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Loin des honneurs, comment devenir un homme d’honneur ?

LEGION D'HONNEUR

Ordre national de la Légion d'honneur.

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Jean-François Thomas, sj - publié le 14/11/18
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Se gonfler sous les honneurs parasite l’âme, là où l’honneur est une vertu très précieuse, celle qui façonne la beauté spirituelle de l’être. Notre époque n’est guère avare d’honneurs. En cela, il n’y a rien de nouveau sous le soleil, puisque les Anciens dénonçaient déjà la poursuite de la reconnaissance humaine. En revanche, elle est bien chétive en honneur, plus que d’autres temps où la médiocrité humaine se rachetait ainsi par le sens du devoir, de la grandeur. Certes, il existe encore des exceptions mais les modèles qui sont proposés, ou imposés, ordinairement et quotidiennement, ne transportent généralement pas les cœurs et les esprits vers le haut. Les naïfs auraient pu croire que l’anniversaire de la Grande Guerre aurait pu raviver la flamme, au moins celle qui éclaire le sacrifice héroïque et involontaire de tant de fils de notre pays pour l’honneur de la terre ancestrale. Il n’en est rien. L’Ève de Charles Péguy, si prémonitoire de sa propre mort sur le champ d’honneur, ne résonne guère, faible écho écrasé par les discours récupérateurs et horizontaux et par les spectacles « devoirs de mémoire » qui souillent la vraie mémoire.

Les honneurs déshonorent

Gustave Flaubert écrivait à Guy de Maupassant : « Axiomes : Les honneurs déshonorent ; Le titre dégrade ; La fonction abrutit ; Écrivez ça sur les murs. » Ce n’est peut-être pas une règle générale, mais rares sont les êtres couverts d’honneurs qui conservent un véritable sens de l’honneur. Il faut dire qu’ils sont alors courtisés de toutes parts. Les autres hommes sont attirés par eux comme les insectes se précipitant vers la lampe tempête.

William Shakespeare, dans une de ses pièces les moins connues, Troïlus et Cressida en 1602, note :

« Les hommes ne prodiguent leurs hommages qu’aux rayons de la fortune, comme les insectes ne déploient leurs blanches ailes qu’aux rayons de l’été ; et l’homme, qui n’est que simplement homme, ne reçoit aucun honneur. Il n’est honoré que pour ce qui tient à son extérieur, comme la place, les richesses, la faveur, avantages qui sont le prix du hasard, aussi souvent que du mérite. Quand ces honneurs, étais fragiles et glissants d’une amitié fragile et glissante comme eux, viennent à tomber, tout croule et s’abîme dans leur chute. »

L’homme est bien conscient de la fugacité des honneurs et ressent au moins vaguement la solidité de l’honneur, et pourtant son choix se porte naturellement vers les premiers car la rétribution est immédiate, visible, sonnante et trébuchante, alors que les lauriers de l’honneur demeurent cachés.


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On s’habitue très rapidement aux honneurs, comme le remarquait de façon ironique Jean Dutourd. D’où le danger de les prendre trop au sérieux, comme tant dans notre monarchie républicaine. Il arrive parfois qu’un élu se considère d’autant plus habité par ce qu’ils représente qu’il lui manque, dans le même temps, le sens de l’honneur qui lui permettrait de relativiser les privilèges qui lui sont accordés. Que d’énergie dépensée à se construire un personnage, à installer sa réputation, alors que l’honneur passe à la trappe, est mis de côté comme un costume démodé qui part chez le fripier.

