C’est l’histoire vraie d’un homme du peuple, un meunier proche de la nature, accusé d’hérésie. Alberto Fasulo a voulu raconter son combat, seul face au pouvoir de l’Église. Il brosse le beau portrait d’un homme simple, attaché à sa liberté de conscience et de penser, à travers des images dignes de Rembrandt. À découvrir en salles actuellement.Italie, fin du XVIe siècle. Menocchio, meunier autodidacte d’un petit village perdu dans les montagnes du Frioul, inquiète le clergé. Il est accusé d’hérésie pour avoir défendu ses idéaux de pauvreté et d’amour, mais aussi sa foi en l’homme tel qu’il est dans sa simplicité. Les habitants du village l’ont écouté et doivent aussi en rendre compte auprès du tribunal de l’Inquisition. Homme respectable et bon, il semble s’être fait la voix du peuple et de ses tracas, de celle de la nature et du bon sens. Le réalisateur Alberto Fasulo, admiratif de cette figure de la ténacité humble, libre et pacifiste depuis sa jeunesse, nous offre un fascinant portrait de sociologue et de peintre. Le casting est essentiellement composé d’acteurs non-professionnels, ce qui ne fait qu’augmenter sa vraisemblance.
Que peut l’esprit contre l’obscurité?
Dans la pénombre d’une étable, sa femme récite un “Je vous salue Marie” et l’on découvre Menocchio, superbement incarné par Marcello Martin. Dès les premières images, on pourrait penser au cinéma de Bresson, de Dreyer, dans la captation brute et belle des visages et des corps. Mais tout de suite, autre chose apparaît. La quête du réalisateur à vouloir à tout prix ne pas avoir peur de plonger dans l’obscurité. Il a filmé lui-même en se répétant : “Ne craignez pas l’obscurité, cherchez la lumière mais traversez l’obscurité, elle dit autant que la lumière”. Cela donne des images à méditer et presque à admirer. Quant à la lumière, elle demeure par l’étincelle entretenue par Menocchio, cet homme qui sait écrire, lire et réfléchir, au désespoir du tribunal devant lequel il sera régulièrement amené à se justifier. Celui-là même qui le condamne à l’obscurité du cachot et de l’exclusion par les siens. À l’image de la nature dans laquelle il a grandi, et dont il est pétri, sa spontanéité toute pure d’intention se mêle à une simple splendeur qui tente de survivre selon les lois qu’il a lui-même observées. Il ne comprend pas le faste de l’Église. Le verdict tombe et il risque la mort.
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L’Église aux prises avec le dogme
À la fin du XVIe siècle, l’Église commence à faire face au protestantisme. S’aventurer hors de ses dogmes est dangereux et puni de son bras. Mais l’homme accusé d’hérésie ne veut pas écouter ceux qui le supplient de renier ses idées, issues de la culture populaire, pour échapper à la mort. Il n’en comprend pas le sens, trop attaché à sa dignité d’homme convaincu que l’homme est beau, bon et estimable, à l’image de son Dieu. La manière de filmer les échanges et les visages est une véritable prouesse et une expression en elle-même. Elle évoque tout à la fois le jugement et ses contradictions, comme un témoin pris au piège et touché par la vaillance d’un homme à qui l’on demande de trahir sa conscience. Ce à quoi est voué Menocchio est rien moins que l’anéantissement, de la terre, des consciences et des cieux. Il finira sa vie entre la prison et la réclusion dans son moulin, isolé et muselé. Puis, au deuxième procès, c’est le bûcher, sur l’ordre du Saint-Office.
Ce film est saisissant et d’une étonnante actualité. Il suscite une vraie réflexion sur la foi et les attitudes qu’elle suppose. “Heureux l’homme qui ne marche pas selon le conseil des méchants, qui ne s’arrête pas sur la voie des pécheurs, et qui ne s’assied pas en compagnie des moqueurs” (Ps 1, 1), “Heureux celui qui s’intéresse aux pauvres” (Ps 41, 1), “Heureux celui à qui la transgression est remise” (Ps 32, 1) nous disent les psaumes.
Menocchio, (2019) d’Alberto Fasulo, avec Marcello Martini, Maurizio Fanin, Carlo Baldracchi et Nilla Patrizio. 103 min. En salles.