La conduite des hommes dans l’entreprise ne peut pas se réduire à l’art du discours ou aux bonnes pratiques. Tout management équilibré repose d’abord sur une vision de l’homme.L’« anthropologie managériale », vous connaissez ? Dans son Anthropologie de la rhétorique managériale (Presses universitaires de Bordeaux), la sociologue Anne Both s’attaque aux mécanismes de fabrication du discours managérial, réduisant la conduite des hommes à une rhétorique artificielle. Aux côtés des sociologues français critiques des théories du management actuel, Anne Both dénonce la « fascination pour le modèle japonais et son management par la qualité totale, les références vulgarisées à la psychologie, les cascades de typologies, les méthodes faciles et efficaces de manipulation et le ton messianique » qui démontre sa « remarquable capacité à s’imposer, se protéger et durer ». On est bien en face d’une idéologie trompeuse, en face de laquelle Anne Both s’interroge : « Comment l’imposture peut-elle se prolonger si longtemps ? »
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Le discours et le réel
Ce procès rejoint la méfiance viscérale de nombre de professionnels vis-à-vis de ces sociologues peu au fait de l’opérationnalité des jobs dans les organisations. Un véritable fossé existe en France entre une certaine pensée officielle — idéologique, moralisatrice et peu efficace — et les organisations soumises à des impératifs techniques, avec une volonté de résultats dans une configuration souvent concurrentielle. D’un côté un humanisme militant, de l’autre un réalisme sévère.
Il est aisé d’observer cette méfiance réciproque mais très difficile de la réduire. Pourtant, aucun manager n’est aveugle au point de nier, dans sa fonction, la dimension humaine nécessaire à un projet collectif. Les responsables savent que le management n’est pas pure rhétorique. L’éthique n’est pas seulement un recueil de pratiques aimables ou correctes. Elle se fonde sur une vision de l’homme. Et c’est cette vision de l’homme que l’on appelle anthropologie. Elle constitue le socle des convictions managériales des responsables.
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Le contenu humain
Parler d’anthropologie managériale, c’est repérer dans les pratiques d’une organisation, ses règles, sa culture, le contenu humain. Celui-ci est nécessairement présent dans toute organisation, d’une façon implicite ou explicite. De même pour tout manager : son comportement exprime, qu’il le veuille ou non, un point de vue sur l’autre, sur l’humain. Le comportement que l’on a avec les personnes qui nous entourent dans le travail, collègues, collaborateurs, clients, partenaires… exprime sans doute mieux qu’un discours nos véritables convictions à ce sujet. Pourquoi ne pas mentir à un collaborateur pour obtenir de bons résultats ? Pourquoi ne pas le manipuler « pour son bien et celui de l’entreprise » ? Poser ce type de question, c’est entrer dans les fondements anthropologiques de l’éthique. Rien de plus fondamental en effet que de souligner le respect que toute personne doit à son semblable, quel qu’il soit.
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Gagner sur le long terme
Pour ne pas donner à ce type de vision un caractère irénique, il est indispensable de préciser que le management gagne toujours sur le long terme à s’associer à une véritable réflexion sur ses fondamentaux. Car la négation de l’humain se retourne toujours contre la performance, comme la négation de la performance met en danger la survie de l’organisation. Ce juste équilibre est la difficulté et la noblesse du management. Il suppose que les responsables aient une marge de manœuvre réelle, non seulement pour encourager la performance de leurs équipes, mais pour défendre le cas échéant les seuils en deçà desquels le travail devient inhumain.