Explications et réponse du père Denis Sonet, spécialiste de la vie de couple, à la question de la passion amoureuse extraconjugale.Nous connaissons tous des couples qui se séparent parce qu’une passion soudaine s’est emparée de l’un des conjoints, alors que nous les considérions comme un exemple de solidité. Des êtres moralement forts peuvent en effet être emportés par une passion inattendue et aussi violente qu’un vent de tempête. Que devraient-ils faire ? Se laisser emporter, au risque de faire terriblement souffrir un conjoint et des enfants ? Résister, avec le sentiment que l’on sacrifie son bonheur en restant aux côtés d’une personne que l’on n’aime plus, ou moins qu’une autre ?
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Pour éclairer ce problème difficile, peut-être faut-il essayer de mieux comprendre le fonctionnement de la pulsion amoureuse. Le premier amour de l’être humain est celui de sa mère. Il l’a aimée d’un amour fusionnel et idéalisant. Si bien que le premier « circuit imprimé » d’amour est cet amour exclusif, merveilleux, total. Or, l’être humain est arraché à celui-ci : il doit partager sa mère avec ses frères et sœurs et surtout avec ce père qui la lui prend chaque soir, et de toute façon, il s’aperçoit un jour qu’elle n’est pas parfaite. Déception ? Certainement, mais très utile, car à la racine de l’amour de demain : « Un jour, pensera l’enfant, j’aurai moi aussi quelqu’un qui sera tout pour moi, qui sera aussi merveilleux(se) qu’était Maman ».
Le besoin d’amour, un « missile à tête chercheuse »
Autrement dit, dans son cœur s’est mis en place un besoin très fort d’aimer et d’être aimé, un besoin qui est en attente. Pour prendre une comparaison, s’est formé en lui un missile contenant une force prodigieuse d’aimer, un missile qui a une tête chercheuse pour viser la cible qu’il va choisir. Il suffira que vers 16-18 ans il soit soudain ému par une rencontre pour que le missile se dirige aussitôt vers la personne entrevue, dans l’espoir de vivre avec elle cet amour exclusif et comblant qu’il a connu enfant.
Mais cet amour si exigeant en définitive est souvent déçu… comme le fut le premier amour. Le missile alors change de direction, choisit une autre cible, dont il attend le bonheur parfait : il donne à la personne de ce nouveau choix toutes les qualités, qu’elle n’a pas forcément.
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L’amour ainsi vécu est un transfert, et il est bon d’en prendre conscience, ne fût-ce que pour se demander si cette nouvelle passion est vraiment raisonnable, ou ne fait pas plutôt partie d’un rêve fou, d’un espoir démesuré : le rêve d’accéder au bonheur parfait avec un(e) partenaire de la perfection duquel on ne saurait douter.
En face de toute passion nouvelle, il est donc bon de se demander si l’on n’est pas entré dans le domaine du rêve. N’a-t-on pas transféré un peu vite sur un tiers l’amour qui jusque-là s’était investi vers le conjoint et qui a été déçu ? Mais alors, est-il possible de « retransférer » vers le conjoint ? Il faut reconnaître que le cœur, ayant ses raisons que la raison ne connaît pas, ne domine pas facilement cette pulsion nouvelle : le « missile » a du mal à revenir vers le conjoint pour la raison toute simple qu’il ne peut pas rêver en l’idéalisant – il connaît ses limites, et ne peut pas fantasmer.
Un sentiment n’est ni bien ni mal
Pourtant, ce retour vers le conjoint n’est pas impossible, à certaines conditions. Quand cette passion jaillit dans un cœur, il ne sert à rien de dramatiser trop vite, ni de se culpabiliser d’éprouver un sentiment que la morale semble réprouver. Un sentiment n’est ni bien ni mal, il est. Il s’agit de savoir ce qu’on en fait.
Dans la mesure où on ne l’entretient pas et où aucun petit geste n’est posé, il n’y a aucune faute. Il est même sain de le constater en soi avec un certain humour. S’il n’est pas pris au sérieux, il s’atténuera très vite, mais peut au contraire devenir obsessionnel si on lui donne trop d’importance. Tout être humain peut éprouver un jour ou l’autre une attirance vers une personne étrangère, ce n’est pas dramatique… Sourions de nous-même et tournons la page !
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Il importe également de réagir au plus tôt, le moindre geste vers l’autre enclenchant un processus qu’il sera de plus en plus difficile à maîtriser. Cette réaction énergique au départ (la fuite est parfois la forme la plus élevée du courage !) sera facilitée par une réflexion sur les enjeux d’une liaison naissante et sur ses conséquences. En se méfiant de la tentation (adolescente ?) de penser qu’on est capable de flirter sans danger avec le risque.
Si la passion est particulièrement puissante parce que des gestes ont déjà été posés, il faut savoir si l’on veut oui ou non essayer de sortir de l’impasse. Certains, hélas, ne prennent pas les moyens de dépasser leur passion. Mais qu’au moins alors ils aient la délicatesse de ne pas culpabiliser leur conjoint, en reconnaissant que la cause de leur départ est leur propre faiblesse.
Si l’on veut loyalement dominer cette pulsion, il faut cesser de croire que l’on peut guérir d’un amour impossible tant qu’on espère – consciemment ou non – qu’il pourra se réaliser. Or, les demi-mesures dans une rupture sont fréquentes (coups de téléphone, rencontres même très courtes…), et interdisent la cicatrisation de la blessure d’amour.
Le couple peut repartir plus fort
L’amour pour le conjoint peut-il revenir ? Certainement, si la rupture est totale, mais après plusieurs mois de guérison, en misant d’abord sur la volonté d’aimer. Reviendront ensuite la tendresse puis l’admiration. Il va sans dire qu’il peut être utile pour le couple de se faire aider par une personne compétente… et dans la prière, par la grâce du Seigneur. Se faire aider notamment pour essayer d’étudier ce qui peut expliquer la déception qui est peut-être au départ de l’attrait pour une autre personne chez l’un des conjoints. Un couple qui dépasse ce problème peut repartir plus uni et plus fort.
Père Denis Sonet