Une traînée de paillettes

Au Ier siècle avant Jésus-Christ, le moraliste Publilius Syrus écrivait dans ses Sentences et Maximes : « Beaucoup de gens ont grandement à cœur leur réputation, mais fort peu leur honneur. » L’honneur est flétri lorsque l’homme accepte des honneurs qu’il n’a pas mérité, lorsqu’il ne respecte pas ces honneurs qui ne lui appartiennent que par procuration, pour un temps et pour un bien qui le dépasse. Se gonfler sous les honneurs attire le malheur, dans cette vie peut-être, dans l’éternité sûrement. Les honneurs parasitent l’âme et la conduise à la vanité. Céline, dans Voyage au bout de la nuit, analysait de façon coupante : « Il n’y a pas de vanité intelligente. C’est un instinct. Il n’y a pas d’homme non plus qui ne soit pas avant tout vaniteux. Le rôle du paillasson admiratif est à peu près le seul dans lequel on se tolère d’humain à humain avec quelque plaisir. » Bien sûr, il existe des hommes qui, malgré leur charge et leurs récompenses, ne tombent pas dans la vanité ; les saints sont parmi eux mais aussi des êtres suffisamment détachés de leur propre personne, ceux qui sont prêts à servir, à se sacrifier. Exactement l’inverse de ce vaniteux que le Petit Prince rencontre sur une des planètes qu’il visite. Faisons un bref plongeon dans notre enfance : « La seconde planète était habitée par un vaniteux :

— Ah ! Ah ! Voilà la visite d’un admirateur ! s’écria de loin le vaniteux dès qu’il aperçut le petit prince.
Car, pour les vaniteux, les autres hommes sont des admirateurs.
— Bonjour, dit le Petit prince. Vous avez un drôle de chapeau.
— C’est pour saluer, lui répondit le vaniteux. C’est pour saluer quand on m’acclame. Malheureusement il ne passe jamais personne par ici. »

Pour celui qui se laisse posséder par les honneurs, le monde entier a pour vocation de reconnaître ce qu’il est. Il est toujours amusant de vérifier cela dans les rues des beaux quartiers de Paris, là où déambulent parfois des « célébrités » politiques, ou des « artistes », des journalistes à la mode… Ils considèrent que leur dû est d’être reconnus, salués, adulés et ils laissent derrière eux une traînée de paillettes vite emportées par le vent.

Ce qui est beau spirituellement

Pour saint Thomas d’Aquin, ce que l’on appelle honnête est ce qui est digne d’honneur (Somme théologique, IIa-IIae, q.145). Honestas signifie « comme un état d’honneur », nous dit le Docteur angélique reprenant saint Isodore. L’honneur est donc une vertu très précieuse, celle qui façonne la beauté spirituelle de l’être : « C’est pourquoi l’honnête est la même chose que la beauté spirituelle. Ce qui fait dire à saint Augustin : “J’appelle honnête la beauté intellectuelle ou, pour mieux dire, spirituelle” » (art.2, resp.). Ce qui est beau spirituellement est digne d’honneur, et seulement cela.


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Ce sens de l’honneur est bien étranger à notre société et à notre époque. Dans son Journal, Paul Claudel, qui ne fut pas insensible aux honneurs, note de façon lapidaire : « Dignité est un mot qui ne comporte pas de pluriel. » Honneur ne devrait pas en comporter non plus, sauf si les honneurs n’enterrent pas l’honneur et se mettent à son service. Tous les hommes ne méritent pas que leur soient rendus les honneurs. Seuls ceux qui sont des hommes d’honneur, honnêtes, droits, renonçant à eux-mêmes, sont dignes de recevoir des honneurs, faible reconnaissance pour la vertu qui les habite. La plupart du temps, les honneurs humains ne sont pas accordés à ceux qui devraient les recevoir. Ce sont les professionnels des honneurs qui raflent la mise car ils sont suffisamment forbi, comme diraient les Italiens, pour être stratèges et attirer à eux l’attention et la gratitude.

L’exemple dans l’éducation

Notre monde occidental aurait bien besoin de retrouver le sens de l’honneur. La seule pédagogie possible passe par l’exemple dans l’éducation. Pour cela, il faut construire tout l’homme, pas seulement nourrir son corps et instruire son intelligence. L’homme spirituel est le seul qui puisse devenir un homme d’honneur. L’homme spirituel c’est-à-dire celui qui donne à l’esprit et à l’âme la priorité sur toutes les autres considérations. Telles sont les magnifiques leçons humaines des films de Pierre Schoendoerffer comme L’Honneur d’un capitaine, Le Crabe-Tambour, La 317e section ; celles aussi des écrits d’Hélie Denoix de Saint-Marc. Le monde militaire, en temps de guerre, est riche de ces modèles. L’Église l’est aussi dans son histoire. À chacun de retrouver le sens de l’honneur en puisant largement dans ces richesses de notre tradition.



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