“La paix et la sécurité sont du lait sur le feu : elles réclament une vigilance de tous les instants”, a prévenu Mgr Luc Ravel, évêque de Strasbourg, lors de la veillée jeudi pour la mémoire des victimes de l’attaque de Strasbourg. “Tissons et retissons des liens de personne à personne, de communauté à communauté. Nos différences ne nous séparent pas si la bienveillance nous unit”, a souhaité l’archevêque. A Strasbourg, quelque 1.500 personnes se sont rassemblées le 13 décembre en la Cathédrale lors d’une veillée retransmise en direct par KTO. Cette cérémonie d’un peu plus d’une heure s’est déroulée en présence du maire de la ville et de représentants des cultes protestant, musulman et juif. Retrouvez en intégralité l’homélie de Mgr Luc Ravel, archevêque de Strasbourg, prononcée à cette occasion.
« “Toute l’Europe vous regarde”, me disait, hier soir, une journaliste italienne. Oui, toute l’Europe a les yeux sur Strasbourg, pour pleurer, avec nous, nos morts, nos blessés et nos familles bouleversées. Toute l’Europe est sidérée par cet acte terroriste qui vise à tuer des hommes de chair pour s’attaquer à des symboles de l’esprit. Et Strasbourg, personne ne s’y trompe, cristallise une double valeur symbolique. Capitale européenne, Strasbourg est aussi capitale de Noël. Des millions de personnes se pressent ici, dans nos quartiers et sur nos marchés, et retrouvent l’éclat et la joie enfantine de Noël. Ils glanent, ici, le rayonnement d’un grand mystère, celui de la naissance de Jésus-Christ, il y a vingt siècles.
Beaucoup m’ont interpellé sur ce choc inimaginable entre la douceur de Noël et la violence de l’attentat. Que répondre ? Sinon que cette percussion infernale ne doit pas nous décourager dans notre quête inlassée du bien et du beau.
D’abord, parce que cette percussion n’est pas neuve. Seule notre insouciance nous aura fait oublié qu’à l’innocence de la naissance est aussi liée la férocité des mauvais instincts. Dans la Bible, nous est rapportée la cruauté du roi Hérode le Grand qui fait assassiner tous les petits enfants de la région de Bethléem. Nous appelons cette tuerie, le massacre des Innocents. En ce monde où nous aspirons à un bonheur pur et simple, il n’y a pas loin de la vie à la mort. Il n’y a pas de bien qui ne soit serré de mal. Rien qui ne soit imprégné de risque. Affrontons en face cette vérité intemporelle pour ne pas nous laisser surprendre par le mal.
Ensuite, parce que cette percussion terrible ne donne pas raison au mal. Là encore, la Bible nous montre la fuite en Egypte du petit enfant avec ses parents, Joseph et Marie. Pour le dire autrement, la source du bien échappe à l’écrasement du mal.
Au final, elle fait son retour quand le mal disparaît car les mauvais – je prends le langage de la Bible – et leur idéologie finissent aussi par mourir. Notre défi actuel est de protéger ces petites graines de beauté et de bonté qui sont déjà là, admirablement présentes, souvent discrètes. Je pense à ces gestes de solidarité, ces restaurants et ces commerces qui ont accueilli des centaines de personnes pour les protéger.
Je pense à ces forces de sécurité et de santé, nos policiers et nos gendarmes, nos soldats et nos pompiers et nous pourrions rajouter les médecins, etc. qui ont agi avec une générosité et une compétence admirables, bien au-delà du service minimum. Et tant d’autres gestes de vie dont on gardera la mémoire longtemps après que le souvenir des crimes se soit évanoui.
Le mal n’a pas raison. Ainsi, ce message de Noël n’a pas été contredit mais confirmé par cette nuit dramatique de mardi soir : le lien et le mal sont présents mais au bout, c’est le bien qui aura le dernier mot.
Le bien gagne si nous ne nous laissons pas piéger par nos vieux démons. Nos vieux démons. Ne nous laissons pas prendre à la tactique des vieux démons toujours présents chez nous en ce début de XXIème siècle !
Je pense à ces faits récents d’antisémitisme à Herrlisheim commis au nom d’une « foi » nazie qui tague des tombes pour bafouer les morts et les vivants. Voilà un vieux démon.
Je pense à l’instrumentalisation politicienne qui va, par cet attentat, empoisonner à nouveau la vraie, véritable question des migrants. Voilà encore un vieux démon.
Je pense à la simplification réductrice de ceux qui voient les religions comme des sources inévitables de divisions. Ils ne manqueront pas de relever le profil du tueur. Voilà encore un vieux démon.
Je pense à la manipulation de la colère sociale qui se fait jour chez nous. Le terrorisme frappe aujourd’hui une France épuisée de luttes sociales. Il peut réveiller l’esprit de division. Voilà encore un vieux démon.
Nos forces humaines ne suffisent pas en face de ces vieux démons. Il nous faut l’aide de Dieu. Ces vieux démons seront chassés par la prière et par l’unité.
Par la prière. Chacun selon nos traditions religieuses, prions inlassablement. La paix et la sécurité sont du lait sur le feu : elles réclament une vigilance de tous les instants.
Une idée. Entre nous, tissons et retissons des liens de personne à personne, de communauté à communauté. Nos différences ne nous séparent pas si la bienveillance nous unit.
Voilà ce que je voulais confier à notre prière et à notre unité.
Aujourd’hui, dans l’Eglise catholique, nous fêtons sainte Odile, c’est la patronne de l’Alsace et et de tous les Alsaciens, quelque confession, quelque religion auxquelles ils appartiennent. Croyez bien que ce matin au Mont-Saint-Odile, je l’ai instamment priée pour Strasbourg, pour l’Alsace et pour l’Europe.
Mgr Luc Ravel