Avec un tel titre, le nouveau film de Fabienne Godet renoue avec la solidarité pour donner un sens à des destins abîmés. Proche du documentaire et du théâtre, l’histoire gagne en intensité humaine.Abstinence, restauration de la relation à l’autre et entraide sont les piliers de la méthode américaine Minnesota, utilisée par exemple dans le centre APTE fondé par Kate Berry (une des filles de Jane Birkin) à Bucy-le-Long (Aisne), pour aider des personnes à sortir de la dépendance. Intéressée par le sujet, la réalisatrice Fabienne Godet est allée en immersion dans celui d’Aubervilliers, qui fonctionne sur le même principe. “Qui mieux qu’un malade alcoolique ou toxicomane rétabli peut comprendre un autre malade qui souffre encore?” se demande-t-elle alors, et de choisir cet angle pour évoquer la dépendance. Elle recueille des témoignages pendant deux ans pour construire ses personnages et choisit ensuite un tournage entre scènes préparées et scènes improvisées. Ce qui donne une grande justesse au long-métrage.
Théâtre et naturalisme au cinéma
Margot, Sonia, César, Jérémy, Salomé et les autres ont entre 18 et 50 ans. L’urgence de se reconstruire après leur addiction aux médicaments, la drogue ou l’alcool les rassemble dans une maison perdue dans la campagne. La porte reste ouverte. Ils ont donc le choix de rester ou de partir. L’authenticité, la solidarité et l’honnêteté vont vite devenir obligatoires, car c’est souvent leur absence qui les a fait chuter. C’est aussi leur retour qui peut les sauver. S’ils comptent les jours où ils sont clean, cela ne les empêche pas d’être vivants, de s’attacher les uns aux autres et de s’épauler dans l’épreuve.
La réalisatrice Fabienne Godet a travaillé de concert le scénario avec la comédienne principale Julie Moulier, Margot dans le film, pour apporter une tonalité théâtrale à la mise en scène. Son intense présence permet de maintenir un fil conducteur stable et réaliste. De plans en plans, les jours se suivent et sont autant de victoires, de peurs, d’angoisses pour cette femme tombée dans la dépendance. Le film est découpé en plusieurs séquences, qui scandent la comptabilité des jours et l’évolution dans les crises jusqu’à trouver la vérité sur soi-même. Accompagnés d’un véritable addictologue (Régis Ribes), le seul acteur non-professionnel du film, les personnages construits au plus près de la réalité se confrontent aux autres et à leur passé dans une atmosphère tantôt étouffante tantôt très humaine et presque familiale. Son apport dans le film est essentiel et un bon choix de réalisation, car il permet de canaliser le pathos et de le détourner pour faire grandir chacun. Le spectateur n’est donc pas seul face à des personnes en souffrance, d’autant que certains comédiens ont une belle qualité de jeu et d’humour, même si d’autres ne sont pas absolument essentiels à l’histoire.
La solidarité rend-elle les vies formidables?
“Le film parle de gens formidables tout simplement”, se justifie la réalisatrice quant au choix du titre. “Je voulais donc un titre qui soit positif et renvoie à leur parcours, à leur retour vers la lumière” et qu’il “exprime une pulsion de vie”. C’est en effet en s’attachant à cet aspect de chaque personne, sans chercher l’exceptionnel mais plutôt l’ordinaire, que les personnages deviennent attachants. Parce qu’ils ne sont pas considérés comme des victimes et qu’ils apprennent qu’ils ont tous quelque chose à donner, l’humanité retrouve son chemin vaille que vaille et le sens de la vie avec lui. Certains tombent, d’autres se relèvent et avancent. Et si leur importance dans la résilience des autres émerge à mesure que les relations se nouent, elle ne fait pas l’économie d’un travail personnel. Mais ensemble c’est plus facile que seul, même s’il est difficile pour Margot de l’accepter. Elle qui osera enfin se confronter au secret de famille qui la ronge depuis si longtemps, à force de se battre contre elle-même.
Lire aussi :
« Apprentis parents », une comédie anti-idéaliste qui nous aide à comprendre l’adoption
Le sujet n’est pas nouveau au cinéma, Le bruit des glaçons, avec Jean Dujardin et Albert Dupontel s’attaquait spécialement à l’alcoolisme, tout comme Un dernier pour la route avec François Cluzet. Mais depuis quelques années, les groupes de soutien et lieux de vie en communauté inspirent davantage la fiction. L’an dernier avec La Prière, inspiré de la communauté du Cénacle et Don’t worry, He won’t get far on foot dans lequel Gus van Sant évoquait le parcours du dessinateur John Callahan avec les Alcooliques Anonymes. La liste est encore longue et semble ne pas s’épuiser.
Fabienne Godet et Julie Moulier ont écrit un beau film, qui aide à ne plus avoir peur de n’être qu’un humain avec ses failles. Elles parviennent à donner un visage au courage, une légitimité à la recherche de la vérité et une dignité à ceux qui sont déjà tombés. Nos vies formidables traite de la désintoxication avec intelligence et humanité, sans chercher à esquiver le nœud du problème.
Nos vies formidables, de Fabienne Godet, avec Julie Moulier, Bruno Lochet, Régis Ribes, Zoé Héran. En salles. 1h57.