophie de Jésus 1

© ACAY
Les quatre religieuses sont issues de Hongrie, de Pologne, de Nouvelle-Zélande et de France.

Si elle s’indigne devant les violences et tortures que subissent encore de nombreux enfants aux Philippines, la fougueuse religieuse se réjouit également de la beauté des chemins parcourus. “Ma joie, c’est de voir la multitude de jeunes qui se relèvent, qui sont des professionnels épanouis, de jeunes parents qui adorent leurs enfants. Ils ont une force dans la parole et un rayonnement. C’est bouleversant pour moi. C’est splendide de voir le fruit du don de sa vie”, s’exclame-t-elle. En témoignent les itinéraires de vie des jeunes. Ainsi, celui de Cookie. Abandonnée par sa mère, puis récupérée par sa tante, cette jeune fille vivait dans des conditions sordides. À l’âge de 13 ans, elle a commencé à vivre dans la rue. Elle se cachait dans un groupe de garçons et vendait de la drogue. Au cours d’un bad trip, elle a adressé un cri désespéré à Dieu : “Je ne veux pas de cette vie-là. Donne-moi un signe !”. Quelques jours plus tard, elle rencontrait sœur Édith dans la rue. Elle est restée cinq ans à l’Ecole de Vie, s’est échappée trois fois, mais a tenu bon. Aujourd’hui, elle est diplômée d’école de commerce et mère de deux enfants. Un sacré parcours.


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Si elle se réjouit de ces victoires sur l’adversité, sœur Sophie ne compte pas s’arrêter en si bon chemin. L’infatigable fondatrice tient à garder une dynamique créatrice dans la mission. “C’est mon souci et une immense joie. Aujourd’hui, nous entrons dans la phase de transmission”, reconnaît-elle. En vingt ans, l’association a trouvé son identité, se renforçant au fil des années. “Notre premier mouvement a été l’abaissement, en bonnes religieuses que nous sommes” », explique-t-elle non sans humour. « Nous avons d’abord été dans l’écoute et la consolation. Puis, dans un second temps, avec les garçons, nous avons compris qu’il fallait les aider à se relever, les outiller, les former, leur dire “Tu prends ta vie en main. C’est la tienne, c’est toi qui en es l’acteur”. C’est un visage de la compassion beaucoup plus viril”. Puis ACAY a déployé ses ailes jusqu’en France. Le programme Seconde Chance existe à présent à Marseille et ACAY fait ses premiers pas en Afrique. Récemment, sœur Sophie a été appelée au Congo pour du coaching. L’idée n’est pas de créer ACAY partout mais de partager une expérience, une expertise, ainsi que des outils qui ont fait leurs preuves. De quoi faire dire à cette missionnaire passionnée : “C’est bouleversant de voir comment Dieu conduit les choses”.

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