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Algérie : un mouvement de contestation « d’une grande maturité politique »

Grande manifestation en Algérie, mars 2019.

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Agnès Pinard Legry - publié le 15/03/19
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Alors que l’Algérie sort d’une quatrième semaine de mobilisation pour réclamer le départ d’Abdelaziz Bouteflika, le mouvement est loin de s’essouffler. Si cette mobilisation revêt un caractère inédit, « ce n’est pas un surgissement soudain », souligne auprès d’Aleteia Augustin Jomier, historien et enseignant au département d’Études arabes de l’INaLCO.

Alors que l’Algérie sort d’une quatrième semaine de mobilisation pour réclamer le départ d’Abdelaziz Bouteflika, le mouvement est loin de s’essouffler. Si cette mobilisation revêt un caractère inédit, « ce n’est pas un surgissement soudain », souligne auprès d’Aleteia Augustin Jomier, historien et enseignant au département d’Études arabes de l’INaLCO.

Des milliers d’Algériens étaient à nouveau rassemblés ce vendredi 14 mars pour demander le départ d’Abdelaziz Bouteflika, au pouvoir depuis 20 ans et très affaibli depuis son AVC en 2013. En début de semaine, le Président algérien a annoncé qu’il renonçait à sa candidature à un 5e mandat et repoussé la présidentielle prévue le 18 avril, jusqu’à l’issue d’une prochaine Conférence nationale devant réformer le pays et élaborer une nouvelle Constitution. Augustin Jomier, historien et arabisant qui enseigne au département d’Études arabes de l’INaLCO, confie à Aleteia que « cette tentative pour prendre en charge la transition, ce n’est rien d’autre qu’une façon pour le clan Bouteflika de sauver son pouvoir ».

Aleteia : Comment analysez-vous l’annonce du report de l’élection présidentielle et du prolongement du mandat d’Abdelaziz Bouteflika ?
Augustin Jomier : L’annonce a été faite par une lettre attribuée au Président… qu’on n’a toujours pas vu. Elle était accompagnée d’une vidéo qui date en fait d’octobre 2017. Cette annonce est une manière pour le système, encore plus opaque depuis l’AVC d’Abdelaziz Bouteflika en 2013, de tenter de gagner du temps. Cette tentative pour prendre en charge eux-mêmes la transition, ce n’est rien d’autre qu’une façon de sauver leur pouvoir.



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Cette mobilisation est-elle surprenante, inédite ?
Ce n’est pas un surgissement soudain. Il y a régulièrement en Algérie, depuis une dizaine d’années des revendications sectorielles ou régionales dans de petites et moyennes villes. L’État a réussi jusqu’à présent à calmer ces manifestations en redistribuant de l’argent mais ces mouvements se sont multipliés jusqu’à faire l’unanimité aujourd’hui. Il trouve ses origines dans l’incapacité de Bouteflika à gouverner mais aussi dans l’épuisement de la rente (la baisse du prix du gaz, donc des réserves de change moins importantes qu’en 2010) mais aussi dans une pseudo-libéralisation économique qui a entrainé l’enrichissement soudain d’un petit nombre de personnes.

Ces manifestants représentent-ils vraiment la société algérienne ?
C’est justement ce qui me frappe dans ces manifestations. Il n’y a pas un profil type de manifestant. On parle de la jeunesse mais pas que, il y a des gens de tous les âges, des hommes, des femmes… Sociologiquement aussi, les profils sont variés : on trouve des personnes issues de la bourgeoisie occidentalisée mais aussi des personnes plus traditionnelles. Le fait aussi que ces manifestations se déroulent dans l’ensemble du pays dit quelque chose de l’ampleur du mouvement et de sa représentativité. Il n’y a pas qu’à Alger et Oran que les Algériens manifestent. Ils manifestent aussi dans des villes de taille moyenne.

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Magharebia

Le président algérien Abdelaziz Bouteflika lors des élections de 2012, soit un an avant son AVC.

Plus qu’un dirigeant politique, le nom d’Abdelaziz Bouteflika désigne plutôt un clan… Qui en sont les principaux membres ?
J’identifie quatre figures emblématiques que les manifestants aujourd’hui ne veulent plus voir au pouvoir. Saïd Bouteflika, qui est le frère d’Abdelaziz Bouteflika et dont on dit qu’il tient le pouvoir depuis 2013, Ali Haddad, figure emblématique du patronat algérien, le chef d’état-major Gaïd Salah, symbole de l’alliance entre Bouteflika et l’armée et Lakhdar Brahimi, ancien ministre des Affaires étrangères et qui bénéficie d’une aura internationale importante.

