Avec Styx, le réalisateur autrichien Wolfgang Fischer a imaginé l’épopée maritime d’une femme médecin en proie à sa générosité d’âme et ses limites. Une belle réussite sur le plan esthétique et dramatique, simple et efficace.Styx est un film inspiré d’une histoire vraie. Rike, 40 ans, est médecin urgentiste. Pour ses vacances, elle part en solitaire sur un voilier. Elle compte rejoindre l’île de l’Ascension depuis Gibraltar, où Darwin a planté une forêt entière au goût de paradis. Seule au milieu de l’Atlantique, elle fait face à une tempête violente et à un défi auquel elle n’était pas préparée…
Seule face à l’Océan
Dès les premières images, la nature se superpose à un accident de voitures comme un prologue à cette histoire. L’action est nette, précise, parfois poétique ou cruelle, laissant une distance qui évoque davantage l’intention de la fable que celle du biopic.
La comédienne Susanne Wolff parvient à donner une grande intensité au personnage de Rike, dans un film très physique qui se passe pour la plupart du temps de mots. C’est en femme solide, autonome et heureuse à l’idée d’être seule pendant plusieurs jours pour réaliser un de ses rêves qu’elle prend la voile. Quand elle apprend l’arrivée de la tempête, elle sait pouvoir l’affronter et fait preuve d’une grande expertise. Mais au-delà de la solitude de la navigation, une autre apparaît bientôt quand elle découvre qu’elle n’est pas seule sur l’Océan. Un chalutier transportant des migrants lui fait face. Il est en danger. La solitude de la responsabilité survient alors. En effet, « soutenir sa propre solitude est un thème important. Qui en est capable aujourd’hui ? », s’interroge le réalisateur.
Lire aussi :
Les migrants, un “signe des temps” sérieusement considéré par le Vatican
Doit-on sauver son prochain à tout prix?
Un dilemme moral se pose clairement, Rike est médecin urgentiste et connaît la règle ultime : protéger sa vie avant tout. C’est à cette question à laquelle souhaite nous confronter le réalisateur, quand on est face à quelqu’un en danger. « Vous n’avez pas choisi cette situation mais vous êtes obligé d’agir », commente Wolfgang Fischer. « Détourner son regard est aussi une forme d’action », admet-il. « En tout cas il faut décider. Cela peut arriver à chacun d’entre nous. C’est quelque chose d’universel, cela peut changer votre vie. » Ses rares échanges à la radio avec les secours ou le capitaine d’un paquebot lui suggèrent la prudence et l’attente, de son côté son métier et sa situation la confrontent. Des enfants, migrants, sont en danger de mort à ses côtés. Leur porter secours, avec si peu de moyens, est-il raisonnable ou dangereux ? L’un d’entre eux parvient à nager jusqu’à elle, en piteux état. Sa propre colère de survivant vis-à-vis du sort des autres introduit des émotions ambivalentes chez Rike et un dilemme d’autant plus dérangeant. Surtout quand on connaît la fin, où le sauveur n’est pas toujours récompensé.
Une fresque philosophique
Le titre du film ramène immanquablement au fleuve mythique sur lequel doivent passer les âmes, avant d’arriver au passeur Charon, munis d’une obole. Le Styx jouxte les enfers et voit passer les âmes de ceux qui n’ont pas été ensevelis selon les rites, il est le symbole de la haine de la mort. Parallèle judicieux avec les corps noyés des migrants qui se jettent à l’eau, dans un dernier geste d’espoir. Styx, c’est aussi la déesse née d’Océan et de Téthys, mère de l’Émulation, de la Victoire, de la Force et de la Puissance, dans la mythologie grecque, un parallèle avec l’héroïne.
Cette fresque quasi philosophique, campée en pleine mer, est d’une grande richesse humaine, toute en vérité. Elle réussit surtout très bien à rendre compte d’une question sensible : que sommes-nous prêts à risquer pour les autres quand l’adage nous souffle « charité bien ordonnée commence par soi-même »?
Styx, de Wolfgang Fischer, avec Susanne Wolff, 1h35, en salles le 27 mars