Nous pourrions d’abord nous demander s’il n’est pas superficiel de parler chiffons. Saint Pierre (1P 3, 3-4) exhorte bien : "Que votre parure ne soit pas extérieure, faite de cheveux tressés de cercles d’or et de toilettes bien ajustées, mais à l’intérieur de votre cœur dans l’incorruptibilité d’une âme douce et calme." Mais ce primat de l’âme n’implique pas le mépris du corps, qui est le "temple du Saint-Esprit". "Glorifiez Dieu dans votre corps !", commande saint Paul. Ce sont les mêmes vertus qui doivent régler notre vie intérieure et notre aspect extérieur.
"La pudeur est modestie. Elle inspire le choix du vêtement", nous dit le Catéchisme de l’Église catholique (2 522). "Jamais dans l’Histoire la condition chrétienne ne s’est manifestée par une tenue singulière. Elle demande cependant au baptisé que son vêtement ne contredise pas sa foi, que l’extérieur ne contredise pas l’intérieur. C’est pourquoi on pourra discerner une manière chrétienne de s’habiller qui n’aura pas seulement rapport à la pudeur", précise l’abbé Alban Cras dans La Symbolique du vêtement dans la Bible (Cerf, 2011). Car, poursuit-il, il existe aussi "une manière de se vêtir en fonction des lieux, des états, des circonstances. En s’habillant, on tient un langage, on dit quelque chose".
L’Église nous laisse juge
Pas de consignes strictes, donc, hormis ici ou là des règles précises comme en avait donné Padre Pio sur la longueur des jupes de ses pénitentes – en dessous du genou. Ou celles posées à l’entrée des églises demandant aux femmes (et aux hommes) de couvrir leurs jambes et leurs épaules. "Il est toujours ardu d’indiquer par des règles universelles les frontières entre l’honnêteté et l’indécence, parce que l’évaluation morale d’une parure dépend de nombreux facteurs", avait déclaré Pie XII, dernier pape à avoir mené une réflexion approfondie sur le sujet. "Toutefois, ce qu’on appelle la relativité de la mode par rapport aux temps, aux lieux, aux personnes, à l’éducation, n’est pas une raison valable pour renoncer a priori à un jugement moral sur telle ou telle mode, lorsqu’elle dépasse les limites de la pudicité normale."
Alors, comment s’habiller ? "L’Église nous laisse juge, comme pour tout le reste d’ailleurs ! La première question n’est pas celle de la limite que je veux me poser, mais celle de l’excellence que je vise dans ma vie amicale et affective", estime le Père Ambroise, chanoine régulier de la Mère de Dieu. Auteur de topos sur le corps à destination des jeunes filles, il commence toujours par leur rappeler la signification du vêtement : "S’il garde notre intimité, il nous dévoile également, il dit qui nous sommes. En fin de compte, le vêtement est lié à la dignité de la personne."
Plus concrètement, il leur indique deux maîtres mots : convenance et charité. Cette tenue est-elle appropriée ? Et ensuite, respecte-t-elle mon entourage ? Ne risque-t-elle pas de choquer ou d’inspirer, même contre ma volonté, de mauvaises pensées ? "Que dire des mini-shorts, des bustiers, des maillots de bain deux pièces, des filles qui sont uniquement en pantalon ? À vous d’en juger en tenant compte des circonstances. Je ne tranche pas la question, portant moi-même une longue robe tous les jours !", plaisante le religieux, invitant chacune au discernement.
Séduisante ou séductrice ?
Jolie brune de 21 ans, Clémence a eu un déclic un dimanche pendant un sermon : "Je ne faisais pas particulièrement attention à la façon dont je m’habillais pour aller à la messe, jusqu’au jour où un prêtre nous a expliqué qu’au moment de la consécration, nous étions réellement au pied de la Croix, devant le Christ. Ce n’était pas le sujet, mais j’ai pensé à ma tenue. Au pied de la Croix, puis-je être habillée de manière sexy ou trop décontractée ? Puis-je détourner l’attention de mes voisins parce que je les choque ou que j’attire leurs regards ?"
La beauté d’une personne séduisante rayonne, celle d’une séductrice capte.
Pour aider les jeunes filles, le père Ambroise leur conseille d’être "séduisantes mais pas séductrices". "La beauté d’une personne séduisante rayonne, celle d’une séductrice capte, distingue-t-il. On est séduisante pour faire plaisir aux autres, séductrice pour son propre plaisir. La personne séductrice est dans une relation de consommation avec les autres et elle empiète sur la liberté de l’homme qui se trouve en face d’elle en tentant sa fragilité naturelle."
Comment être décente sans être ringarde ?
Mais alors, comment être décente sans être ringarde. Entre Lady Gaga et Caroline Ingalls, comment trouver le juste milieu ? "Je comprends qu’il faille adopter une certaine décence, mais pour évangéliser nous devons offrir aux autres un visage moderne et joyeux et ne pas tomber dans la caricature de la catho coincée. D’une certaine manière, notre apparence est une vitrine de l’Église", estime Sophie, 34 ans, catéchiste dans un collège nantais. "Dieu ne vous demande point de vivre en dehors de votre temps, de rester indifférentes aux exigences de la mode au point de vous rendre ridicules en vous habillant à l’encontre des goûts et des usages communs de vos contemporaines, sans vous préoccuper jamais de ce qui leur plaît", avait déclaré Pie XII.
Reste que trouver en 2018 un petit haut non transparent et pas trop décolleté peut devenir, surtout en été, un vrai challenge. Passionnée de mode, Thérèse, 30 ans, a bien identifié le dilemme face auquel de nombreuses femmes se trouvent : "Il n’est pas facile de réconcilier les valeurs chrétiennes avec la mode féminine actuelle. Dans ma paroisse je constate deux extrêmes : soit des jupes très courtes, soit des sacs à patates !", confie la trentenaire qui a lancé le blog femmeapart.com pour leur donner des conseils et des bonnes adresses.
Si l’Église ne blâme pas la mode, elle nous met en garde contre son perpétuel changement et son pouvoir d’attraction. Une heure montre en main pour dégoter une tenue catho-compatible reste peut-être un véritable défi aujourd’hui. Mais il ne semble pas raisonnable d’y consacrer trop de temps au point d’en oublier l’essentiel.
"En ce sens, il n’est pas étonnant que les âmes consacrées, en quête de perfection, se soustraient aux prescriptions tyranniques et coûteuses de la mode", note l’abbé Cras. C’est leur exemple qu’a voulu suivre Camille, 19 ans, l’année dernière pendant le Carême. "J’ai pris la décision de ne porter aucun bijou, aucun maquillage, de m’habiller sobrement toujours de la même façon. Les premiers jours ont été difficiles. J’ai réalisé que j’étais plus coquette que je le croyais. Mais j’ai vraiment eu le sentiment de vivre à fond cette période de pénitence et j’ai eu le sentiment d’être vraiment libre."
Élisabeth Caillemer