La puissance des réseaux sociaux à colporter de fausses informations a réhabilité la notion de « Vérité », naguère diabolisée comme instrument d’oppression de « l’ordre moral ». Jusqu’où ira cette conversion ?Pendant longtemps, la notion de vérité n’a pas été en odeur de sainteté parmi l’intelligentsia progressiste. Le Vrai était soupçonné de porter la vision du monde des classes dominantes (ou du sexe dominant), et cela dans le but de justifier cette domination.
Le Vrai soupçonné d’être au service des dominants
D’après la vulgate marxiste, la culture n’était que le reflet, dans les esprits, de structures matérielles d’oppression. La « vérité » constituait la caution intellectuelle de la suprématie de la classe dominante. Par exemple, la prétention à l’universalité des vérités énoncées par la culture occidentale, servait en fait de camouflage et de justification à son entreprise de colonisation.
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Autre cas de figure : toute tentative d’analyse des rapports entre les sexes était accusée de véhiculer des « stéréotypes » visant à maintenir la femme dans une position d’infériorité. Dans ce domaine également, la moindre tentative d’énoncer une « vérité » était d’emblée disqualifiée comme la légitimation du pouvoir de l’homme sur la femme. Ce que l’on présentait comme un état de fait « naturel » était tenu pour le produit de l’histoire de l’asservissement progressif de la femme.
Un domaine mobilisait particulièrement l’attention des “déconstructeurs” : la religion. Selon eux, la « vérité » était l’apanage de la confession dominante, le « faux » étant, quant à lui, le lot des hétérodoxes proscrits des palais somptueux de l’Orthodoxie…
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La vérité introuvable
C’est ainsi qu’il devenait impossible d’énoncer la moindre thèse qui pût s’apparenter à une « vérité ». À celui qui était assez téméraire pour prétendre dire le Vrai, on rétorquait qu’il était soit le laquais de ses maîtres phallocrates ou impérialistes, soit, au mieux, le jouet des superstructures par lesquelles ce qui était le résultat d’un devenir historique essayait de se faire passer pour naturel et éternel. N’étaient dupes de la « vérité » que les fils de Platon qui croyaient de bonne foi que la culture de la classe sociale dominante à un certain moment de l’histoire, était le reflet de réalités éternelles, ayant toujours existé.
Pour les tenants de la Déconstruction (Deleuze, Foucault et leurs sectateurs), la « réalité », à proprement parler, n’existe pas. Seul transparaît à notre conscience la façon dont l’esprit l’appréhende. Et cette appréhension est souvent orientée en fonction de rapports de forces. L’aphorisme de Nietzsche tenait lieu de profession de foi : « Il n’y a pas de faits, il n’y a que des interprétations. » Dans ces conditions, chercher la vérité relevait d’une duperie. Le « vrai » était tenu pour le reflet d’une situation fluctuante et incertaine où des forces antagonistes se combattent.
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Le tournant de l’élection de Trump
Ainsi a raisonné pendant longtemps le progressisme. La vérité était laissée aux soins de ceux qui étaient assez naïfs pour y croire. Le camp du Progrès, de son côté, s’occupait de démasquer les rapports de dominations qui se cachaient sous les mythes que les premiers tenaient pour des vérités éternelles. Or, on assiste à un retour en grâce du Vrai dans la sphère progressiste. À quoi est dû ce retournement idéologique ?
C’est la puissance des réseaux sociaux à colporter de fausses informations, ce que l’on traduit en anglais par fake news, qui explique ce revirement à 180°. Les intellectuels se sont soudain aperçus que le mensonge, et l’invention de fictions qui se faisaient passer pour des vérités, étaient des réalités, et qu’elles pouvaient avoir un impact considérable sur la marche du monde ! Les contempteurs de toutes les oppressions découvraient soudain la lune !
Mais ils n’auraient pas réagi avec tant de virulence contre ces fake news si ces dernières n’avaient pas contribué, selon eux, à l’élection de Donald Trump, leur ennemi juré ! Soudain, le Vrai rentrait en grâce. Le « faux » n’était plus la « vérité », non consacrée par la culture dominante, des opprimés. Le faux était maintenant une « post-vérité », nocive et manipulatrice. La vérité retrouvait droit de cité sur les campus, après avoir été tenue longtemps en lisières par les gardiens du temple de la Déconstruction !
Conversion à la vérité
Les émules de Derrida, Foucault et consorts, qui considéraient jadis que la vérité servait de paravent à des rapports de domination, sont-ils les mieux qualifiés pour dénoncer le torrent de fausses informations qui dévale chaque jour des sommets d’Internet ? La prudence est de mise dans cette affaire : il semble que ce soit l’inversion du rapport de force qui explique que le progressisme regarde maintenant la vérité avec les yeux de Chimène.
Mais quelle « vérité » veut promouvoir le camp du Progrès, pour lequel elle n’a représenté jusqu’à maintenant qu’un mythe ? L’avenir le dira. Cependant, misons sur la force révélatrice de l’histoire, et parions qu’il n’est jamais trop tard pour se convertir à la vérité, tout au moins à la croyance qu’il en existe objectivement une.
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