Comment envisager la transition du pouvoir ?
Je crois qu’eux-mêmes ont du mal à l’envisager. Le mouvement de contestation fait preuve d’une grande maturité politique. Je suis d’ailleurs frappé par le caractère pacifique des manifestations. Quasiment aucun heurt, aucun dégât n’est à signaler. C’est assez rassurant pour la suite et d’autant plus notable que le gouvernement de Bouteflika se présente volontiers comme la seule alternative au chaos. Le caractère pacifique de ces rassemblements est donc en soi un argument politique fort. Différents mouvements de la société civile capables d’avancer des discours construits émergent mais ils visent tous pour le moment la même chose ; leur mot d’ordre est l’unité et les objectifs à atteindre sont clairs. Visiblement, le “système” commence à en prendre la mesure et réalise qu’il faut bouger. On peut espérer qu’il y ait une convergence entre les représentants qui vont émerger de ces manifestations et le pouvoir qui va prendre conscience de son épuisement.

Il s’agit de la plus grande mobilisation algérienne observée depuis la fin des années 90… Y a-t-il des risques de guerre civile ? D’une montée de l’islamisme ?
Pour le moment ce n’est pas l’impression que ça donne. Ceci étant dit, tout changement de pouvoir implique des risques. Revenons à l’origine de ce mouvement : après la confiscation de l’espace public par le gouvernement depuis la fin des années 90, les seuls “espaces publics” restants ont été les mosquées et les stades de foot. Concernant les islamistes, ils ont été discrédités comme le reste de l’opposition car ils ont fait partie de la coalition au pouvoir jusqu’en 2015. Ils n’apparaissent donc pas particulièrement légitimes pour le moment. On pourrait également se poser la question de mouvements indépendantistes, je pense par exemple aux revendications des populations berbères. On pourrait imaginer un mouvement qui se divise. Mais pour le moment, encore une fois, ce n’est pas le cas. Les objectifs sont clairs et le mouvement est uni. Vous évoquez les risques de guerre civile mais il faut savoir que le spectre des années 90 est très fort et constitue un garde-fou important. Les Algériens sont traumatisés et si ceux qui défilent dans la rue ont un espoir immense de faire changer le système, ils ont conscience du danger. D’où l’ordre et le pacifisme de ces manifestations. Un autre aspect est intéressant à développer ici car il contribue à leur légitimité, c’est celui de l’histoire. Les manifestants eux-mêmes se rattachent beaucoup à l’histoire de l’Algérie et du combat anti-colonial. On peut ainsi noter la présence de Djamila Bouhired, figure historique en Algérie qui avait soutenu le FLN, arrêtée pendant la bataille d’Alger etc. Elle est elle-même descendue dans la rue pour dire aux manifestants qu’elle les soutenait.

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pixabay

Le chef d’état-major de l’armée, qui fait pourtant partie du clan Bouteflika, a assuré partager les « mêmes valeurs » et « une vision commune » de l’avenir avec le peuple. L’armée pourrait-elle jouer un rôle d’arbitre ?
Gaïd Salah a déjà fait quatre discours. On note une évolution car dans le premier il a mentionné le nom de Bouteflika mais dans le dernier il insiste sur les valeurs communes entre le peuple et l’armée. De façon implicite, il a ainsi déjà appelé à changer. Attention, il fait lui aussi parti du système mais il a conscience que les choses évoluent. Après, le discours de l’armée sur le peuple est un grand classique en Algérie, l’armée algérienne s’appelle d’ailleurs l’Armée nationale populaire. Il existe toute une rhétorique du régime qui met en scène l’armée comme une émanation du peuple… En agissant ainsi le chef d’état-major de l’armée s’inscrit dans cette continuité afin de sauver sa légitimité. Mais les Algériens ne sont pas dupes.

Peut-on imaginer qu’il existe certaines divisions au sein de l’armée et que des officiers soutiennent ces manifestations ?
Certainement. La police est également très laxiste vis-à-vis des manifestants probablement parce qu’elle partage, comme certains dans l’armée, les revendications des manifestants. Il ne faut pas oublier que les militaires, comme les policiers, font partie de la société. En ce sens l’évolution du discours de Gaïd Salah témoigne d’une volonté de conserver son autorité tout en se rapprochant de la rue.

Comment la France peut-elle se positionner ?
L’équation semble insoluble pour la France… Son passif avec l’Algérie est tellement lourd et il apparaît évident que, de façon discrète, la France a cautionné le régime de Bouteflika. Mais l’Algérie est un partenaire trop important pour la France pour qu’elle n’entretienne pas des relations privilégiées. La France ne peut pas ne pas rester au plus proche de cette réalité insurrectionnelle mais elle doit se garder en même temps de commenter publiquement ce qui se passe. Si la France soutient trop ouvertement les manifestants, le pouvoir pourrait dire « C’est la main de l’étranger »… et inversement.

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