L’autisme se décline au pluriel et ses troubles sont actuellement regroupés sous la vaste appellation de « troubles du spectre autistique » (TSA). Ce trouble neurologique entrave de façon plus ou moins prononcée la communication avec le monde extérieur et les interactions sociales. Des obsessions, des intérêts atypiques, des comportements répétitifs et stéréotypés font partie des symptômes les plus récurrents. Sa terminologie et ses causes donnent encore lieu à de vifs débats. Mais l’on s’attache davantage aujourd’hui à parler de fonctionnement cérébral et de mécanismes de pensée différents. Une approche plus positive, qui peut inclure une vie sociale, intellectuelle et spirituelle très riche, mais qui implique toujours un long cheminement.
Petite histoire de l'autisme
Longtemps, en France, l’enfant autiste a eu comme seul horizon l’isolement et la marginalisation. La psychanalyse a été montrée du doigt car, s’appuyant notamment sur les théories du psychologue américain Bruno Bettelheim, elle cherchait ses origines dans l’histoire parentale, en particulier celle de la mère. Une culpabilité insupportable.
Cette page a été définitivement tournée en 2012 quand l’autisme a été déclaré « grande cause nationale ». Sous les recommandations de la Haute Autorité de santé, la place de la psychanalyse est remise en cause. L’approche comportementaliste, portée par la méthode ABA, s’est imposée. Cette méthode repose sur la stimulation, la répétition et un apprentissage mécanique favorisant l’intégration sociale. Elle produit des résultats, redonne beaucoup d’espoirs aux familles, sans faire pour autant l’unanimité.
Ses contempteurs dénoncent notamment sa mécanisation du comportement aux dépens du relationnel. Les familles y ont recours, mais aspirent aussi à d’autres approches. « Elle répond à un besoin à un certain moment, mais n’est pas suffisante », explique Céline, directrice d’une école pour autistes. Quant aux psychanalystes, ils insistent sur l’importance de leur contribution dans une prise en charge interdisciplinaire. Ils reprochent à l’État sa mainmise sur le sujet en ne prônant qu’une approche rééducative, donc réductrice. Cette mainmise remettrait en cause la liberté de choix des parents, entravée par des lobbyings politiques, commerciaux et journalistiques. Les querelles ne sont donc pas éteintes. Et le parcours du combattant encore bien réel.
Du sur-mesure pour son enfant
Malgré des efforts, l’intégration scolaire reste encore très insuffisante : « Beaucoup d’écoles considèrent que ces enfants n’ont pas leur place dans leur établissement. D’autres sont poussés vers la sortie. Les parents subissent une pression énorme », constate Céline. Quant aux médecins, ils ne sont toujours pas formés à ce genre de troubles. Et le regard de la société met du temps à changer. « En Italie, on considère les enfants autistes comme des citoyens à part entière et non comme des malades », souligne-t-elle. « La France a une approche négative du handicap, comme quelque chose qu’il faut corriger pour se rapprocher de la norme. D’autres pays ont une approche bien différente. L’enfant est accepté dans sa singularité », abonde Églantine Éméyé, journaliste de France Télévisions, comédienne et mère d’un enfant polyhandicapé.
C’est la place qu’une société est prête à accorder « au plus petit d’entre les siens » qui est aussi questionnée. Face à un sentiment d’abandon et parfois d’inquisition, face à un quotidien sans répit et une médecine dépassée, une scolarisation lacunaire, des soins et des dispositifs très coûteux, les familles ont besoin d’aide et de soutien. La journaliste de France Télévisions évoque « ce combat insensé et incessant qu’est l’éducation d’un enfant différent aujourd’hui ».
Actuellement, les parents, refusant que leur enfant soit enfermé dans une méthode, demandent plus de souplesse. C’est dans cette démarche flexible et personnalisée que s’inscrit l’ouvrage Autisme. Ce sont les familles qui en parlent le mieux, rédigé par l’association Un pas vers la vie. Véritable guide pratique truffé de conseils, il entend aider les familles dans les démarches administratives, l’identification des troubles, et la connaissance des méthodes existantes (en analysant leurs avantages et leurs inconvénients).
L'implication de la famille, gage de réussite
Connaître ce monde institutionnel et associatif parfois complexe, c’est aussi tenir les rênes de l’avenir de son enfant. Cela implique de tâtonner dans un développement parfois sinueux, où cohabitent régression et progrès, et de mettre en place une combinaison cohérente de méthodes. De faire du sur-mesure pour son enfant. Car le rythme, les besoins et les attentes de chacun d’eux divergent. L’écoute, l’innovation et l’expérimentation sont encouragées. Et si la famille est au centre de cet ouvrage, c’est qu’il ne peut y avoir de réussite sans elle : « Nos expériences ont montré que, lorsqu’on rencontrait les limites de la médecine, il fallait l’imagination et l’amour des parents pour trouver des réponses », estime Églantine Éméyé, qui en signe la préface. Cet opuscule s’avère aussi une mine d’or pour tous ceux (entourage familial, enseignants…) qui souhaitent se familiariser avec le monde autistique.
Parmi ces méthodes citées se trouve celle des 3i, fondée sur le jeu intensif, individuel et interactif et qui, contrairement à la méthode ABA, n’est pas comportementale mais « développementale ». Catherine de la Presle, fondatrice de l’association Autisme espoir vers l’école et qui a pu en mesurer tous les bénéfices sur son petit-fils, en parle avec enthousiasme : « Il s’agit d’abord de reconstruire le développement de l’enfant à partir des stades de celui du bébé, que l’enfant autiste n’a pas mis en place. C’est un long processus développemental qui remet en place les fondations. Il permet aux enfants de sortir de leur bulle et de créer un lien avec l’autre. » Et d’ajouter : « À partir de cette conscience de soi-même et de l’autre, ils peuvent acquérir une conscience existentielle. Ils peuvent comprendre qu’il existe un Autre au-dessus d’eux. » Car entrer en relation avec l’autre, c’est aussi pouvoir entrer en relation avec Dieu et s’ouvrir à une véritable vie spirituelle.
Mais Catherine de la Presle se désole qu’en raison de lobbies financiers et de blocages politiques, cette méthode, qui a fait ses preuves (sur 500 enfants traités, 75 % ont pu intégrer une école) et que beaucoup pratiquent sans oser le dire, n’ait pas encore obtenu sa validation scientifique. La France avance donc à petits pas. Des familles plus informées, la volonté d’une prise en charge plus globale, dans une société qui évolue trop lentement et peine encore à dépasser certains blocages. Le tableau est nuancé, mais les raisons d’espérer réelles.
Marie-Lorraine Roussel