Dans son nouveau film “My beautiful boy”, Felix Van Groeningen confronte l’amour inconditionnel d’un père pour son fils aux ravages de la drogue. Il décrit avec talent l’évolution des sentiments où le courage du père se trouve proportionnel à la décadence de son fils. Et, à bien des égards, il redore l’image de la famille, ce bastion contre le désespoir.Aux États-Unis, la première cause de mortalité chez les adolescents et jeunes adultes est la drogue. Alors que les centres de désintoxication, les groupes de soutien et d’accompagnement pullulent dans le pays, sans compter les communautés chrétiennes, comment expliquer ce fléau ? Pour My beautiful boy, Felix Van Groeningen, s’est inspiré d’une histoire vraie pour parler des dangers de la drogue. Il s’agit de celle de David Sheff et son fils Nic Sheff, qui ont respectivement écrit : Beautiful boy : a father’s journey through his son’s addiction et Tweak : growing up on methamphetamines. Aujourd’hui âgé de 36 ans, Nic aurait pu y passer plus d’une fois et ne jamais pouvoir écrire à l’instar de son modèle William Burroughs, l’auteur du livre Junky. Comme toute histoire vraie, on n’échappe pas ici à la relecture d’une relation entre un père et son fils depuis la petite enfance. Le présent se mêle à des flash-backs, parfois difficiles à resituer dans le temps, à l’image du puzzle que le père tente de reconstituer : à quel moment son fils, qu’il croyait bien connaître, est-il tombé dans la spirale de la drogue dure?
“Ben is back” (2018), avec Julia Roberts, traitait déjà du combat d’un parent pour sauver son enfant de ses errances et de son mal-être. Cette fois, c’est la figure du père désemparé de perdre “son magnifique garçon” qui est à l’honneur. Timothée Chalamet (Call me by your name), avec son jeu très prometteur, incarne cet adolescent en perte de vitesse qui se débat contre ses démons intérieurs. Nic a tout pour réussir dans la vie. Il est intelligent, curieux, passionné par l’écriture et son père journaliste fait tout pour entretenir avec lui une relation privilégiée. Sa mère vit à New York et la nouvelle femme de son père lui est très attachée. À 18 ans, c’est pourtant une descente aux enfers, sous couvert d’un bien-être fugace, qui commence, avec le cannabis, le LSD, la cocaïne puis les méthamphétamines, une drogue dont il est presque impossible de se désintoxiquer. Cette vie de junkie le pousse bientôt au vol, au mensonge, au décrochage scolaire et à une vie d’errance, pourvu d’avoir toujours sa dose de bonheur par intraveineuse et les rechutes qui vont avec. Quand son père le découvre, c’est l’incompréhension totale. Comment son fils peut-il déjà tenter de fuir un “quotidien vide de sens” alors qu’il a l’avenir devant lui? Il se lance alors dans des recherches sur les effets de la drogue et sur la manière d’aider son fils.
Peut-on vraiment sauver ceux qu’on aime?
Évidemment, Nic n’échappe pas à une cure de désintox qui, bien qu’infructueuse, l’amène à pouvoir s’inscrire à l’université. Mais cela apparaît davantage comme une parenthèse dans le film, où l’on suit bien plus chaque étape d’un jeune livré à lui-même par sa seule volonté, qui s’éloigne peu à peu du monde des vivants pour entrer dans celui de la dépendance sans conscience. Ce qui étonne est le décalage entre l’affection sans bornes de David Sheff pour son fils et les nombreuses scènes de solitude de celui-ci, comme si la rencontre avec l’autre n’était plus possible, sauf si la drogue devait en être le lien. Timothée Chalamet est à la fois attachant, insaisissable et convaincant. Il confirme encore une fois son talent pour incarner les ambivalences de la jeunesse et celles de ce drogué perdu entre la route, ses rêves, sa famille et lui-même.
La scène où son père découvre son cahier de dessins et d’écriture dans sa chambre est le seul moment où l’on comprend l’état d’esprit de Nic, et peut-être le premier où l’on commence de s’inquiéter vraiment en découvrant l’envers du décor. Ce long-métrage ne donne pas dans le sensationnalisme, ni vraiment dans l’émotion, ni encore dans les images chocs, comme avait pu le faire Darren Aronofsky dans Requiem for a dream (2001) et dont l’effet était radical pour écœurer à jamais de la drogue. Ce que Felix Van Groeningen met ici en lumière est la difficulté de pouvoir aider ou sauver ceux qu’on aime. Jusqu’à l’irréparable, jusqu’à avoir épuisé l’espérance de son père et jusqu’à la mort, frôlée de justesse, la question demeure et reflète d’autant mieux l’autre drame de la drogue et à la fois son remède : celle des limites de l’être humain et son besoin irremplaçable d’amour, avant même de pouvoir donner un sens à sa vie.
“My beautiful boy”, de Felix Van Groeningen, avec Timothée Chalamet et Steve Carell, 2h, en salles