Un coach digne de ce nom intègre dans sa pratique les notions de sens et d’éthique. Une occasion de retourner aux sources grecques du coaching en situant sa véritable fondation : Socrate et sa maïeutique.Soyons provocateur avec ce texte de Platon pour parler de coaching : “Je n’ai nul souci de ce dont se soucient la plupart des gens, fait-il dire à Socrate : affaires d’argent, administration des biens, charges de stratège, succès oratoires en public, magistratures… Je me suis engagé, non dans cette voie, mais dans celle où, à chacun de vous en particulier, je ferai le plus grand bien en essayant de le persuader de moins se préoccuper de ce qu’il a, que de ce qu’il est, pour se rendre aussi excellent et raisonnable que possible” (Apologie, 36b). Aujourd’hui, le coaching tel qu’il est pratiqué dans les entreprises, n’est pas vraiment sur cette longueur d’ondes. Il recherche la performance. On est prêt à payer cher pour savoir comment mieux remplir sa mission et progresser rapidement dans la mise en œuvre des moyens. Alors, le coach est-il seulement un prestataire utile au seul service d’une réussite pragmatique ?
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Osons un parallèle. Dans le coaching actuel, le référentiel de la performance sportive est évident : il encourage une vision orientée “résultats”. De leur côté, les rhéteurs de la Grèce antique tels Gorgias, enseignaient l’art de la persuasion. Dans les deux cas, l’approche reste pragmatique. Jadis, les familles aisées d’Athènes payaient à prix d’or ces virtuoses de la parole qui formaient leurs enfants à l’art de “triompher dans l’arène politique”. Aujourd’hui, les coachs cherchent aussi à faire grandir leurs clients en efficacité et agilité. Socrate nous convie à une autre exploration.
Le but de la maïeutique
Il montre à ses opposants que si un entraînement efficace permet de conquérir une parole puissante, ou une efficacité redoublée, le but de la maïeutique est tout autre : aider les autres à s’engendrer eux-mêmes. Socrate convie à se conquérir soi-même. Il y a dans la maïeutique socratique la certitude que chacun gagne à faire ce détour essentiel qu’est la recherche désintéressée de soi-même.
Nietzsche lui-même dénonce avec des mots corrosifs ceux qui refusent ce détour : “Toutes les institutions humaines ne sont-elles pas destinées à empêcher les hommes de sentir leur vie, grâce à la dispersion constante de leurs pensées ?” Et plus loin : “La hâte est générale parce que tous veulent échapper à eux-mêmes” (Considérations inactuelles). Avoir souci de soi, c’est-à-dire être attentif à ce que l’on est, chacun personnellement, comme une étape essentielle avant d’agir, voilà la sagesse à laquelle nous invite Socrate. Connais-toi toi-même…
Une ruse de la sagesse
Illustrations. La marque Nike, dans les années 1960, définissait sa philosophie sans état d’âme : “Connaître l’émotion de concourir, gagner et écraser l’adversaire.” Beau programme… Aux antipodes, n’importe quel coach digne de ce nom intègre dans sa pratique les notions de sens et d’éthique. Une occasion pour nous de retourner aux sources grecques du coaching en situant sa véritable fondation : Socrate. Par le dialogue maïeutique, il interroge nos représentations, les non-dits de nos décisions et de nos actions, il nous amène à clarifier nos choix, à leur trouver les mots justes. Et finalement, il nous invite à explorer notre contribution personnelle au monde, à élaborer une vision qui tient compte non seulement de notre situation, mais de la fécondité qui nous appartient en propre et porte notre signature, visant enfin un objectif éthique incontestable.
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À bien relire le texte de Platon, on remarque que Socrate n’oppose pas être et avoir. Il inscrit simplement une hiérarchie au profit de l’être. On le voit rarement, mais il y a là une ruse de la sagesse qui sert indirectement l’efficacité : en relativisant l’efficacité, la sagesse socratique l’augmente, lui donne sa pleine mesure, toujours au service de l’essentiel.