Habitué des sujets empreints de vérité, comme Mission (palme d’or à Cannes en 1986) et La Déchirure sur le génocide cambodgien, le réalisateur Roland Joffé, déjà oscarisé a encore visé juste au sujet de l’Afrique du sud.En 1994, l’Afrique du sud vient à bout de l’Apartheid, laissant un peuple divisé, exsangue, les Noirs d’un côté, les Blancs de l’autre. La guerre civile risque de s’enflammer. Caméra steadicam au poing, l’image est vive, urgente, pour capter le mouvement suscité par la commission “Vérité et Réconciliation” lancée par Nelson Mandela. L’archevêque Desmond Tutu en a la charge. Lourde et ô combien salutaire pour la population. Il ne peut alors que s’appuyer sur sa foi quand il se confronte au meurtrier raciste Piet Blomfeld, qu’il rencontre en prison pour espérer obtenir sa repentance, en échange de sa libération. Un affrontement qui a de quoi le faire douter pourtant…
Le pardon au-delà de l’irréparable
Tourné dans la prison même où Nelson Mandela fût enfermé durant plusieurs années, le film plonge au cœur de la violence, mais aussi de celui de la liberté. Car Roland Joffé n’a choisi que des acteurs anciennement détenus qui, pour certains, étaient sortis six mois plus tôt pour illustrer la population carcérale. Eric Bana (Munich, Star Trek) incarne impeccablement l’assassin sans états d’âme. Face à lui, Forest Whitaker (Le dernier roi d’Écosse, Le Majordome) revêt avec beaucoup d’aisance l’humilité, l’humour et la force intérieure de Tutu.
C’est à l’intuition de Nelson Mandela que l’on doit une telle démarche de réparation pour la souffrance du peuple africain. Mais aussi au peuple lui-même, qui encouragea la commission tout comme nombre d’entre eux ont pardonné aux Blancs pour leurs atrocités. Un exemple qu’ont tenté de suivre des pays sud-américains depuis, sans succès. La conviction sans faille de Desmond Tutu prit le relais de ce mouvement vers le pardon, pour la porter vers la réussite, en tendresse et en vérité. Pour expliquer le mécanisme du pardon, le réalisateur s’est attaché à suivre des chemins individuels. Celui de Bloomfeld, d’une mère qui recherche toujours le corps de sa fille disparue, mais aussi celui de Tutu lui-même, en un sens, qui tente de ne pas tomber dans le piège du renoncement. À force de confrontation à la souffrance, bien vite, le choix se pose entre la violence et l’amour.
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Le sacrifice est-il un amour comme les autres?
Le tour de force de Roland Joffé est de ne jamais tomber dans un manichéisme primaire, illusoire et stérile. C’est en nous saisissant par la brutalité de la haine qu’il vient nous chercher dans nos zones d’ombres et nous guider vers le pardon, accordé à Bloomfeld. Un geste d’altérité et tout est effacé, renouvelé, sauvé. La prison est bientôt ce symbole d’un pays soumis à la division et à la corruption, où le plus faible peut renverser le rapport de force en choisissant de faire taire sa violence. Pourtant la fin ne manque pas de complexité, quand le sacrifice se mêle à la vengeance, pendant que le pardon d’une mère nous terrasse par son débordement d’humanité et son courage. Et l’on se demande si le sacrifice est un amour comme les autres, s’il en est un, quand tout un chacun ne peut lui donner le même sens que le Christ.
Ce film est poignant, il marque, comme de nombreux films du réalisateur anglais, dont certaines scènes ne s’oublient plus une fois qu’on les a vues, comme pour nous obliger à laisser éclairées nos consciences.
Forgiven, de Roland Joffé, en salles le 9 janvier, avec Forest Whitaker et Eric Bana, 1h55, Saje distribution.