Comment faire la part des choses entre une aspiration légitime et un insatiable désir de liberté ?Vous connaissez Moitessier ? Le vainqueur de la première course autour du monde à la voile, en solitaire, en 1968. Vous savez ce qu’il fit en pleine course ? Il a tout plaqué. Il a laissé tomber sa victoire alors qu’il tenait la tête de la course, il a fait faux bond à ceux qui l’attendaient à Portsmouth, prêts à faire péter le champagne, il a oublié son retour à terre et à la routine, et a mis le cap sur les Antilles : à moi la liberté ! Tout plaquer, comme c’est tentant… Regardez saint François d’Assise, le roi de la fête à tout casser, des soirées arrosées. Lui aussi, il a tout plaqué et changé complètement de vie. Alors… Pourquoi pas nous ? Comment savoir si le démon de la fuite et de la défile nous tenaille, ou si au contraire une aspiration profonde et légitime réclame sa part ?
Si l’envie de refaire sa vie vient d’un dégoût du devoir d’état, d’une allergie à toute forme de contrainte, de l’impossibilité chronique à tenir un engagement, méfiance ! Tôt ou tard, on se retrouvera à la case départ, sous un autre ciel. On a beau planter les autres, il faut bien s’emmener soi-même… La vie quotidienne contient son lot de routines plus ou moins pesante : changer d’hémisphère n’empêchera pas la lassitude de se profiler à nouveau. Le problème à résoudre est d’abord en nous-mêmes.
Prendre le temps de faire l’inventaire de sa vie
Car justement, si gronde en soi le désir de tout planter, écoutons-le : c’est un signe. Le signe qu’il y a des choses à changer dans sa vie pour qu’on s’y sente vraiment à sa place, la place où l’on peut donner avec joie et aisance le meilleur de soi-même. Peut-être sommes-nous alourdis par l’impression de subir la vie que nous menons : il est temps de faire un inventaire. Parfois notre lieu de vie, notre compagnon de route, notre métier ou notre activité quotidienne sont le résultat d’événements qui se sont présentés à nous sans que nous les ayons clairement décidés. D’où une sourde sensation d’emprisonnement. Alors, regardons-les en face et sachons trouver les vraies et bonnes raisons de les choisir à nouveau fortement.
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Mais aussi, cette vague qui monte en nous est probablement le signe que se sont agrégées autour de nous, degré par degré, des situations d’impasses, des relations toxiques, ou de tristes habitudes qui érodent jusqu’à l’épuisement notre élan vital. Certaines ruptures ne sont pas des fuites, mais demandent au contraire bien du courage. Ce qui nous freine dans notre élan vers Dieu et notre prochain, on s’en débarrasse. Tout ce qui constitue un écran entre notre âme et l’appel à la sainteté, on déblaie. Tout ce qui engourdit notre conscience, détruit l’amour et le respect que nous devons nous porter à nous-mêmes, on dégage. Et ça fait du bien. Mais ça ne se fait pas seul : toute la vertu d’un bon accompagnement spirituel est de nous éclairer sur nos limites (avec lesquelles nous sommes nés et avec lesquels nous serons enterrés), mais aussi nos faiblesses (celles que nous entretenons parfois, avec plus ou moins de complaisance). Et demandons à Dieu de toujours tenir avec nous le balai.
Jeanne Larghero