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Christian Streiff, de l’homme pressé à celui qui prend le temps

Christian Streiff, ancien président de PSA Peugeot Citroën.

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Agnès Pinard Legry - publié le 01/02/19
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Directeur général de Saint-Gobain, président d’Airbus puis de PSA Peugeot Citroën, Christian Streiff a été victime d’un AVC un matin de mai 2008, dans son bureau. Tenace et volontaire, il n’a jamais renoncé ou baissé les bras. Plus de dix ans après son accident, Christian Streiff a choisi d’habiter le temps, à sa mesure, à son rythme. « J’ai appris à écouter, à prendre le temps », confie-t-il à Aleteia. « Je suis parti de chez moi à 6h15 pour un quart d’heure d’ “essai” au volant d’une voiture de la concurrence. […] Il fait doux ce matin. Je roule rapidement jusqu’à la Seine, où je vois le soleil se lever, puis je remonte les Champs-Élysées. » C’était le 11 mai 2008, quelques heures avant un événement qui allait bouleverser la vie de Christian Streiff, alors président de PSA Peugeot Citroën. Vers 11h, se sentant fatigué, il décide de faire une « petite sieste », une habitude qu’il a prise depuis longtemps de s’allonger sur le sol en fermant les yeux, s’endormir quelques minutes afin de se réveiller « l’esprit frais, prêt à “réattaquer” ». Cette petite sieste va bouleverser son corps, son esprit bref, sa vie. Il se réveille à l’hôpital, victime d’un accident cardio-vasculaire (AVC).


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S’ensuit alors une lente reconstruction avec le difficile réapprentissage des mots et gestes du quotidien. Trois ans plus tard, après des milliers d’heures de travail, les progrès sont visibles et Christian Streiff part seul, pendant deux mois, sur le chemin du GR5, des Vosges à Nice. Désormais, celui qui était « l’homme pressé » est devenu « l’homme qui prend le temps ». Le temps de contempler, de lire, de découvrir, d’écouter. Comme le souligne le professeur Yves Samson, son médecin, dans la préface de son livre J’étais un homme pressé, le capitaine d’industrie a appris à « naviguer dans le sens du courant plutôt que de trouver un mérite à ramer contre lui ». « J’ai découvert une autre vision du temps », explique Christian Streiff à Aleteia. « Avant je courrais vite, je courrai longtemps. Maintenant j’écoute et je prends le temps pour cela ».

Aleteia : Imaginiez-vous qu’un tel événement puisse se produire ?
Christian Streiff : Absolument pas à cette époque-là… et toujours pas maintenant. La maladie m’était quelque chose d’étranger, que j’ai toujours tenu à une certaine distance. On est comme on est !

Qu’est-ce qui a été le plus difficile pour vous dans cette épreuve ?
Me retrouver pratiquement seul. Durant les trois années qui ont suivi mon AVC, j’ai passé l’essentiel de mon temps avec ma femme Françoise et deux orthophonistes, Christine et Flavie, alors qu’avant je côtoyais 100 personnes par jour. La difficulté a également été de voir son carnet d’adresses se vider subitement. Mais c’est également dans cette épreuve que j’ai découvert ou retrouvé mes amis proches. Ceux que je voyais moins compte tenu de mon poste mais qui n’ont jamais quitté ma vie. J’ai retrouvé le sens de l’amitié, l’amitié vraie, l’amitié qui demeure.



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Comment avez-vous vécu la perte d’une partie de votre mémoire, de ces mots du quotidien ?
Ça a été une école de l’humilité. Je ne savais plus nommer ce qui m’entourait. J’ai passé tout l’été qui a suivi mon AVC avec ma femme Françoise devant un livre d’images, Les 1000 Premiers Mots en breton. Elle m’a fait nommer tous les êtres et les objets qui se trouvaient dedans. Avant je faisais partie des grands de ce monde, je maîtrisais intellectuellement beaucoup de choses. Cette épreuve a été un bel apprentissage, je me demandais à l’époque si je ne devais pas prendre ça comme une leçon ; il fallait que j’avance ! Étant quelqu’un de très tenace, j’y suis arrivé. À l’issue de cette période, en y réfléchissant, j’ai réalisé qu’au-delà de l’apprentissage des mots, j’ai appris à écouter et à prendre le temps… Je n’avais pas le choix ! Même si j’ai quitté un travail fantastique, j’ai ainsi retrouvé des choses que j’avais perdu.

Diriez-vous que c’est un mal pour un bien ?
Je dirais que c’est un mal et un bien.

Vous étiez un « homme pressé »… Comment vous qualifieriez-vous aujourd’hui ?
Je suis un homme beaucoup moins pressé ! Je dirais que j’ai appris à prendre le temps, à reconquérir le temps. Le temps du réveil, sans la contrainte d’un rendez-vous qui m’attend, d’un petit déjeuner en échangeant quelques mots, de lire un vrai livre et pas seulement des rapports ou des comptes… J’ai redécouvert cette richesse qui avait quitté ma vie depuis bien longtemps. Et puis le temps d’écouter. Je pense que j’avais une attitude assez pénible avant, celle de celui qui comprend vite, qui comprend tout, qui demande à passer à la page suivante alors que les autres ne l’ont pas encore terminé. Avec cet AVC, j’ai commencé à écouter. Au début j’étais bien obligé car je n’étais pas en capacité de m’exprimer et puis peu à peu j’ai pris du plaisir à écouter, j’en ai compris l’importance.


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Dans votre livre vous évoquez cette marche que vous avez entrepris pendant deux mois sur le tronçon français du GR5 à travers les Vosges, le Jura et les Alpes. Pourquoi avoir choisi de le faire ?
C’est un projet que nous avions conçu à deux avec un ami qui est mort dans l’accident de l’Airbus qui revenait de Rio, en 2009. J’ai choisi de l’entreprendre en solitaire car c’est un moment de la vie où l’on se retrouve face à soi-même, avec soi-même. C’était une manière certainement aussi de clôturer une période de ma vie. Le temps est suffisamment long pour réfléchir et penser sans urgence de conclure. Et puis, quel moment fantastique ! Redécouvrir la beauté de son pays, des plaisirs simples comme celui de boire l’eau d’un ruisseau. Savoir trouver la bonne allure, celle qui nous correspond sans chercher à parcourir un nombre de kilomètres précis chaque jour.

Depuis vous avez siégé dans les conseils d’administration de grands groupes et investis dans plusieurs startups. Quels conseils donneriez-vous à un jeune ?
Je lui conseillerais de réfléchir à ce qu’il aime… mais pas trop ! De se lancer dans l’activité ou le secteur qu’il préfère tout en ayant conscience que cela peut changer vite. Je lui dirais que l’important est qu’il fasse quelque chose dans lequel il se sente bien ; qu’il fasse avancer les choses tout en progressant lui-même.

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DR

J’étais un homme pressé, par Christian Streiff, le Cherche Midi, octobre 2018, 17 euros.

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