Les plus grands peintres ont touché le mystère de Marie à travers son enfance. Car le mystère de l’Immaculée Conception, longtemps repoussé par les théologiens, relève de l’irreprésentable et excède l’image.
Voyez cette ravissante petite fille montant bravement, sans se retourner, les quinze degrés du Temple, à la porte duquel le Grand Prêtre l’attend. Elle va entrer dans la Demeure, sa demeure, et, jusqu’à ses fiançailles avec Joseph, y filer de pourpre le voile du sanctuaire. Elle n’a que trois ans, mais, dans son innocence, elle a la sagesse et la détermination de la plus haute humanité. Le Titien, sur la paroi de la fresque de l’Académie vénitienne, l’a fait surgir de sa grâce ineffable pour nous la donner à goûter.
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La plus belle enfance
Voyez-la, au même âge, yeux levés au ciel, ayant, pour prier le Seigneur invisible qu’elle contemple dans les hauteurs inaccessibles à nos regards, momentanément abandonné son ouvrage, entourée de fleurs, roses, lys dans leur vase précieux, œillets répandus sur le sol et sur sa table de lecture et de travail, parmi les visages d’anges, humble et silencieuse couronne de son élection, sur laquelle s’ouvre la draperie de soie rose qui, refermée sur le secret de sa chambre secrète, la laisserait seule en compagnie de son Dieu, mais qui, ouverte pour un instant éternel, l’offre à nos regards décantés de toute indiscrétion ; car sa grâce indicible purifie tout, même nos yeux ! Que Zurbaran a bien saisi l’ineffable pour nous l’offrir sans que nos mots viennent le brouiller ni le ternir, en cette salle du Metropolitan Museum où la petite Marie nous convie à la grave contemplation où s’unissent déjà les joies et les douleurs qui l’attendent !
Il s’agit ici, chez le Titien et chez Zurbaran, du mystère de l’enfance. S’agit-il de celui de l’Immaculée Conception ? Selon l’Esprit, oui, sans doute ! Mais non selon la lettre. Car, dans le cas du Titien, il s’agit de la Présentation de la Vierge au Temple, et, dans le cas de ce tableau de Zurbaran, d’une scène de l’Enfance de la Vierge. C’est que le mystère qui nous retient aujourd’hui, celui de “l’Immaculée Conception”, de cette Vierge relève de l’irreprésentable et excède l’image.
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Mystère inaccessible
D’ailleurs, nul mystère de la foi catholique, peut-être, ne paraît si peu croyable, si inadapté à la modernité de l’âge adulte où nous serions entrés, oubliant que les interlocuteurs du Christ les plus près de Lui ne sont pas, à l’en croire Lui-même, les savants, mais les enfants. Comment croire à l’Immaculée Conception de Marie dans le sein de sa mère ? C’est enfantin, n’est-ce pas ? Pour ne pas dire infantile, peut-être ? D’ailleurs, nombre des plus grands théologiens d’autrefois, même parmi les plus attachés au culte marial, n’y crurent pas. Ni saint Bernard, ni saint Thomas d’Aquin. Ils virent en la Vierge Marie, comme en saint Jean Baptiste, un être sanctifié dès sa conception dans le sein de sa mère, sanctifié, mais non saint en son essence, ayant reçu une grâce tout à fait insigne dès le début de sa vie cachée dans les entrailles maternelles, mais en ayant eu besoin comme chacun de nous, car, comme nous tous, initialement marqué par la faute originelle de nos premiers parents.
De grands ordres religieux, comme celui fondé par saint Dominique, résistèrent longtemps, rudement parfois, à ce qui allait devenir, bien tardivement, un dogme de l’Église catholique et beaucoup, parmi nous, considèrent encore aujourd’hui que ce dogme est secondaire parmi ceux auxquels il nous est demandé d’adhérer. Il est vrai, d’ailleurs que l’essentiel de la foi en la divinisation de l’homme en Jésus-Christ porte sur la Conception virginale de celui-ci dans le sein de Marie, de sa vie dans la Palestine de son temps, de sa mort sur la croix, de sa Résurrection à l’aube du troisième jour. Quant à parler de l’Immaculée Conception de Marie elle-même… Nos frères orthodoxes, qui comptent parmi les plus émouvants défenseurs de l’Immaculée Mère de Dieu, s’y refusent. Ils préfèrent en laisser le mystère au mystère lui-même sans le définir. Ce qui est très beau !
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La ferveur espagnole
Pourtant, à la suite d’autres grands saints, tel François d’Assise, peu à peu se fit jour, non sans luttes entre théologiens, la lumière sur un si grand mystère, jusqu’à sa tardive définition, à caractère peut-être aridement juridique, comme toute mise en mots de la Lumière. Les premiers à avoir tenu à la promulgation de ce dogme furent des Espagnols, particulièrement les Sévillans, ses ardents promoteurs et défenseurs. Comment ici ne pas souligner la ferveur espagnole envers la proclamation de ce mystère comme éléments essentiels de la foi et de la dévotion catholiques, lorsqu’on a sous les yeux les merveilles qu’il inspira à un Zurbaran ou à un Velasquez ? Toujours apparaît alors chez ces peintres, vêtue d’azur et de candeur, plus souvent de rose et de bleu, la ravissante jeune fille aux cheveux couronnés de douze étoiles, aux pieds reposant sur un croissant de lune, qu’entourent les multitudes angéliques et tous les symboles de la pureté de Marie — Jardin clos, fontaine scellée, étoile du matin, lys des vallées, Tour de David, palmier du Liban, miroir de justice et de miséricorde…
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Comme si l’Immaculée Conception, jeune fille foulant aux pieds l’antique serpent, représentait à la fois les tout premiers commencements de notre grandiose et douloureuse histoire et les ultimes fins terribles et douces où nous entrerons nous aussi, guidés par le Fils Rédempteur dans les profondeurs infinies du sein du Père.
Car, selon la foi catholique, l’Immaculée Conception, sauvée dès l’origine par le don de soi du Fils éternel de Dieu entrant dans la nuit de la mort par amour de ses frères, les mortels que nous sommes, nous met en présence non seulement des tout premiers commencements, mais des fins dernières du monde et de nous-mêmes, terrifiantes et magnifiques, par la traversée desquelles nous le rejoindrons en son éternité bienheureuse.
Les peintres de la grâce
C’est à suggérer cela, je pense, que de si grands peintres ont consacré, par grâce, leur génie, né lui-même de la divine grâce. Mais les plus grands peintres de cette grâce ne sont peut-être pas des peintres, mais des enfants, ces bienaimés de Dieu : Juan Diego du Mexique (qui n’était plus un enfant selon l’âge mais l’était demeuré selon le cœur), Catherine Labouré de la rue du Bac à Paris, Bernadette de Lourdes à qui “cela”, “la damoiselle” dit-elle, confia, le 25 mars 1858, jour de l’Annonciation, son identité en dialecte béarnais : Que soy era Immaculada Councepciou. “Je suis l’Immaculée Conception.”
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Le curé de Bernadette en fut bouleversé. Nous le sommes aussi. Bernadette ne comprit pas ces mots savants du dogme promulgué quatre ans plus tôt à Rome. En cette année 2018 les comprenons-nous mieux ? “L’Auteur de ces merveilles les comprend, dit Pascal, tout autre ne le peut faire.” Les comprenons-nous mieux ? En embrassons-nous mieux le sens que l’humble Bernadette et que le grand Pascal ? Non pas mieux, certes, mais peut-être aussi bien, si nous entrons dans la berceuse de l’Esprit saint qui, seul, nous éveille à l’intelligence du Mystère. “Je ne connais rien d’aussi beau dans le monde, dit Dieu, qu’un petit enfant qui s’endort en faisant sa prière.” Endormons-nous ainsi, comme veillent, dans l’Esprit, les pèlerins de Mexico, de la rue du Bac, de Lourdes, de chacun de nous dans le sanctuaire de son cœur, où Dieu aspire à être conçu, à naître, à renaître.